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Les Estables juillet

2014

les photos du séjour sur le lien suivant 
http://aphanese.viabloga.com/news/les-estables-juillet-14?

  
s.e                                                      c.f                                                     ?

 

 

LA CROIX DE MEZENC

(Le Puy)

 

L'homme est sur le mont monté pour voir Mercure

La seule des cinq planètes,  qui reste si furtive

qu'elle s'est jusqu'aujourd'hui  dérobée à ces yeux.

 

Il a quitté ces rêves  pour monter dans la nuit

la sente qui le mène  au sommet, pour l'attendre.

Il visite le ciel,  d'Andromède à Spica

D'Antarès à Orion,  Cassiopée à Véga.

 

Blanche Vénus se lève,  éblouissante et crue

le pourpre à l'horizon  annonce bientôt l'aube

Mercure se calcule,  puis ensuite se devine

Enfin elle s'offre à lui,  drapée de rouge et bleu

 

« Tout ce que je pouvais voir,  je l'ai  vu dans le ciel »,

pense l'homme comblé,  qui, bras en croix, s'étire

et qu'un profond soupir  semble avoir contenté

 

Chacune de ses compagnes  de la nuit le salue,

lui volent un souvenir  avant de s'évanouir.

Orion subtilise  sa mémoire des combats

Tout l'album de famille,  Cassiopée lui prend

de toute son enfance,  grande ourse se repaît

 

Comme il voudrait s'enfuir,  deux serpents de mica

lui montent le long des jambes  tout au long de son dos

raidissent tout les muscles  et soudent tous les os,

le voilà pris au piège,  les yeux à l'horizon

 
          Vénus est encore là,  descend du firmament

se pose devant lui,  fluide, soyeuse et nue

lui sourit comme une mère  à son enfant malade

du dos de ses doigts fins  elle essuie ses larmes.

 

D'une caresse elle pose  dans sa main un caillou

dans l'autre délicatement  pose un bel œuf blanc.

Elle s'envole légère,  dans ses long cheveux roux

elle emporte avec elle  toutes ses nuits d'amour

 

Vous êtes donc si fier  d'avoir tout pu voir ?

Vous auriez du comprendre  qu'il n'y a rien à comprendre

Vous êtes comme ces fourmis  qui courent sur le sable

et qui ne savent rien  des vents et des marées.

 

Explosent les rayons  de l'aube sur le mont,

sur la grande croix de fer  où s'accouplent les taons,

sur une branche un caillou,  sur l'autre une coquille,

brisée.

 

        18 juillet 2014

                  ERIC


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LE JOUR SE LEVE

 

 

Le jour se lève, le soleil apparait avec force et rapidité et vous me persuadez alors que l’essentiel se trouve là, à cet instant précis où le ciel se déchire.

 

Marcher de bon matin, traverser une forêt de sapin d’où surgit un puits de lumière. S’asseoir près du précipice, écouter le silence et penser qu’être ici, en Ardèche, à la saison sèche, est une chance.

 

Mais le spectacle de la naissance d’un jour nouveau réveille les démons endormis depuis longtemps. Le feu de la révolte s’anime en vous et la flamme grandit.

 

Le soleil fait son apparition. Les rayons illuminent la vaste étendue de collines, aux verts qui se déploient sur différents tons. Il s’émerveille devant tant de beauté. Au sommet, ce qu’il découvre le saisi : d’abord des superpositions de collines usées par le temps, puis le ciel bleu gris. Lui, c’est la mer qu’il voit. La pomme de pin ramassée plus tôt, lui rappelle  le  lieu  familier  de  son  enfance : l’océan.

 

Pourtant, vous voulez crier votre douleur : vous êtes ébloui ! Trop d’éclats deviennent insupportables. La survenue de l’aube bouleverse tout. La lumière vous aveugle et vous ne pouvez plus regarder le monde dans lequel vous vivez.

 

Je suis au bord de la Loire et je l’entends s’écouler lentement. Il me faut la traverser à pied car ma route est ainsi tracée : mon chemin se poursuit de l’autre côté de la rive. Je suis au milieu du fleuve. Je m’imagine au milieu de l’océan, seul au monde. Je suis entre les deux rives et le monde s’ouvre à moi. C’est ça, la vie s’ouvre à moi. La lumière scintille sur l’eau et la chaleur des rayons caresse ma peau. Je n’ai pas peur, j’avance lentement, prudemment. La libellule trouble mes pensées. Elle tournoie et sa légèreté m’enseigne que la liberté que je cherche est là. Elle semble insaisissable, comme un petit point dans le ciel inatteignable et cependant, elle est bien là.

 

Or, vous souvenez-vous de cette dernière nuit, celle d’avant la traversée du fleuve ? Cette nuit si douce, le ciel étoilé qui vous entourait et la sérénité qui en découlait. La blancheur immaculée du ciel au lever du jour aurait dû vous apaiser. Il n’en a rien été : à cet instant, tout a bouillonné en vous. La colère sourde mais présente, vous a envahi. Trop de luminosité semblait vous agresser. La nuit vous tranquillise. Les ombres géantes alors ne s’accrochent plus à vous. Le ciel vous enveloppe et vous êtes rassuré.

 

Et un autre jour se lèvera, un autre encore et encore. Vous serez inquiet, troublé, perdu, jusqu’à ce que, le moment venu, vous en rirez !

 

Chantal F.

18 Juillet 2014

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                                      Un chemin à l’ombre

 

                                           La première route

de son enfance

était très droite

bordée de platanes

c'était la rou-te

des vacances

joyeuses malgré le mal de cœur

 

Elle en prit d'autres

en grandissant

car la famille

souvent fabrique

mêlée au bon-heur évident

une réserve de dynamite

  

      Elle connut, dès la fuite, un trésor qu'elle garda

elle connut des instants où elle n'attendait pas

le présent était là ! Rien n'était à attendre

pour goûter le plaisir, et s'arrêter enfin

 

mais ces chemins sont longs, divers, pénibles ou heureux.

L'action militante, effrénée, qui n'était pas pour elle

mais lui apporta tant, la combla un moment, puis lui parut corvée.

 

    Vous tous, qui voulez la lumière à tous prix, même vous, madame, sans           

    toujours le savoir, pensez-vous pouvoir la capter sans jamais vous renier ?        

    Tous ces feux incendiaires qui font resplendir votre voix, vos visages,vos         

    paroles, votre moi, votre égo,vos idées, empêchent parfois l’ombre de           

    tracer son chemin..

    Or, sans ombre, vous n’avez pas de vie. Vous n’êtes qu’un fantôme flottant      

    entre deux mondes. Laissez venir votre ombre, madame, sans vous en           

    ombrager.

    lorsque point le soleil et jusqu’au crépuscule, les illusions sont fortes, car il     

    sait absorber les défauts, donner éclat, fulgurance, mais par là-même          

    aveugler ceux qui trop lui font confiance.

 

Elle marcha longtemps sur la trace de son ombre, chercha comment relier le haut, le bas du corps, l’un porteur des idées, l’autre des émotions...

 

Travail de longue haleine, proche de l’écriture.

 

Elle parcourut le monde ou souvent le pays, en s’entourant d’amis, en rencontrant l’amour.

 

Travail de longue haleine, qui toujours se poursuit.

 

 Travail de tout mon être, qui parfois se détend.

Il est mon vrai travail: le corps dans son entier.

je l’écoute, attentive

La respiration s’amplifie, le sternum s’élargit

Les côtes s’écartent pour accueillir le souffle

Le diaphragme se desserre pour laisser le ventre se déployer sereinement

La gorge s’ouvre comme pour chanter... Je chante...

 

Béatitude d’un instant peut-être

Le sourire apparait comme une ultime détente du corps entier.

 

J’entends dans mon oreille la voix de l’oracle murmurer:

     « Vous avez fait briller ce qui restait caché. Illuminez encore ce qui n’ose  

        sortir. Un rayon bien placé n’éblouit pas toujours».

 

                                                                        Babé      (mezenc juillet 2014)



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 Par une nuit étoilée, peut-être comme moi entendrez-vous vos pas donnant un son mat sur le tapis d’aiguilles. Les pins sont comme cendres dans la sombre lueur. Peut-être comme moi longerez-vous un étang tout scintillant d’argent du reflet de la lune. Arrivé au sommet l’horizon apparait, ombre sur les ténèbres. Peut-être comme moi attendrez-vous l’aube empourprée, l’horizon incandescent. Là-bas les vallons s’embrument de bleu tendre. Plus tard, le pays sèche d’une douceur mordorée. Plus tard, un peu de la nuit fraîche va se cacher dans l’herbe. Plus tard, sous le soleil. Je m’allonge dans un pré, là-haut, sous cette pureté bleue. Le vent m’enlace et se pend à mon cou, virevolte devant moi. Une longue tige vert tendre se prend à danser. Sa danse est comme un chant. Menu, menu, d’une voix fluette. Elle est simple et si légère. De droite à gauche, de gauche à droite. Des fois elle plie jusqu’à la hanche, des fois se penche un peu seulement. Est-ce la brise qui la mène ou de sa danse le vent nait-il ? Je me laisse bercer avec elle, je prends son doux balancement. C’est doux, c’est chaud, c’est éternel. Une heure, mille ans ou un million. Eté. Hier encore, il y a des siècles, j’étais cet enfant de lumière. L’herbe se brasse contre ses cuisses, caresse moussue contre son ventre. Ca pique un peu et ça chatouille. C’est une jungle bleue et chaude qu’il domine de sa tête, des épaules et du regard. Il avance à petits pas, l’onde profonde de la prairie monte à sa poitrine, et un miracle se produit. Des myriades de sauterelles giclent devant lui comme une gerbe d’étincelles.

Il rit.

Il est un géant, et il rit.

Il court, les mains en l’air il court et ça jaillit autour de lui comme une écume sur une proue fendant l’eau verte du grand pré. Il crie au soleil et l’herbe répond d’une pluie vivante qui monte au ciel. Il rit. La prairie se frotte chff chff chff contre ses jambes nues et contre sa poitrine, les sauterelles fusent clc clc clc dans toutes les directions, elles sautent, sautent, sautent, il est au centre d’un ballet et d’une symphonie. La lumière le traverse, les odeurs rousses des hautes herbes baignent ses narines, il est feu follet, il sautille, il rit. Il est un rire ensoleillé éblouissant la campagne de bleu azur, de fauve et d’or.

Je souris. Mes cheveux sont au soleil. Le vent joue sur mon front comme le souffle d’une mère. La chaleur monte de la terre. Je me lève, j’embrasse encore l’horizon, soupire et je redescends à travers bois. Le soleil tombe en cascade, éclabousse les futaies et tache la douce sente. Fraîcheur de fontaine. Ca coule de partout. Frou-frou de verdure. Chaleur. Murmure. L’eau endiamantée. Ca brille dans les sous-bois. Regard perdu. Ombre embrindillée de mauve, de vert et d’or. Ballet des fougères. Un grand sapin pointe le point blanc de l’avion silencieux. C’est droit un arbre ! Plus loin, le ciel d’été tout piqué par les cimes. Plus loin. Velours vert des monts endimanchés qu’on voudrait caresser. Plus loin. Dans l’échancrure du bois apparait un instant un dôme hiératique de vert moussu drapé. Plus loin. Partout l’ombre bleue, partout les chants d’oiseau. Et le sentier diapré du moelleux d’une glaise. Roulement de pierres. Crissement du sable. Sentier. Pétales, clochettes, trompettes, soleils, chevelures, collerettes, boutons, jaunes, bleus, beurre ou blancs, mauves, pourpres, or, violets, garance, les corolles ouvertes. Tout se tourne vers le soleil. Craquant des brindilles. Soleil. Les sapins sur les pentes serrés, en foules, en assemblées, se chauffent face au ciel. Résine huilée. Et le silence bruit. Ca trille, ça pépie, ça gazouille et ça siffle à pleine gorgée pointue, ça crécelle, ça stridule, ça vibre, ça bourdonne, ça scie, ça vibrionne. Et le silence bruit.

Surtout ne plus bouger. L’heure immobile lentement s’éternise.

Souffle.

Souffle.

Un filet de lumière fin comme une corde de harpe se pose à mes pieds et vibre pour moi.  Musique silencieuse et chaude, épaisse comme du lait qui coule des canopées. Je ferme les yeux. Je respire.

Derrière mes paupières closes, je respire.

A travers mes paupières une rougeur palpite. Une perle de lumière me cherche entre les branches qui bercent sur ma tête. J’ouvre les yeux.

Patiente et sereine, c’est la corde de lumière qui doucement m’appelle. Je sens entrer en moi comme une résonnance. Je vibre moi aussi. Le silence me pénètre. Je me mets à vibrer, à vibrer de lumière, à vibrer bleu et or, et papillon-pétale, je suis ombre et soleil, je bourdonne tout bas, je chante à plein silence la gloire des futaies, la douceur des sous-bois, je sinue, caressant, entre les fûts des troncs, je bois à pleine bouche la fraîcheur de l’averse et l’éclat du ruisseau, je scintille mille feux.

Je m’ouvre en corolle.

Je suis.

Peut-être comme moi deviendrez-vous alors comme une transparence qui jette une clarté.

 
Marc B.

Haute-Loire, Aphanese Juillet 2014

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Chambre blanche

Je vous le dis, vous vous êtes fourvoyée dans cette idée de renaissance. Vous auriez du écouter notre maître et garder les pieds sur terre. Votre silence est comme cette chapelle où sur l’autel vous déposez votre vision de la vie. Je vous le dis, brûlez le voile de votre obstination, laissez les anges au ciel, les cœurs sont froids, les peaux craquantes. Votre intégration totale au sein de la communauté nécessite votre baptême dans une mer d’albâtre. Je vous le demande, je vous l’ordonne ! Mais vous répondez ! Vous osez dire non ! Toujours vivace  en vous ce rêve d’un jour où la nouveauté d’une naissance dans la limpidité de l’aube sera comme l’oiseau libre au-dessus de ce que vous nommez l’innommable.

Le lendemain elle s’en allait. Elle a filé sur la route dans le silence des cloches de l’église. Le jour se levait. A la croix, en équilibre sur deux versants elle a laissé son vélo, s’est engagée sur le sentier en fermant les yeux. Elle a entendu l’eau cristalline qui serpentait dans la fente amarante. Devenue amante elle était cette eau chantante à son oreille. Oreille coupelle, elle s’allongeait, devenait nageoire, nageait à contre-courant. Sur le dos, paupières ouvertes elle voyait le ciel au-travers de l’eau, miroir sans retour d’un visage sans contour. Quand elle s’est perdue, l’eau infiltrée s’est cognée aux pierres pulvérisées. Elle a ressenti l’oppression du manque de lumière, boue en bouche, la mort avant l’heure, le leurre du vivant qu’elle était juste avant. Elle a pleuré dans le noir dans l’entrelacs enlacé autour du pied de la fleur à la tête coupée. Souterraine elle a plongé à la source, de l’autre côté du versant. Elle a repris souffle au bout du chemin.

C’est ainsi maintenant que la nuit, dans cette chambre blanche je me réveille dans une eau glacée. Je flotte. Pour survivre je me laisse aller dans le courant du temps d’avant. C’est à la source que je veux revenir. Je veux retrouver les poissons confiants qui gonflent leurs ouïes pour mieux entendre le vent chargé des promesses à venir. Le vent accablant de silence se répand dans ma chambre blanche, il enfle, emplit l’espace en son entier, puis s’évade à travers les barreaux dans la nuit étoilée. Ici pas de bruit qui saigne mes oreilles, amorce d’une nouvelle écorce, écaille de pierre, fusion d’un jaillissement liquéfié du centre de la terre. Je vois dans ma chambre blanche la nageoire messagère d’un monde qui s’est arrêté. Nécessité de rien. Le drap blanc est un nuage où je mets pied à terre. De là-haut je les vois. Ils sont nombreux. Tous immobiles, ils convergent dans la même direction. Ma peau est leur peau alors je les rejoins. Dans l’aube naissance ils m’emportent jusqu’à  la nuit suivante. Je baigne dans le courant du temps d’avant pour mieux entendre le vent chargé des promesses de la vie, mais chaque matin c’est le cliquetis des clefs que j’entends avant que ne s’ouvre la porte de ma chambre blanche.

simone d.
         juillet 2014

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CHEMINS

(Autour du Mont Mézenc)

 

        Notre marche s’enroule entre monts et vallées, nos pas s’inscrivent et nous disent chaque soir ce qui tissera la toile et non la fin de l’histoire.

        Quand un monstre d’acier nous barre le chemin, notre troupe égarée se permet de savoir. Comme les marins d’une mer de sapins, les hommes de la forêt ont la force et la rudesse. La machine impressionne ; les troncs des sapins serrés dans ses griffes se trainent, déchus. Le bois craque, un tronc a cédé. Il broie, soulève encore, emporte tout dans ses mâchoires. Odeur puissante de résine, le pas se fait souple sur les branchages ; tapis vert argent, parfums entêtants.

        Les fûts allongés accueillent un repos furtif de gourmandise abricot mêlée d’amandes. La lumière du midi nous inonde de verts, émeraude ou jade, ombrés par la forêt de sapins. Un jeune hêtre téméraire s’accroche à la roche. L’eau du torrent ruissèle sur une plage accueillante.

         Silence du repas dans le chant de l’eau. Un oiseau répond.

         Le chemin reprend lentement dans la distraction des fraises. Ma bouche accueille leur goût de sucre acidulé. Un miroitement d’eau trébuche sur les pierres mouillées. Le vent glisse et rafraîchit d’une brume humide. Et puis les odeurs s’échauffent et le papillon, lascif, se balance dans la lumière irisée. Sourire du géranium à la porte du mazet au toit de lauzes auprès du potager et des ruches bruissantes. Je grimpe et glisse, brillance mousseuse. La forêt nous avale, odeur grasse d’humus, troncs, bois. Et d’un coup l’éblouissement au soleil d’un champ fleuri d’où émerge à nouveau le pic dominateur.

        Plissé soleil du piton volcanique, monstre élégant courtisé par la Loire. Attirée par le ruban moiré, je me fais couturière à petits pas légers. Une plage sableuse m’offre une trêve à l’ombre d’un noisetier. Mes paupières baissées filtrent la lumière, seuls les pointillés irisés entre mes cils maintiennent ma conscience éveillée. Le roulement de l’eau me gagne. Je suis dans le mouvement du courant ricochant sur les pierres. Un cri d’enfant me fait chavirer. Un bouffée liquide et chaude m’envahit, me transporte au loin vers Guilhem, dans l’adoration de cet enfant merveilleux. Rivée à la frange lumineuse de mes paupières, je sais où est mon étoile. Rêveuse, je lui invente une histoire.

         Il était une fois, un petit sapin esseulé au bord du chemin. Le vent l’avait porté là par hasard et il avait grandi, seul de son espèce, à l’écart de la forêt où se serraient ses frères. Il n’aimait pas ses aiguilles et aurait voulu se fondre dans la masse sombre de sa famille. Comme il les enviait, tous, serrés les uns contre les autres, solidaires dans les épreuves. Le vent ne les ployait pas, la neige ne les pénétrait pas. Lui devait se méfier des ronces qui l’empêchaient de respirer, supporter le froid. Il avait peur du vent, la nuit, qui venait le tordre. Mais il aimait le soleil qui l’aidait à pousser bien droit et il en profitait tant qu’il pouvait. Plus il grandissait, plus la vie était facile. Un jour, il fut assez grand pour voir plus loin que la forêt des sapins noirs. Comme à chaque printemps, il se couvrit de pousses brillantes et se sentit fort. L’air lui parut léger, parfumé du tapis fleuri qui l’entourait. Il se plut à faire chanter le vent dans la lumière argentée. La forêt avait perdu son éclat. Dans les troncs serrés, le vent était lugubre, la vie disparaissait ; la terre acide ne fleurissait plus. Mais lui ne les voyait pas ; il regardait loin, de plus en plus loin. Il découvrait un monde multiple que la course du soleil transformait toujours. Il pouvait s’endormir dans l’effleurement du brouillard et être réveillé par la morsure ardente des premiers rayons. Il savait apprivoiser le temps. Les oiseaux habitaient ses branchages et lui racontaient leurs voyages. Cela nourrissait ses rêves projetés dans l’infini vallonné jusqu’à l’horizon lacté. Il accueillait la nuit tranquillement respirant le ciel étoilé.

        Je sortis de mon songe pour fixer quelques images photographiques ; je te les montrerai, Guilhem, dans quelques jours.

         Et la nuit est tombée pour un autre matin. Une nuit illuminée d’astres où Mercure eut rendez-vous avec Vénus. A l’aube, sur le mont ensommeillé, je vous ai retrouvé.

        La vision de l’Orient empourpré vous a transporté vers le pays adoré. La Terre-Lumière de la Grèce est votre inspiratrice. Vous y retrouvé le souffle de la beauté salvatrice. Dans le bleu de ses îles, vous renaissez chaque fois. Vous rencontrez les mots d’une langue immortelle dans l’éclat mélodieux d’une voix familière. Vous vous laissez bercer sur les ponts des navires entre miroitement de l’eau et éblouissement solaire. Là, dans la plénitude des jours, vous vibrez, heureux et vivant dans l’harmonie d’un monde souriant. Vous vous enveloppez de l’ombre des étés quand la fraîcheur des persiennes épargne la morsure du soleil. Et si l’hiver revient et que le temps s’allonge, l’olivier préserve son feuillage argenté. Vous aimez la noblesse de cet arbre nourricier, témoin éternel de notre humanité. Alors vous conduirez nos enfants vers ce monde fertile, pour qu’ils sachent à leur tour cultiver la beauté.

 

 

Odile Estival – 18 juillet 2014


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Fusions

Elle pensait qu’elle aurait perdu la mémoire, mais elle allait se retrouver dans une situation telle qu’elle lui rappellerait ce qu’elle avait appris, et transmis à d’autres. Malgré elle, elle se fondrait avec la nature, et vous verrez que ce terme « fondre » convient parfaitement.

Elle s’était éloignée du groupe de marcheurs pour découvrir seule la vue depuis le sommet du Mont Mezenc. Se tournant sur elle-même, elle fut étourdie par cette immensité et vous l’auriez vue reculer ou plutôt basculer très légèrement en arrière. Elle fut tant sonnée qu’elle dut s’assoir et reprendre son souffle. Son regard se posa vers l’Est et elle balaya le paysage ; elle se sentit soulevée, s’imagina planant librement comme un rapace, l’aigle royal, puissant, habile, l’air glissant sur ses plumes…Elle contourna le pic rocheux, se sentit soudain tomber en vrille et se rétablit difficilement en se posant au bord de la falaise. C’est là que vous l’auriez vue comme aspirée par la roche grise, avalée, comme si elle allait en faire partie…A ce moment, et seulement à ce moment là, tout lui revint en mémoire. Cette roche était le granite du Puy-en-Velay qui a une histoire étonnante. Elle sortit de son voyage virtuel, trouva à ses pieds les débris de cette roche qu’elle ramassa, geste qu’elle faisait machinalement pour en étudier les minéraux. Cette association intime et fusionnelle d’éléments l’interpella : n’est-on pas soi-même multiple, fait d’un ensemble passé, présent et futur ? Née, à l’origine de la planète, il y a 4 milliards d’années, d’éruptions volcaniques, cette pierre ne rappelle-t-elle pas notre naissance, soudaine et violente ? Durcie, elle a ensuite subi de fortes températures et pressions et a fondu. Cette fusion lente sous pression donnant une pâte molle malaxée lui rappelle l’éducation reçue qui avait pétri, modelé l’enfant qu’elle avait été : elle aussi avait subi contraintes et manipulations. Pourtant elle se rappela que ce granite possédait des enclaves de roches métamorphiques, d’origine réfractaire, qui avaient résisté à la dernière transformation. N’avait-elle pas aussi résisté à ces pressions en créant sa propre armure, sa coquille, sa carapace ? gardé intacts ses rêves, ses désirs, ses voyages intérieurs ? protégé ses parties d’elle-même indestructibles et inviolables …et aussi solides que ces roches étaient dures ?

Elle se leva, se rafraîchit avec l’eau d’un torrent : elle voulait se laver de cette lave qui l’engluait. Retrouvant les autres randonneurs, elle échangea quelques mots sur le panorama, mais elle se sentait ébranlée. Je ne suis qu’une roche, effritée par l’érosion… se dit-elle. Je marche, le sentier défile à mes pieds et pourtant je me sens freinée. Serait-ce mon sac qui me tire vers l’arrière ? se serait-il rempli de pierres ? Pourrai-je terminer cette randonnée et revenir à mon point de départ ? Envie de m’arrêter, de me laisser aller, sauter dans le vide attirant du bord de la falaise…

Quand, soudain, des grelots me réveillent ! De jolies notes métalliques, brillantes, me chatouillent. J’écoute, les oreilles sorties. Ce son de cloches provient du champ, derrière la haie. J’écoute, les yeux sortis. Je sens mon cœur battre avec violence : pourquoi tant de réaction à des sonnailles de vaches ? J’écoute, tous les sens en éveil. C’est le silence. Je suis impatiente ! Et là, des notes irrégulières, comme une musique moderne, se glissent dans mes oreilles, me prennent par le corps, me chahutent le cœur. Je ferme les yeux pour déguster une joie intérieure immense, qui me fait frissonner, me transporte, je suis prête à m’évader. Je veux retrouver ces sons envoutants, m’y noyer, m’y fondre de plaisir. Un coup grave, comme une massue, cogne : donnegue. Il résonne longtemps dans ma tête puis s’évanouit. Puis il reprend, donnegue, donnegue, effaçant les bruits environnants par sa force et son intensité sourde. Ce son s’impose à moi, me renverse, m’assourdit : le carillon de l’église est trop fort, je me recroqueville comme une huître. M’apparaît alors la cloche de l’église de mon village qui danse, danse devant mes yeux d’enfant et cogne, cogne dans ma tête. C’est le jour de Pâques, les cloches ailées vont m’apporter des œufs, j’irai les cueillir dans le jardin, je savourerai le chocolat, je le ferai fondre sur ma langue,  je ne le partagerai pas !…J’entends des cris d’enfants gais et rieurs. J’écarquille les yeux et je les découvre alors, jouant à cache-cache…Je n’ai plus que des cailloux à ramasser, me dis-je, avec nostalgie.

Le soleil baisse alors à l’horizon et lance ses derniers rais de lumière chaude. Comme des projecteurs de théâtre, ils vous éblouissent de leur éclat d’or écarlate. Vous continuez pourtant à les regarder, happé par ce feu qui brule votre rétine. Ses flammes vous attirent comme les lucioles émettant leurs signaux phosphorescents, comme le phare guidant les bateaux dans la nuit. Puis, sans prévenir, vous êtes dans l’ombre, le puits de lumière s’est refermé derrière la montagne. La nuit va tomber, il va falloir vite rentrer. Une étoile apparaît et vous voilà rassuré…vous pourrez revenir demain, vous fondre dans le paysage…

Juillet 2014, Mont Mézenc, Aphanèse

Véronique D-E


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L'ODYSSÉE

 

14/07/14....13°C

 

Il manquait un degré à cette journée pour vibrer juste.

La terre gorgée de pluie enveloppait d'une fraicheur tardive cet été décidément trop humide.

Elle qui aimait tant se réfugier dans cet univers prévisible et rassurant des  mathématiques dont elle avait fait son métier, ressentit la brûlure douloureuse et familière qu'il lui manquait toujours « un ».

C'était le drame de sa vie.

« Deux fois sept quatorze » pensa-t-elle, conservant ce fantasme infantile qu'avec les nombres pairs et tout ce qui va par deux, tout problème a une solution.

Ce « 13 » impair et superstitieux de l'affichage digital en caractères oranges sur le départ de sa randonnée pour le mont Mezenc, faisait voler en éclat ses espoirs de la journée.

Pour rester fidèle au hasard dans lequel elle voyait un frôlement de l'univers lui redonnant courage quand tout l'abandonnait, elle détourna son regard et partit sans attendre que la température augmente pour rectifier cet équilibre malmené.

D'un pas assuré elle emprunta le sentier de pierres volcaniques  qu'assombrissait un couvercle de nuages solidement clipsés à chacun des sommets. D'un geste ample, elle enroula son écharpe colorée autour de son cou, emprisonnant dans le même mouvement ses longs cheveux soyeux. Ses chaussures fermement lacées écrasaient l'herbe bleuie par le gel du matin. Le même froid l'habitait.

Le gris anthracite du chemin céda progressivement la place à un océan de verts multiples comme dans un rêve d'aquarelliste.

Derrière un murmure serpentait un ruban cristallin entre ocre des gentianes  et parme des violettes timides. Ou était-ce des pensées sauvages ? Elle n'avait jamais su faire la différence. « Timide ou sauvage, les deux sont à apprivoiser » pensa-t-elle.

Elle arrêta sa marche pour plonger son regard noisette dans l'eau qu'elle devinait froide. Elle se laissa aller dans cette fluidité évidente qu'aucun obstacle n'entravait.

Des galets moussus frémissaient aux douces caresses de l'onde, elle-même soutenue et guidée par leur force et leur immobilité.

Elle s'assit près de l'eau aimant ce mouvement bruissant qui la captivait et l'apaisait.

Un frêle esquif tremblant interrompit sa rêverie et son odyssée, arrêté par un enchevêtrement de racines. Elle reconnut l'écorce d'un hêtre à son velouté ocré, régulièrement piqueté de traits rouges sang. Il exposait au soleil l'intérieur de cette peau rugueuse et protectrice arrachée à l'arbre qui l'avait si longtemps portée, sans espoir de retour.

Elle regarda frémir ce vestige d'un temps d'alliance et de vie révolu.

Le courant capricieux le libéra aussi brutalement qu'il l'avait déposé là,  dans une séparation prématurée. La jeune femme se leva curieuse de le suivre dans son voyage.

Près de la croix des Bouttières une sauterelle verte ayant trouvé passeur, un peu de vie s'invita à bord de ce canot providentiel.

 

Soudain l'air se figea, les arbres se rapprochèrent éloignant le ciel et la chaleur du soleil qui commençait à peine à la réchauffer. L'insecte disparu laissa l'embarcation vide traverser un cimetière d'arbres morts, cadavres calcinés tendant dans l'obscurité leurs branches noirâtres et cassantes comme autant de désespérantes suppliques.

Le courant emportant trop lentement l'écorce écorchée de tant de douleurs muettes vers la prochaine clairière et ses espoirs d'été, la jeune femme frissonnante décida de bifurquer et de laisser le ruisseau et son embarcation poursuivre leur périple sans elle. Elle avait soif de soleil et d'arbres vivants.

 

Tel un tournesol, elle se laissa guider par l'ouverture d'une  clairière que dominait un éboulis de roches sombres aux arêtes tranchantes coiffées de nuages effilochés tissant des baldaquins éphémères entre ciel et terre.

Elle caressa la robe en plissé soleil anthracite de la pierre volcanique et y appuya tout son corps. Elle espérait y sentir le grondement ancien des volcans avant qu'ils ne s'éteignent, certaine du pouvoir de la terre d'être la gardienne de la mémoire de toute la vie qu'elle a portée.

La roche lui répondit que sous le tulle noir de la montagne endormie, le deuil ne dure qu'un instant géologique. Un instant seulement.

Elle l'envia.

 

Elle retrouva le nord et longea un pré où paissaient des dizaines de brebis. Leur corps dénudés par la tonte récente provoqua en elle une forte sensation de vulnérabilité. Troublée, elle se mit à penser à leur sort de troupeau :

 

« Vous restez agrégées à la lumière de l'aube.

Indifférentes aux lueurs orangées, vous gardez la tête fléchie sous le poids vide de vos pensées.

Oreilles tombantes,  museaux résignés et collés au sol, vous attendez que le corps d'une autre se soude au votre pour ne faire qu'un.

Auriez-vous peur de perdre la direction d'un chemin que vous ne voulez  pas emprunter ?

Vos regards bordés de longs cils se voilent d'une incompréhension de ce monde qui est le vôtre. Il se réduit à un enclos où votre seule liberté est de quitter cet agrégat pour un rejoindre un autre. Vous ne buvez que si celle qui vous précède a soif.

Vos corps enchevêtrés projettent des ombres immenses de monstres sans tête, à mille pattes, que des patous menaçants vous forceront à reformer à la moindre menace de dislocation ou de tentative d'évasion.

Que vous importe la turbulente et joyeuse danse des hirondelles qui se croisent dans des battements d'ailes blanches et noires, dès les brumes du matin jusqu'aux dernières lueurs du crépuscule ? Vos pâles lueurs d'intelligence ne vous permettront pas de constater leur absence les jours de pluie où elles attendent sagement le retour du soleil dans leur nid de terre patiemment bâtis sous le toit de votre bergerie où vous n'aurez même pas eu la sagesse de vous mettre à l'abri, aucune de vous n'y ayant pensé. »

 

Elle frissonna abandonnant les ovins à leur destin pour s'avancer sur le chemin forestier, attirée par le bourdonnement sourd d'un moteur accompagné d'une odeur de fuel collante. Un engin de débardage grondait et hoquetait en équilibre sur trois roues, la quatrième dangereusement suspendue au-dessus du vide. De l'ouverture métallique aux deux incisives dentées, sortaient des filins d'acier comme des langues « caméléonesques » qui ramenaient dans la gueule hoquetante des troncs prêts à être broyés.

Fascinée, elle admira la puissance de la machine et la dextérité de ce forestier semblant ne faire qu'un avec son engin.

Lasse du bruit elle s'éloigna et poursuivit jusqu'au sommet.

Elle s'assit au pied de la croix et inspira profondément. Lentement.

Un silence habité l'emplit.

Il était là simplement comme un soleil au creux de ses côtes et diffusait une lumière douce en vagues régulières.

D'où venait-il ? Elle le savait mais n'osait l'accepter.

Comme un moteur qui tournait sans relâche depuis des mois, il venait de se couper. Tous les sons familiers et rassurants repoussés depuis trop longtemps en périphérie par la cacophonie de ses pensées, pouvaient enfin vibrer.

La lumière déclinait lentement, l'ombre se déplaçait, inexorablement. Un oiseau s'envola. Toute tentative de saisir cet instant était vaine, car ne s'encombrant pas du souvenir de ce qui n'était déjà plus, il avait laissé sa place à l'instant suivant

Le temps s'écoulait sans qu'elle eut besoin de le mesurer. Elle se leva. Des ronces la griffant au mollet lui laissèrent une délicieuse sensation de brûlure. Elle était vivante. Elle avait oublié trop longtemps ce corps dans sa négligence à l'habiter.  Elle sut qu'il était l'heure de rentrer chez elle.

 

Michelle

Les Estables  Juillet 2014

 

 

 

 


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