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Wadi Rum

Désinvoltes. Les pierres déchirent le ciel.
S’entassent. Bouches de grès sur grès. Parois. 
L’ongle du temps, du vent.

Pictogrammes, abjad –une intention certaine- 
Qui sait ? C’est écrit.

Falaises en proues de nefs déchiquetées, ensablées. 
La pierre jouit.

Perce-graine des murailles. Perce-muraille.

L’ombre ne lâche.

Fumée. Espace en réseaux de cristaux. 
Transparence opaque, tu résistes. 
Ta mandibule broie des pierres et tes semelles
Sèment le sable. T’adopterais-je ? 
Tu souris, tu t’imposes. Le repas des noces

Est de longtemps servi. Ça m’enrage. 
Abandon? Tu souris. Fumée encore.
Une pierre roule. Jusqu’où ?


 

I

Calcaire, roche organique, forme torturée d’une vie

Qui se cherche, se fait, s’incrémente et se dissout,

Glaires solidifiées, dans le spasme,

Le miasme. Rouge sang

Capillaire éclaté vin répandu, caillot, soupir

Ocre du sable orangé, océan.

Respire, respire, il t’envahit, laisse venir.

En toi la pierre des os s’effrite,

Le dur de la paroi t’arrête. T’appelle.

Serais-ce toi, la de toujours promise ? - un temps, un instant, celui du mot –

Non, non, tu t’illusionnes, tu te prends au sérieux.

Celle-là ne parle pas, elle mûrit, le fruit tombe

La diaclase était là, le bloc se détache, choit, se perd.

Moi je suis le berger, le pâtre, tu as vu passer mon troupeau.

Il se tait, le vent sort de la roche, par vagues,

S’éloigne et se saisit, à pleines écopes, mitraille,

Du sable au roc, polit, rabote, ponce,

Du roc au sable, tourbillonne, enrage, sculpte,

Niches de dentelles gothiques,

Perfore, perfore, perce, traverse et tu t’effondres.

Et je m’effondre.

Combien de millénaires, de la poussière

Comme de l’eau au nuage, le roc ?

Tu te ris, charmeur, le vent de ton roseau.

Tu me demandes une cigarette. Je souris.

Roches en mollasses, éructations, boursouflures, pustules,

Vérole par rangées ordonnées, ça creuse, ça ravine,

Diarrhée généreuse en paquets, tortillons, ça s’écoule, ça glisse,

Nuée de mouches à merde. Touristes.

Mais le silence. Au-delà. En dessous.

Et le chemin. Le vent. Je souris et je tends le paquet.

Tu fumes avec délice.

Oolithes soudées en blocs compacts, chair d’une falaise

Brute. Des voix résonnent.

Echo des meurtres de la nuit.

Tu appelles tes chèvres, je te suis.


 

II

Mais le chemin.

Au loin, le sable bourgeonne en touffes râpeuses,

Dromadaire, col et bec de cygne,

Lévrier afghan sur pattes d’échassiers,

Regard condescendant, hautain, lippe dédaigneuse,

Oreilles de souris,

Ton corps glisse au-dessus des flots que brassent négligemment

Ta course dégingandée.

Tu passes altier, semeur de rêves,

De nostalgie.


 

III

Mais le chemin. Quel mot, quelle langue,

Pour dire l’enfant qui soumit –quel son ?- tend au lacet le cou?

Tu marches. Je te suis. J’espère

La chaleur de la braise, ta voix,

Le poème du soleil qui se lève et des yeux

De sa bien-aimée. L’énigme du dix dedans et des neufs fermés,

Et des dix dehors et des neuf ouverts.

Et le vent fraîchit et je te demande

Mais toi, connais-tu le pays où les dix restent ouverts et ce n’est ni dedans ni dehors ?

Tu ne te retournes pas, tu ne dis rien,

Tu avances.

Le vide appelle.

Mais le chemin.

Il monte. Je ne grimperai pas.

Appelle.

Je m’assieds sur la pierre. Je me chauffe au soleil.

Je ne grimperai pas. Ma jambe le refuse.

Appelle.

Je m’adosse au rocher. Du papier se noircit.

Je n’irai pas sur le haut des falaises.

Appelle.

C’est inscrit dans la chair, ce vœu-là,

Noire Piéta souveraine, que tu as instillé.

Je ne grimperai pas. Je trahirai le nom que tu m’as donné en secret.

Appelle.

Un temps. Ma main pose des signes. Un temps. Je te demande

Le chien est dans mon lit et je dors dans sa niche,

Qui suis-je ?

Un temps. Tu souris. Un temps. Tu pleures.

Un temps. Tu me montres.

Le sable se couvre d’une nuée de chameaux,

Course de frêles felouques, ils se partagent l’espace.

Equanimité des lignes aléatoires qu’ils parcourent

Rien n’est laissé de l’espace hors du filet léger

De leur survol gracile. Blancs et noirs

Et roux. Cris de la mère vers l’enfant

Cris du petit vers sa vie. Un temps.

Dépêche-toi, rejoins-la, colle tes lèvres à sa tétine.

Un temps. Rêve encore.

Un temps. Le sable devient cendre sous le soleil parti.

Un temps.

Revenues sont les voix amies.


 

IV

Tu n’as rien dit, tu comptes tes chèvres,

Tu jettes des pierres, tu les siffles, elles écrivent

En longs filaments de laine noire,

Négligemment, aux griffes des épines.

Tu relèves aux épaules les manches de ta gandourah,

Tu souris. Tu me souris.

Mais le chemin. Braise, bêlements des agneaux,

Nuit de pierre. Silence meurtri. Les yeux morts.

Ecume noire du corps de grès, seule trace.

Dilacération du regard.

Empilage mécanique consenti. Complicité cristalline.

Chemins de failles où ne passe aucun souffle.

Eau sèche. Défilés, gorges éteintes.

Les yeux morts et au-delà. Terreur de sable. Quel cri ?

Tu dors. Quartz éclaté, liquéfié. Tu mastiques du feldspath.

Quel vent ? Quel chemin vers quel corps d’enfant de longtemps disséqué ?

Toi, le couteau. Accusation de silice. Les yeux morts.

Veine d’oxyde. Crissements. La pierre broie.

Toujours plus. Larmes de ferrite. Les yeux morts.

Fausse évidence du schiste. Engluement de calcaire.

La mer s’assèche. Le cristal pénètre. Les yeux morts.

Pénètre.

Seule la dérobade.

Ton souffle s’apaise.

Froideur du vent du nord.

Etoiles perdues. Je veille.

Le vent insiste.

Va et vient de l’obscur, le sommeil rôde.

Scintillement glauque, diagenèse du compact,

L’eau des yeux guette la clase

L’évite. Tu soupires.

Deuil éreintant.

Je veille.


 

V

Mais le chemin. Tu marches, ton vêtement

Ecrit les arabesques du vent. Tu flottes

Et rêves et ris, chant des fourmis-scorpions,

Silencieusement. Silice,

Compacte, insertie de sable ferrugineux, tendue.

Rose d’un ondoiement souterrain. Incrustation rejetée. Ton incantation,

Puissante, crispée,

Encore.

Epaulements gréseux en cascades,

Tu glisses de ressaut en ressaut, tu guettes tu crains, à l’infini.

Fin calcaire grisâtre, tu te pares avec douceur,

Tresses de manganèse violettes, traces d’une intime volupté.

Mais le chemin. Tu moulines la poussière d’une ardeur

Désespérée. Lâche cette mâchoire de brebis, tu n’es pas ruminant.

Vois, l’ocre de ton cheval de sable t’attend

Au près gris d’un quartzite. Coiffe ton chèche de cristobalite.

Tu brasses les rayons du soleil, au risque de l’hirondelle des sables.

Chemin, palimpseste de vie.

Rameau tortueux du figuier, tu plombes la passe.

Mais le cabri, adorateur des reflets du mica, des demoiselles.

Mais le Voltzia, fleur noyée dans le grain,

Déni de sa clôture.

Vipérine, bleu sur ocre, jouissance craintive

A l’aurore des lézards.

Paroi, le câprier bleu grimpe à l’éponte.

DCB

mars 2012


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