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Artichaut

Un coeur d’artichaut, oui, c’est cela un coeur d’artichaut.
Depuis plus d’une heure qu’elle était allongée dans sa baignoire à la
vider partiellement tout en rajoutant de l’eau chaude, pour ne pas prendre
froid, Adèle regrettait amèrement de s'être confiée à ce curé qu’elle avait
rencontré alors qu’elle ne faisait que se réchauffer un peu dans cette église
après avoir parcouru la campagne.
Par ennui elle était partie tôt ce matin là, ne sachant que faire de cette
longue journée à attendre le soir. Elle avait pris à droite à cet endroit où
le chemin ressemblait à une fourche à trois branches et elle avait couru
à s’époumoner car une grêle violente s’était abattue subitement sur ses
épaules et cette forêt de hêtres dense et verte était le seul abri qu’elle
pouvait espérer trouver dans cette campagne déserte. Elle avait couru
si vite que sa poitrine était prête à imploser, se sentant oppressée dans
ses vêtements glacés qui lui collaient à la peau. Peut être aussi que le
jeûne qu’elle s’imposait depuis la veille la rendait encore plus fragile. Et
enfin, à l’abri, elle pu un peu se reposer. Courbée en deux, haletante, ses
yeux papillonnant sous la violence de l’effort, elle avait l’impression de voir
au travers d’un kaléidoscope. Elle s’assit sur un tapis de mousse encorehumide de la fraîcheur de ce matin d'avril et remit peu à peu ses idée
en place, comme on peut ordonner une suite de mots en les classant par
ordre alphabétique. Oui elle se languissait de revoir cet homme, aventure
d’un seul soir. Elle qui pourtant s’était juré de ne plus jamais s’attacher, de
ne plus jamais se donner la possibilité d’ aimer.
Elle prit son sac décidée à une petite collation pour goûter d’un yaourt à la
mangue qu’elle avait eut la précaution de prendre. Elle démêla difficilement
le noeud resserré par l’humidité, sortit du sac une bouteille de Chablis,
attrapa une cuillère, un sachet de fruit sec et le pot dont elle arracha
l’opercule avec les dents. Dans sa bouche se mêlait intimement le velours
du yaourt, l’acidité du fruit exotique et le craquant des noix de cajou pilées
qu’elle portait machinalement à la bouche. Enfin, elle attrapa la quille de
vin et s’en servit un verre. Une doucereuse chaleur partait de son estomac
rassasié, l’alcool gagnant peu à peu ses joues rougies par la fraîcheur
printanière. Elle se sentait renaître.
Le savon fit un gros ploc en l'éclaboussant lorsqu’il lui échappa des mains.
Quel tuile, elle en avait plein les yeux. Elle sortit précipitamment de son
bain pour se rincer avec de l’eau fraîche et attraper une serviette. Nue
devant la glace elle se contempla et se trouva belle. Oui, elle avait de la
chance finalement, et rassurée par son corps qui lui plaisait tant elle se
sentit bien. Peu importe qu’elle ait pu dévoiler son intimité à ce curé qu’elle
ne reverrait jamais et qui ne connaissait même pas son nom. C’est vrai
qu’il était beau; si jeune, quel gâchis pensât elle. Puis habillée et plus belle
que jamais dans sa robe blanche qui moulait ses formes rondes, elle se
remit à penser à cet homme. Elle aimerait voler pour le rejoindre dans son
wagon lit. Elle s’imaginait ce train, long serpent glissant et transperçant
la nuit de ses yeux blanc, phares au Xénon, deux flèches de lumière
pénétrants la noirceur du ciel provençal, traversant la ville de Yerres pour
fondre vers Nice. Oui, peut être lui téléphoner; non finalement ne pas
paraître trop zélée, le laisser un peu où il était. Ô cette nuit, cette nuit enfin,
sortir, retourner dans ce club privé et croquer un autre homme.

Bertrand B
Atelier d’écriture Vézelay 2012

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Le vieil homme parlait d’une voix faible, le regard perdu loin à l’intérieur de ses souvenirs.

Vêtu d’une longue cape, il était assis au soleil sous son chapeau à larges bords, les mains posées sur un gros bâton ferré.

Il racontait le premier pèlerinage qu’il avait fait jadis vers Compostelle. Ce n’était pas pour expier une quelconque faute ou demander une faveur à Saint Jacques. C’était un homme tranquille et sa vie se déroulait calmement au rythme de la terre et des saisons.

Un jour le maitre l’avait fait venir pour lui demander d’effectuer à sa place un pèlerinage de pénitence. L’évêque était d’accord et le service était bien payé.

Il était parti après les moissons, vêtu de la pèlerine et du chapeau, besace à l’épaule, le bourdon en main pour se défendre des chiens errants.

Après avoir cheminé quelques jours sur les routes de Bourgogne, il était arrivé aux abords de Vézelay.

La région était belle. Les collines du Morvan s’arrondissaient doucement, piquetées ici et là de troupeaux de vaches blanches et grasses. Sur les coteaux, des rangs de vigne s’alignaient sagement, sous les caresses du soleil.

Il était trop tard pour finir la route ce soir-là. Il avait passé la nuit dans un bourg proche de la Basilique, dans une maison tenue par des hospitaliers qui accueillaient les pèlerins.

Serrés autour du feu qui chauffait la salle commune, ils avaient partagé une omelette aux champignons, et quelques fruits des bois glanés en chemin.

Un homme racontait, les yeux brillants, ces histoires qu’on se transmet aux veillées. Il disait que la Bourgogne abrite en son sein une créature surnaturelle et immense, une sorte de serpent merveilleux et ondulant qui donne à la région cette vibration particulière, cette respiration secrète. Gardienne du seuil entre l’humain et le divin, entre terre et ciel, la Vouivre déroulait son épine dorsale sur les sommets de toutes ces petites collines.

Ainsi, à en croire cet homme, il avait cheminé la journée durant sur le dos de la Vouivre, glissant parfois sur les pierres plates de ses écailles, respirant son odeur de sous-bois, buvant l’eau de ses fontaines, sentant son souffle tiède au détour d’un chemin.

Le lendemain, il faisait encore nuit lorsqu’il avait repris sa marche vers la Basilique. Dans le jour naissant, il dépassait les belles maisons cossues, construites avec de larges pierres blanches, rangées avec soin et persévérance, organisées en rangs successifs sur des hauteurs impressionnantes. Il se dégageait de ces bâtisses une tranquille assurance, une solidité à l’épreuve du temps, une promesse de tiédeur à l’abri de leurs murs.

Puis le soleil avait paru à l’est. Il avait levé les yeux vers le vaisseau de pierre et de lumière, portant sa majesté simplement, semblant ignorer les regards et les soupirs qui montaient vers lui depuis des siècles.

La Basilique se laissait caresser des yeux, faisant admirer ses proportions harmonieuses. Des maisons aux toits rosés, serrées autour d’elle, dévalaient le haut de la crête. La route déroulait son ruban poudreux, serpentant le long du coteau, semblant hésiter à quitter les champs et les vergers pour monter vers le géant.

Enfin, au détour d’une ruelle, il s’était trouvé face au fronton de la Basilique.

Malgré la foule assez dense qui se pressait sur la place, il était resté quelques instants la tête levée vers les statues. Puis, avant d’entrer dans le coeur du sanctuaire, il avait voulu faire le tour de l’édifice pour observer les têtes grimaçantes des gargouilles.

Il était enfin entré dans la nef, fasciné par la grâce de ses proportions, l’élégance des pierres taillées, la magie de ses jeux de lumière. Il était resté longtemps à l’abri de ses voûtes, à savourer la paix du lieu, à s’emplir du mystère qui émanait de tout l’édifice, comme à l’écart du monde.

Le lendemain, il avait repris son bâton de pèlerin.

Bercé par le bruit de ses souliers, il réalisait soudain qu’il se trouvait exactement à l’endroit où l’attendait sa vie, où elle prenait enfin du sens: sur La Route. Il regardait tout autour de lui, comme apaisé, posant sur les collines, les villages et les champs un regard presque tendre. Comme elle était loin son ancienne existence, comme le monde avait grandi et embelli sous ses pas! Depuis son départ, il avait aimé chaque chemin, chaque averse, chaque effort, chaque halte, chaque lieu magique ou sacré. La Vouivre était là, lovée sous ses pieds, force vive et secrète.

A cet instant, il avait décidé de la suite : il passerait sa vie en chemin, pèlerin perpétuel, parcourant la route des lieux saints pour le compte de pénitents délégant leur repentir.

Pour tout bagage il emportait son chapeau, sa cape, sa besace, et le bourdon déjà poli par sa main, soutien, défense et guide, comme le sceptre d’un roi.

Christel R
Vézelay, septembre 2012

Bourdon

Le vieil homme parlait d’une voix faible, le regard perdu loin à l’intérieur de ses souvenirs.

Vêtu d’une longue cape, il était assis au soleil sous son chapeau à larges bords, les mains posées sur un gros bâton ferré.

Il racontait le premier pèlerinage qu’il avait fait jadis vers Compostelle. Ce n’était pas pour expier une quelconque faute ou demander une faveur à Saint Jacques. C’était un homme tranquille et sa vie se déroulait calmement au rythme de la terre et des saisons.

Un jour le maitre l’avait fait venir pour lui demander d’effectuer à sa place un pèlerinage de pénitence. L’évêque était d’accord et le service était bien payé.

Il était parti après les moissons, vêtu de la pèlerine et du chapeau, besace à l’épaule, le bourdon en main pour se défendre des chiens errants.

Après avoir cheminé quelques jours sur les routes de Bourgogne, il était arrivé aux abords de Vézelay.

La région était belle. Les collines du Morvan s’arrondissaient doucement, piquetées ici et là de troupeaux de vaches blanches et grasses. Sur les coteaux, des rangs de vigne s’alignaient sagement, sous les caresses du soleil.

Il était trop tard pour finir la route ce soir-là. Il avait passé la nuit dans un bourg proche de la Basilique, dans une maison tenue par des hospitaliers qui accueillaient les pèlerins.

Serrés autour du feu qui chauffait la salle commune, ils avaient partagé une omelette aux champignons, et quelques fruits des bois glanés en chemin.

Un homme racontait, les yeux brillants, ces histoires qu’on se transmet aux veillées. Il disait que la Bourgogne abrite en son sein une créature surnaturelle et immense, une sorte de serpent merveilleux et ondulant qui donne à la région cette vibration particulière, cette respiration secrète. Gardienne du seuil entre l’humain et le divin, entre terre et ciel, la Vouivre déroulait son épine dorsale sur les sommets de toutes ces petites collines.

Ainsi, à en croire cet homme, il avait cheminé la journée durant sur le dos de la Vouivre, glissant parfois sur les pierres plates de ses écailles, respirant son odeur de sous-bois, buvant l’eau de ses fontaines, sentant son souffle tiède au détour d’un chemin.

Le lendemain, il faisait encore nuit lorsqu’il avait repris sa marche vers la Basilique. Dans le jour naissant, il dépassait les belles maisons cossues, construites avec de larges pierres blanches, rangées avec soin et persévérance, organisées en rangs successifs sur des hauteurs impressionnantes. Il se dégageait de ces bâtisses une tranquille assurance, une solidité à l’épreuve du temps, une promesse de tiédeur à l’abri de leurs murs.

Puis le soleil avait paru à l’est. Il avait levé les yeux vers le vaisseau de pierre et de lumière, portant sa majesté simplement, semblant ignorer les regards et les soupirs qui montaient vers lui depuis des siècles.

La Basilique se laissait caresser des yeux, faisant admirer ses proportions harmonieuses. Des maisons aux toits rosés, serrées autour d’elle, dévalaient le haut de la crête. La route déroulait son ruban poudreux, serpentant le long du coteau, semblant hésiter à quitter les champs et les vergers pour monter vers le géant.

Enfin, au détour d’une ruelle, il s’était trouvé face au fronton de la Basilique.

Malgré la foule assez dense qui se pressait sur la place, il était resté quelques instants la tête levée vers les statues. Puis, avant d’entrer dans le coeur du sanctuaire, il avait voulu faire le tour de l’édifice pour observer les têtes grimaçantes des gargouilles.

Il était enfin entré dans la nef, fasciné par la grâce de ses proportions, l’élégance des pierres taillées, la magie de ses jeux de lumière. Il était resté longtemps à l’abri de ses voûtes, à savourer la paix du lieu, à s’emplir du mystère qui émanait de tout l’édifice, comme à l’écart du monde.

Le lendemain, il avait repris son bâton de pèlerin.

Bercé par le bruit de ses souliers, il réalisait soudain qu’il se trouvait exactement à l’endroit où l’attendait sa vie, où elle prenait enfin du sens: sur La Route. Il regardait tout autour de lui, comme apaisé, posant sur les collines, les villages et les champs un regard presque tendre. Comme elle était loin son ancienne existence, comme le monde avait grandi et embelli sous ses pas! Depuis son départ, il avait aimé chaque chemin, chaque averse, chaque effort, chaque halte, chaque lieu magique ou sacré. La Vouivre était là, lovée sous ses pieds, force vive et secrète.

A cet instant, il avait décidé de la suite : il passerait sa vie en chemin, pèlerin perpétuel, parcourant la route des lieux saints pour le compte de pénitents délégant leur repentir.

Pour tout bagage il emportait son chapeau, sa cape, sa besace, et le bourdon déjà poli par sa main, soutien, défense et guide, comme le sceptre d’un roi.

Vézelay, septembre 2012


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