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Lot mai 2018

   

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celui de juillet et d'août 2017 
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Famille

 

L’esprit a parfois de ces inflorescences, de ces tâtonnements, de ces hésitations, une sorte de pudeur, méandres de pensées qui, par la ligne courbe, nous mènent en ligne droite. Hier, un livre contant l’histoire de Cortez au Mexique posé sur les genoux, je m’abîmais au jardin dans la contemplation d’un nuage que rosissait le soir dans cette heure pleine de nostalgie où la chaleur éblouissante du jour s’abandonne lentement à la nuit. Mon âme vagabondait dans une mélancolie. J’entendais des pépiements liquides que l’épaisseur de l’air vespéral absorbait pour n’en laisser saillir que la pointe émoussée, j’entendais le cri plongeant des hirondelles, le crépitement des sauts de sauterelles, le grattement des fourmilières, l’écho sourd et moelleux de la terre assouplie, j’entendais le fin voile de pudeur que la brise jetait sur toute la nature, le chant d’îlot perdu du nuage sombrant à l’horizon, j’entendais le chant des albatros, j’entendais le frémissement de voiles vibrant au vent, les cris de la vigie, les chevaux hennissant sur une terre nouvelle, j’entendais les hurlements noyés dans la fournaise des indiens au bûcher, j’entendais les rires gras, les brassées d’écus d’or, j’entendais les glaçons tinter dedans les verres, les secrets s’échanger et trinquer les ententes, j’entendais une bombe explosant quelque part dans un rire de cristal, j’entendais Aznavour chanter à la radio, j’entendais une fanfare marchant en parade descendant le boulevard, j’entendais le chuintement de l’économe sur la chair de la carotte et la chair du navet et les borborygmes de la cuisson dans le faitout, j’entendais le craquement sec de pneus sur le gravier, le craquement sourd des glaciers sous le poids du soleil et celui de la terre qui se  fendille, une portière qui se ferme. J’entendais le pleur muet d’un enfant de trois ans qu’on abandonne.

C’était une nuit encadrant une nuit. Il faisait chaud, on était en été, on la laissait ouverte sur les sommets des Alpes perdus dans les ténèbres. De mon tout petit lit, couvertures tremblantes tirées jusqu’aux narines, j’écarquillais mes yeux, n’osant le moindre bruit. Des pas au dehors, des pas venaient d’en bas, juste sous la fenêtre, du pied de la bâtisse, qui allaient et venaient. Des pas lourds et lents, des pas menaçants. Des pas qui semblaient ne s’adresser qu’à moi, insistants, crissant sourdement sur le gravier. A l’aplomb de ces pas, se découpant sur l’écran à peine plus clair des deux battants ouverts, l’ombre d’un bandit, chapeau abaissé pour mieux cacher ses yeux, pistolet au menton, cherchait à percer la nuit de la chambrée par la trouée de la fenêtre. Le bandit tremblait d’énervement quand soufflait le vent, il allongeait le cou et faisait fffffffff. Puis il tournait la tête et faisait shhhhhhhhhh. Je retenais mon souffle. Je voyais bien, le jour, quand le soleil tintait, que ce n’était qu’un arbre. Mais la nuit revenue je l’oubliais d’un coup. Ces pas et cette ombre, c’était moi qu’ils cherchaient. Moi, et pas les autres. Le dortoir, invisible, bienheureux, murmurait un petit bruit de succion, un léger ronflement, des draps que l’on froisse. Et puis c’était tout. Un silence lourd comme l’oubli. Et le monde de nouveau étouffait de ténèbres. Et moi je restais raide, gisant dans son linceul. Pas un geste ou je suis mort. L’ombre. Me renfoncer dans la nuit, au plus profond, disparaitre. Les pas. Rester enfoui camouflé sous la laine. Mordre la couverture, ne pas pleurer, ne pas crier. Touffeur de canicule. Bain de sueur. Les pas. Le bandit géant au dehors.

Alors je pisse.

Je lâche la bonde. J’arrose, de rage, de colère et d’effroi silencieux. Sans bouger sous les draps. Mon urine est un cri, une protestation. Y fallait pas ! Le pipi devient fleuve qui inonde la chambrée, emporte la bâtisse pour noyer l’autre dehors, un fleuve de pipi qui leur dira qu’y fallait pas. Je pisse, je pisse, effrayé, je pisse, j’exulte, je sens la lente inondation des draps et du petit pyjama, des draps et du matelas. C’est pas bien, je sais, mais tant pis pour la monitrice et pour la directrice. Je suis trempé, c’est chaud et c’est mouillé. Alors les pas s’éloignent. Alors, les pas s’éloignent. Mes yeux, d’un coup, se font lourds. Tout mon corps se détend. Je flotte. Ne plus bouger pour que ça sèche. Tant pis pour eux. Y fallait pas. Y fallait pas. C’est pas ma faute. Y fallait pas.

Le lendemain.

C’est un grand champ derrière la lourde bâtisse, par-delà la terrasse où tous les autres jouent, c’est une grande prairie où les herbes sont hautes et me dépassent presque. Je suis en son milieu, caché, seul, et je regarde le soleil descendre sur la montagne. Je baigne dans un air doré et tiède et doux et seul. Au matin je me suis fait crier dessus devant les autres. On m’a crié dessus. Très fort. On m’a tiré l’oreille, on m’a tapé sur les fesses, on a agité un doigt menaçant devant mon nez et pendant tout ce temps on me criait dessus, les autres n’osaient pas bouger, je crois qu’ils avaient peur mais étaient soulagés que leurs draps restent secs et j’étais seul et je faisais oui de la tête quand on me criait tu as compris ? dis, je te parle, tu as compris ? en me secouant par le bras, et ça a duré longtemps, un peu plus et je faisais pipi sous moi, mais j’ai eu peur qu’on me crie encore plus fort alors je me suis mis à danser d’un pied sur l’autre parce que ça pressait et on m’a laissé courir aux cabinets.

J’ai pas pleuré.

Et après, les autres ont ri et se sont moqués en faisant des pantomimes.

Le ciel est bleu au-dessus de moi, d’un bleu profond et tiède que rien n’accroche. Je sens la langue du soleil qui lèche ma paume portée en écran devant mes yeux. Le ciel est bleu. Je baisse ma main et regarde autour de moi le terrain en pente qui plonge dans le vallon et plus loin la ligne fière de la montagne qui, elle aussi, regarde le soleil. Leurs cris aigus dans mon dos me parviennent à travers une épaisseur de silence. J’ai pas envie de jouer. Et pas avec eux. Je ferme les yeux. Un fourmillement de points lumineux surgissent, s’étalent et se tordent avant de disparaitre et je vois le bandit, mais juste un instant, et puis je vois la nuit de ma solitude.

Et je reste sans pensée, sans pleurer, surtout ne pas penser.

La brise caresse mes joues et fait voleter mes cheveux. Je l’entends qui murmure doucement au creux de mes oreilles. J’entends… J’entends un coucou, là, sur ma droite, et puis les vagues sifflantes d’hirondelles qui vont et viennent dans le vaste ciel, les pulsations électriques des grillons tout autour, un bourdonnement de miel qui passe sur ma gauche, et derrière, au-dessus, un roucoulement de tourterelle, au loin les éternuements secs d’une volée de choucas, le bip-bip d’un oiseau solitaire qui se rapproche dans mon dos et s’éloigne en ligne droite, une fourmi monte chatouiller mon mollet et puis en redescend, une herbe haute chatouille mon nez, dans le vent la prairie fait fffffffff, et puis elle fait shhhhhhhhhh en se frottant contre mon ventre, une sauterelle claque à mes pieds et se pose un instant sur mon genou avant de repartir, une odeur rousse de fourmilière monte de la terre, une odeur de montagne, une odeur de soir d’été, et l’haleine chaude du soleil sur ma face, et partout des oiseaux qui rivalisent de pépiements jaune vif et de vocalises qui roulent comme une fontaine.

J’ouvre les yeux.

Nous sommes tous face au soleil, nous dansons dans tout cet or, cette eau d’or et de cuivre qui doucement inonde le ciel, dont le ressac au vent nous brasse, dans un sens et puis dans l’autre, souplement, les yeux plissés, tous ensemble. Toute la prairie est un ballet qui danse dans le soir. Et j’en suis.

 

 

Marc B.

Aphanese, Cap Blanc mai 2018



 

Par les oreilles

 

 

Il bruinait et la route était humide. Je regardais mes e-mails sur mon smartphone, la bouche sèche de fatigue. Je rêvais d'arriver vite à la gare pour prendre un café à la machine et allumer une cigarette. Puis la voiture a glissé avec nous dedans et lorsqu'il la remise sur la route, nous nous sommes pris un camion blanc en pleine face. La tôle, en se fracassant, a poussé d'horribles hurlements.

 

Je suis partie par les oreilles en perdant toutes les formes et les couleurs. Une banquise devant les yeux.

 

Alors j'ai entendu le monde entier. J'ai entendu la plainte des grillons et la sérénade du serpent mort. J'ai entendu la respiration des blés verts et l'ivresse de la mouche gorgée de merde. J'ai entendu les marguerites frissonner de timidité sous la pluie et l'inquiétude de ma mère. J'ai entendu les clameurs des touffes d'herbe entre les pierres, j'ai entendu leur triomphe et j'ai entendu aussi le rire des rides de son visage à lui quand il sourit. J'ai entendu les soupirs d'aise de la mousse épaisse digérer chaque petite branche grise le long des chemins. Les mêmes soupirs d'aise que Philippe Agard, mon oncle, lorsqu'il termine son repas. J'ai entendu galoper tous les scarabées de tous les pays et tous les chevaux de toutes les plaines aussi. J'ai entendu les débats silencieux dans les fourmilières, ceux un peu moins, dans certaines familles, quand on parle de politique. J'ai entendu l’essoufflement de la limace qui se hisse sur un tronc et l’essoufflement d'un gros porc quand il s'écrase dans du satin après avoir prit une gamine. J'ai entendu la clameur des iris et celle d'un peuple qui gronde en marchant dans la rue, les boutons d'or qui tintent dans les champs et le trousseau de clés du geôlier à sa ceinture. J'ai entendu le baiser de deux cailloux qui roulent dans une pente et celui plus immobile d'un fils à son père, penché sur son linceul.

 

Puis le blanc s'est transformé en noir. Un trou dans l'espace.

 

Alors j'ai repris connaissance par les oreilles. Les râles de mes compagnons tout autour. L'idée exacte que je me faisais de l'apocalypse. L'odeur de la peur et du sang. Les bateaux en carton dans la mer. Des hommes des femmes et des enfants pèle mêle. Reprendre sa respiration. S'auto-checker. Comme un animal. J'ai vu.

 

Pas tout à fait comme Jules César mais pas loin quand même. Je porte des lauriers sur le crâne et ma toge est immaculée.

 

 

Mai 2018

Lucile D.



         Silence

Marchand du temps nonchalant sur le chemin, une invite à l’envolée au-dessus de l’eau couleur d’écorce, Lot, Mékong resserré, serpente dans la campagne verte à travers le paysage tranquille où un orvet sans patte apparaît  sur le chemin bruissant des voix humaines aux regards aveugles, pas ralentis, le corps mou fait le mort mais il est mort l’animal, gueule ouverte, s'arrêter, j’imagine entendre le souffle court de la bête comme ferait le frottement d’un tissu contre un autre tissu, aucun doute mais le doute persiste, je résiste, une pierre roule, j’entend le chuintement calcaire, précis, un seul chuintement sur ce chemin, l’ouïe et le regard d’un autre humain capte se chuintement, première écoute dans un monde où la furie est de mise mais où la caresse de la feuille buissonnière à mon passage étend une douce couverture à mes côtés comme l’eau de la cascade qui courre sans retenue fait sa route sans soucis du dénivelé de terrain bordé de champs cultivés où les chiens attachés aboient dans le lointain, je ne vois pas, j’entend seulement, c’est suffisant les aboiements étouffés, calfeutrés, noyés, le braiement d’un âne soudain, animal isolé, parqué dans un enclos électrifié, cerné par la falaise et l’eau ruisselante, j’entend un coucou tout au long de la marche faire la valse à quatre temps par-delà les murs d’une maison aux pierres blanches, toit lisse où une cheminée laisse filer les sonorités d’une musique silencieuse qui s’évapore pour rejoindre la mélopée des oiseaux qui flirtent avec les singes accrochés aux branches des arbres drapés de mousse du côté nord mais les buis sont morts, drapés de draps blanc, les larges mailles laissent passer la lumière, il est trop tard maintenant j’entend la forêt être envahie de cris qui ne devraient pas s’y tenir, j’entend ... mais peut-être les singes ne sont-ils que des grenouilles, des crapauds en métamorphose, opéra loufoque où la note tiendrait le haut de la portée sur une clef de fa ou de sol celui où je marche, où l’herbe écrasée ne crie pas, je n’entend pas, où le bouton d’or ne chante pas je n’entend pas mais j’entend derrière moi un pas qui devance un autre pas, puis un autre, léger, vivant emmitouflé dans un foulard coloré, j’entend … une feuille bruisse dans le vent où s’écrit des mots volés à l’instant dans le ciel chargé de pluie au-delà de la falaise colorée tout autant , je ne dors pas, je rêve, je ne rêve pas …  j’entend, là, derrière moi la vie  qui me suit me dépassera lumière du vent joie intense symphonie vivifiante!

 

    9 et 10 mai et autres minutes plus tard. 
    Cap Blanc 2018  
    Simone D. 

 

 


L’Ennemi d’enfance

Prologue…

 

 

Tu devras, par soucis de précision, obsession du détail, décrire parfaitement le perron monumental, sa volée de cinq ou six marches de pierres tièdes, l’auvent pyramidal de verre bosselé, la rambarde de fer forgé sévèrement plantée dans la maçonnerie plate encadrant la porte.

Simplement décrire la pierre, cette couleur inconnue de ta jeune vie, jaune ocre, et ce rouge, que tu penses rouge et que plus tard tu apprendras qu’on le nomme Terre de Sienne. Tu devras parler de cette chaleur qui monte du sol, t’enveloppes, te figes, et te plantes, là, sur ces marches au soleil de midi. Tu te rappelleras cette immobilité, cette frayeur installée, paralysie de tous tes membres face à l’immensité qui s’impose, toi qui ne sais que l’horizon de la mer, toi que rassure le jour tamisé des sous bois de chênes et de châtaigniers.

Ici, devant toi, le vertige. Tu te tiens face au vide.

Tu rediras l’assaut des volutes d’air chaud, cet air que ta jeune vie ne connaît pas, le frémissement de la pierre, partout la pierre, partout autour et en toi.

Oui, tu te souviens.

Je me souviens retenir ma respiration, sans doute la bouche entrouverte, la beauté du regard noyé de larmes. Dans mes yeux dansent les montagnes, je me souviens l’instant tant redouté, dans le rideau liquide du flot salé qui s’écoule sur mes joues, une main qui s’agite, une main qui m’abandonne, une main qui se résout en un dos qui s’arrondit, et s’évanouit en contrebas d’un chemin de poussière, père aimant qui disparaît et crucifie le silence.

Comment écrire cet appel du vide et dire cette incroyable douleur que l’enfant subit, droit et digne.

Je me souviens m’arracher au désastre, me retourner, et fragile, emboîter le pas de la silhouette massive qui se tient au dessus de moi. Petit automate, jambes bâtonnets qui flottent dans une culotte courte, bleue, en tergal, le tissu du dimanche. Je et la silhouette massive passent le seuil de la porte, de ce moment il subsiste la nette impression d’un passage du chaud au frais, incroyablement frais, tellement frais qu’instantanément la petite chemisette gluante de la sueur de vingt heures de train, couvre mon torse d’un froid sidéral. A ma droite, sur le côté, le balancement de ma valise à petits carreaux rouges dans la main forte de la silhouette massive, ma valise emportée, un monde en suspens. L’espace temps se contracte dans le boyau qui m’amène au dedans.

Désormais, plus rien de possible, sinon mes intestins qui se tordent, mes orteils qui se recroquevillent aux lanières de mes sandales blanches du dimanche, pas feutrés qui glissent sur le plancher. Tout droit ce couloir, comment le dire aujourd’hui, sinon tout droit, assez long pour dire tout droit, parce que des maisons aussi longues, ça possède forcément de longs couloirs, c’est comme ça, et au bout du couloir c’est forcément comme ça aussi que tu le nomme parce que c’est les mots qui conviennent, c’est ceux-là qui conviennent tu vois, et au bout de ce couloir, une pièce sombre elle aussi, tu sais que ça s’appelle un dortoir, tu n’en avais encore jamais vu, eh bien voilà, ça y est, tu le vois maintenant, lits de fer, tubes luisants dans la lumière hachée qui s’immisce entre les persiennes des volets fermés, couvres lits rouge sombre, bleus sombre, et devant mon petit corps tremblant ce casier dressé, seul de tous les casiers disposés entre chaque lit, non, je ne sais plus combien de lits, inutile d’insister, je ne me rappelles plus combien, c’est maintenant que devant lui seul de tous les casiers demeurés porte ouverte, je perçois, masqué par les vapeurs sournoises d’eau de Javel, l’odeur de la multitude qui plane, solide, au dessus des traversins silencieux.

Doucement, parce qu’elle a senti ma main trembler dans la sienne, la silhouette massive descend à ma hauteur, pose au sol la valise, ma valise, sourire, douce voix, tu vas faire une petite sieste maintenant, tu dois être fatigué après ce long voyage, et après tu verras avec moi tes camarades qui sont déjà arrivés. Regard interrogatif, la silhouette attend une réponse, non, pas de réponse, j’aimerai bien, mais il faudrait d’abord enlever la plaque de feutre que j’ai là, collée au palais.

Alors toujours aussi doucement la silhouette aux gestes précis ouvre ma valise, commence de disposer les vêtements sur le couvre lit pour vérifier que toutes les pièces sont bien étiquetées à mon nom, lettres rouges sur bandelettes blanches cousues au revers de chaque vêtement, sous-vêtement, paires de chaussettes, liste complète de la garde robe bien en vue sur le rabat intérieur de la valise, tandis que lentement, pieds parallèles et seul au bord de l’abîme, je dépose mes vêtements au pied de ce lit qui n’est pas mon lit, qui n’est pas mon nid, et qui empeste le propre.

 
Yannick.D


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