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Lot août



Atelier écriture du 19 au 25 août 2018. 



                                    Découvrez les photos du séjour ....
http://aphanese.viabloga.com/news/lot-en-aout-2018-2 




                                                                                ELLE

Le muret couvert de lierre brûle irrémédiablement sous le soleil de fin de journée. Mathilde ne porte pas dans son cœur cette plante qui grimpe, s’agrippe, soulève les pierres de calcaire, se faufile dans les  minuscules interstices. Si elle avait l’énergie elle arracherait les feuilles, irait trouver la racine pour la couper, que  meure le lierre et respire la pierre. Un arbre poussé de travers est posé là pour tenir compagnie au muret. Lui seul pourrait peut-être lui offrir une fraîcheur relative afin de réfléchir en conscience. Elle aime ça ‘’réfléchir en conscience’’, mais depuis plusieurs mois Mathilde se presse de claquer des portes, d’éteindre la lumière de ses nuits blanches, de courir dans cette région qu’elle ne connait pas. L’arbre tremble, ses feuilles bruissent dans la chaleur de l’air, ses branches sont à toucher le sol. Mathilde se demande s’il peut tomber alors qu’elle s’assoit à ses pieds.

 

- Il me faudrait rester ici toute une vie pour le savoir. Serait-elle assez longue quand sans prévenir au détour d’un flash ma vie peut basculer.

 

Pour l’heure tout est paisible. Elle s’allonge sur les feuilles séchées au sol, qui frissonnent écrasées par sa présence. Elle voit un ciel à l’envers comme une beauté offerte à son regard mais il lui semble être arrivé de travers comme l’arbre au-dessus d’elle quand elle voit en son centre d’écorce plusieurs cercles, plusieurs vies. Cela la rassure.

 

Elle se souvient qu’avant de partir ce matin-là elle pensait tout savoir en vérité, mais réveillée au milieu de la nuit la question lancinante n’avait cessé jusqu’au matin : pourquoi moi, pourquoi ces images, ces perceptions, ces visions ? Elle s’était levée. À tâtons dans l’obscurité pour ne pas le réveiller elle était sortie de la chambre pour rester dans le noir quand les pensées s’entrechoquaient dans son crâne. Les semaines auparavant  elle avait malgré tout continué à assurer un quotidien qui lui semblait futile.  Elle n’avait parlé à personne de cette étrangeté. À personne. Faire comme si elle pouvait ignorer les images, courir plus vite que le passé. Poursuivre sa vie tranquillement restait son objectif. Avoir un enfant, deux peut-être. Elle allait se marier dans trois mois. À quoi bon tout bouleverser, sans doute tout foutre en l’air! Il l’avait retrouvée endormie recroquevillée sur le canapé. Il était 7h. Le visage de Mathilde était blanc. Un bouton de nacre percé de deux points clairs qui le regardait. Il avait été surpris de la trouver si maigre dans son sommeil. Elle restait silencieuse. Avec Mathilde tout était facile. Il lui avait tendu un café, elle s’était  levée pour s’enfermer dans la salle de bain. Elle était en retard. Le soir il ne l’a reverrait pas, ni le lendemain, ni après. Ce seront des mois de silence, d’absence, de peur, de doutes, les pleurs, la colère. Il devra s’y résigner, le mariage sera annulé.

 

Mathilde s’est endormie sous l’arbre. Des babillages la réveillent. Un enfant et ses parents troublent la quiétude de ce coin perdu. Où vont-ils ? Peut-être au bord du cours d’eau là où court un chemin tracé jaune sur vert pâle. Elle aperçoit le miroitement du soleil sur l’eau à travers le feuillage. Les paroles s’estompent, le silence revient. Elle suit des yeux le vol rapide d’un papillon orange qui tangue, chavire, flotte comme un bateau en voyage là-bas où elle n’est jamais allée. Elle voudrait voir le volcan au-dessus de l’océan. Ici, c’est une barrière nonchalante qui ne sert à rien où se pose une pie. Où l’a-t-elle déjà vue ? Elle ne sait plus. Mathilde se lève, pose un regard sur le muret du cimetière et s’en éloigne comme à regret. Elle fait quelques pas sous la chaleur accablante, les mouches bourdonnent autour d’elle, elles l’agacent, elle fait de grands gestes pour les chasser quand elle voit  un  visage entre deux troncs sur  une stèle au soleil apparu.

 

-  Cette stèle au soleil est comme une scène,  je l’ai vue. Et ce  visage je l’ai vu en transparence, derrière un voile comme si volant sous l’eau je  regardais vers le ciel. C’était si réel, si vrai. Ce visage avait un corps. Un autre corps se tenait un peu en retrait. Je ne sais pas qui c’est, cela reste une énigme. Ils se tenaient debout, ils étaient habillés.  Ils étaient si heureux de me voir dans la grotte éclairée qu’ils dansaient la gigue, quand moi de voir leurs âmes j’étais  transportée au-delà de ce monde.

 

J’en  suis revenue de ce monde, mais je crus être dingue. Qui a déjà  vu des morts dans une grotte qui n’existe pas danser la gigue ? Moi, Mathilde !  Non seulement je voyais mais  j’entendais. Je l’entendais,  ELLE. Je restais saisi comme au spectacle quand tout est trop beau, trop fort, trop puissant ou comme quand enfant on reçoit un cadeau celui commandé au Père Noël.  Depuis des mois je cherchais cette femme, depuis des années, même sans le savoir. Elle, depuis ma naissance m’attendait et bien avant je crois.

 

 - D’aucuns  me croiront mais j’attendais  Mathilde la fille du fils de ma fille. Elles ont le même prénom comme pour ne pas s’oublier à moi. La force de mon appel était de cette teneur qu’un nuage arrimé sur un dôme verdoyant  aurait fondu comme pluie en orage. Nous savons combien l’eau est nécessaire à la vie et c’est de vie dont il est question. Cette question ‘’pourquoi moi ’’ prenait forme d’un mantra, de celui qui rend fou quand les esprits s’égarent. Fort heureusement, Mathilde ne s’est pas égarée,  ignorante elle ne l’est plus et n’a jamais été folle. Moi je l’ai été folle à lier de désespoir et enfermée dans une chambre blanche. Un lit en fer, une fenêtre, pas de rideau, des barreaux, un parc, un mur de pierre recouvert de lierre. Tous les jours des cris derrière la porte, des pas lourds, une cavalcade, des cris encore, des clés qui s’entrechoquent, un charriot que l’on pousse, des portes qui claquent et le silence. Le silence qu’on appelle pour que tout s’arrête ou celui que l’on redoute où tout peut basculer. J’ai traversé le temps d’une guerre derrière ces hauts murs, connu la faim, le froid, la fosse commune à remplir… La Deuxième Guerre j’étais dehors recluse dans une maison où les araignées mangeaient les mouches, où la lumière était arrêtée par la poussière des vitres. Toujours pas de rideau à la fenêtre de ma chambre, à quoi bon ! Les gens m’évitaient, disaient à leurs enfants que j’étais une sorcière. Ils n’avaient pas tort, pour ne pas mourir de chagrin, il faut de la force et j’avais celle de l’acceptation muette. Elle  m’a permis de voir le mariage de ma fille, celle que l’on m’a arrachée petite à l’hiver 1915 quand les pies se posent sur les barrières en bois à l’orée des près. Elle n’a jamais su que j’étais là. Par amour pour elle je me suis cachée, j’ai fait la morte et morte je l’étais dans mon cœur qui vibrait de la savoir se lier à cet homme bon comme peut l’être le bon pain …. Ils eurent un fils, doté d’une ribambelle de prénoms pour effacer et combler un vide dira Mathilde après notre rencontre dans la grotte éclairée.  J’appelle cette rencontre une rencontre, mais ce n’est pas vraiment ça. Pas de thé, pas de petits gâteaux, non du tout, ce fut plutôt comme …  un songe éveillé, comme une plume blanche posée sur l’épaule. Je l’avoue cela aurait pu secouer brutalement toute autre personne que Mathilde,mais  comme vous le savez mon appel était lancé avec force et je savais qu’elle était prête à me donner une place après 40 ans de marche à reculons. Elle  m’écouterait.

 

Mon corps reposait dans un endroit oublié. Mathilde arpentait les cimetières à la recherche d’une trace, d’un nom, mais ce n’est pas ici qu’elle me trouverait. Non. Elle était déjà venue en vain, je l’avais vu errer entre les tombes, scrutant, hésitante d’une direction à prendre, s’arrêtant. C’était en été il faisait chaud, j’avais peine pour elle et je ne pouvais rien pour elle. Je l’ai vu partir après s’être endormie sous l’arbre de travers. Elle a compris que mon corps était avec ceux oubliés des histoires que l’on ne veut pas raconter. Le temps devenait incertain, prompt à nourrir les pensées, les sautes d’humeur, les clameurs. Je suis morte avant de mourir,  ils ont poursuivi leur existence. Certains dans l’ignorance de mon dégoût, les autres parés de l’amour invisible que je leur portais. J’ai fait comme j’ai pu quand ils me privaient d’actions et décidaient pour moi, quand ils m’ont privée de toi, quand ils m’ont  enfermée. Ce qui me peine le plus c’est le silence, le noir, l’éclat blanc trop violent. J’aime les couleurs. J’ai gardé toute ma vie un ruban rouge, ils ne l’ont jamais trouvé, c’est celui que tu as maintenant chez toi. Oh ! Pas le même ruban on le sait bien

 

fil serpentin

 incertain

 se déroule du soir au matin

 

Suffit ! Marche et peine encore et encore. Ma lourde robe noire me pèse… j’aime te voir si légère marcher devant moi sur ce chemin.

 

 Sauve-toi loin, 
 ne te
retourne plus, coure,

 n’aie peur de rien,

 amuse-toi fillette

 et si tu peux en passant
 s
i j’osais te demander, en passant
 m
ets-leur mon poing dans la face !

 

Amie de longue date, mange le fruit trouvé sur la plage. Je n’ai jamais vu de plage elle était pourtant si proche je la sentais presque. Une vague sur ma peau, mes pieds recouverts d’écume. Plombée je suis dans la ville, les trottoirs sont glissants et sales. Me laver. Il pleut, j’entends les obus qui s’écrasent au sol, la cathédrale tremble, qu’elle s’écrase alors puisque tout s’écroule sans état d’âme. Mon âme depuis longtemps oubliée nage seule au-delà des toits, je la vois la mer maintenant, il était temps mon enfant, ne trouves-tu pas ? Assez de larmoiements, de pleurs, de chagrins. Que dire encore quand l’encre s’arrête de couler et que le poisson préfère plonger de l’autre côté du ciel ? Je m’épuise, épuisette, chaussette, non pas de chaussettes, nus pieds je préfère, pas de bottines svp c’est possible ? » .

 

- Je l’ai écouté ELLE.  Et je la vois qui arrache soudain sa robe noire. C’est le chant d’un oiseau qui se pose sur une fleur rouge. L’oiseau s’envole au-dessus d’une eau douce salée. Des larmes sur mes joues. Flotte une note cristalline comme un chapelet maintes fois égrainé au sein d’une église sombre.  La foi se répand sur le dallage froid, elle ne suffit pas la foi  pour sourire. Je sors de l’église. Il est temps de rentrer.

 

 

 

Vendredi au matin six mois plus tard…

 

Depuis, Mathilde visite souvent la grotte éclairée qui lui paraît être un caveau transformé, mais elle n’y voit plus la femme qui dansait. Mathilde est seule. Elle se rappelle, recolle les morceaux d’une histoire tronquée. Il faut du temps pour poser les questions aux vivants ignorants et/ou douloureux bâtisseurs de  l’échafaudage qu’ils voudraient voir tenir debout jusqu’à la fin. Revenue comme une fleur, une fleur rouge flamboyant Mathilde se fâche avec ses proches, les bouleverse, se bouleverse.  Ses questions embêtent son père, peinent sa mère, la curiosité naît chez sa sœur, son frère vadrouille.  Elle se calme un peu Mathilde, elle est allée loin, il lui faut revenir, pas simple, elle tangue encore parfois. Elle garde quelque part chez elle l’unique photo de  celle qui n’existait pas avant son voyage, l’unique photo de celle qui aurait même abandonné sa propre fille à la naissance disaient-ils ! Elle est assise très belle, très digne. Elle a une forte taille et paraît grande, un regard de Madone. Mathilde cherche une ressemblance, voudrait la serrer fort dans ses bras.  À son côté une petite fille debout sur le banc en bois à posé sa main sur l’épaule de sa mère, elle doit avoir cinq ou six ans, ses bottines sont usées, mais elle est habillée d’une belle robe blanche, celle des dimanches avec de la dentelle et  un nœud attaché dans ses cheveux. C’est une photo en noir et blanc. Mathilde aime penser que le ruban est rouge en cette année  1911.

 

Quelqu’un sonne à la porte. Mathilde se lève. Elle se sent cotonneuse, elle aime cet état de demi-réveil où rester plongée au creux du matelas est comme tomber du ciel pour arriver au monde et commencer à marcher. Elle aime sentir ses bras au-dessus de sa tête, les étendre, et se dire qu’elle  ne sait rien, qu’elle a tout oublié.  Dans la nuit toute proche, elle ne veut pas sauter dans le vide, mais nager dans les airs pour ne pas mourir. Elle veut toucher le coton pour s’y enfoncer et continuer à respirer. Ne pas s’étouffer avant d’ouvrir les yeux vers la lumière si le temps le permet. Elle veut devenir guimauve comme un nuage effiloché pour reprendre corps et se  poser dans la course de l’univers. Revenir de la nuit qui laisse place au jour lui permet de sortir de la grotte éclairée. Entrer dans le monde au premier souffle. Naître est une affaire de silence où  les montres par respect devraient s’arrêter au bord du lit. Mathilde étire ses bras au-dessus de sa tête, n’ouvre pas les yeux, pas encore. Elle est juste devant la porte…

 

Sensation de début du monde

 
Simone D. 
20 - 24 août 2018 Cap Blanc


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