du 2 au 13 février nous avons eu le plaisir de vivre
un atelier écriture à Bali.
http://aphanese.viabloga.com/news/bali-fevrier-2025
(lien vers les photos)



C’est dimanche. Un long dimanche.
Vide, silencieux.
Le centre-ville où il se trouve, concentre les bureaux et les administrations, et les
commerces qui vivent de cette clientèle d’employés et de cadres. Durant la semaine le
quartier bouillonne de klaxons, de cohue, d’autos, dans le martèlement des trottoirs par
la foule vibrionnante.
Mais aujourd’hui, c’est dimanche. Un dimanche d’avril tiède sous le soleil.
Les bureaux sont fermés.
Et le centre-ville est déserté.
Le monde s’est retiré, loin, chez soi, dans son jardin ou dans les parcs, ailleurs, à
lézarder en famille ou à regarder un match de baseball à la télé. Alors ce café où il s’est
assis, près du Downtown Blue Motel où sa compagnie lui a réservé une chambre pour sa
mission, somnole dans le silence. La serveuse doit être quelque part à lire un magazine ou
à fumer une cigarette dans l’arrière-cuisine en attendant qu’un client apparaisse par la
porte tambour ou que la journée s’achève. La lumière, pure, tranche l’ombre avec netteté
et glisse doucement le long des murs, sans accroc, de ce côté de la large baie vitrée
donnant sur la rue vide.
Il s’ennuie. C’est une torpeur qui le gagne de nouveau.
Il était descendu de sa chambre pour faire un tour, pour tenter de se débarrasser
de ce temps qui se traîne. Il lui avait fallu s’ébrouer après avoir écrasé la dernière cigarette
qu’il avait fumée, allongé sur le lit, en contemplant longuement les volutes qui montaient
au plafond. Il avait eu besoin de ce prétexte, s’acheter un autre paquet.
Dans sa chambre aussi le soleil découpait sur la moquette jaune un petit rectangle
lumineux qui se relevait au bas de la porte. Son ombre l’avait caché brièvement quand il
était sorti. La fenêtre était restée ouverte sur l’air immobile.
Il avait pensé se rendre dans un bar, plus loin, près des cinémas, pour acheter son
paquet de blondes. Mais en passant devant ce café il avait vu de l’autre côté de la vitre
cette femme, seule, assise à une table dans le soleil, et qui ne regardait rien. Il n’aurait su
dire pourquoi – une résonnance peut-être, le monde de désolation qu’elle semblait
contempler – il s’était senti happé.
Il s’était arrêté, flottant un instant entre continuer et...,
et il était entré.
À l’intérieur, il avait hésité, intimidé par la blancheur de ses épaules dénudées. Puis
il était allé au distributeur de cigarettes, avant de revenir s’asseoir à la table d’à côté en
ôtant la cellophane du paquet. Il lui avait demandé si la fumée ne la gênait pas. Elle l’avait
regardé, d’abord absente puis étonnée. Et elle avait fait non de la tête. Puis, elle avait
tourné de nouveau son regard sur ses mains posées devant un mug de café qui
refroidissait.
Il avait allumé une cigarette.
Il a maintenant presque fini de la fumer devant sa bière. La serveuse est venue
prendre sa commande et est revenue la poser devant lui en encaissant dans le même
mouvement avant de disparaître de nouveau. À peine une ridule dans le lent écoulement
de l’après-midi.
Il regarde sa voisine, il la contemple même, depuis qu’il s’est assis. Ses cheveux sont
d’un blond vénitien avec une frange coupée droit cachant un peu son front comme pour
certaines femmes quand les rides font mine d’apparaître. Elle porte une robe bleue
comme le ciel de cette journée d’avril, légère, une robe d’été. Ça n’est pas prudent, penset-
il, le temps n’est pas encore stable. Elle a une toute petite quarantaine, comme lui.
Il la trouve belle.
Il ne sait pas quoi dire pour l’aborder de nouveau, alors il ne dit rien. Il détourne
un peu les yeux maintenant, vers la rue, de l’autre côté de la vitre. Les fenêtres de
l’immeuble d’en face sont de grands carrés noirs alignés sur la façade ombreuse. Pas un
mouvement, pas une auto garée le long du trottoir. C’est comme s’ils étaient seuls au
monde. Et que cette minute d’après-midi devait durer indéfiniment.
Une phrase lui revient, une parole de chanson entendue il y a longtemps. Où est
passée la noce ? Il s’ennuie, d’un ennui de douce mélancolie maintenant qu’elle est là, et
qu’il est là, comme un chat qui ronronne au soleil. Sans qu’il s’en rende compte sa
respiration s’est mise au diapason de celle de cette femme.
Demain il repart. Mais demain. Aujourd’hui, maintenant, il y a le soleil, et elle. Là,
juste à côté. Sa présence est comme une extension de lui-même. Oui, il sent comme une
résonnance entre eux. Ils sont tous deux immobiles, dans la grande salle au milieu des
tables et des sièges vides, à sentir la reptation du soleil qui glisse, imperceptiblement, d’un
côté du café à l’autre. Imperceptiblement.
Il y a longtemps qu’il a écrasé sa cigarette.
Elle relève la tête, prend une profonde inspiration, expire lentement et se lève. Il a
le souffle coupé par sa beauté. Il est pris d’une panique subite, tremblant d’une
irrépressible urgence, mais reste pétrifié. Elle s’écarte de la table, remet la chaise en place.
Elle se penche pour ramasser son sac à ses pieds. Puis elle se tourne et sort par la porte
tambour qui fait un chuintement doux et répétitif de mécanisme bien huilé. « Chouff...
chouff... chouff. »
Sa présence flotte encore dans la salle.
Puis elle passe devant la baie vitrée, de l’autre côté, dans la rue, les yeux clignant
dans le soleil, une perle de lumière accrochée au bord de sa paupière.
Et elle disparaît.
Sur la table, le mug est passé à l’ombre.
Marc B.
- Pourquoi viens-tu si tard ?
- il n'est pas tard
- si, il est tard, je ne t'attendais plus j'ai cru que tu ne viendrais plus, tu n'as jamais fait ça depuis des années alors pourquoi ?
-tu poses trop de questions fillette Anna
- j'ai toujours été comme ça, tu le sais bien -oui oui tu as toujours été comme ça :
intrépide, impatiente, imperceptible, inconséquente. Ma sœur Steno te nomme l'impatiente, tu piétines, tu t'énerves, tu es curieuse de tout et je suis curieuse de toi
-ah c'est gentil ça, enfin un mot gentil
- oui j'ai toujours été gentille, seulement avec toi
-pourquoi?
-Parce que
-parce que quoi?
-Parce que je t'aime avec ton petit corps malingre, tes yeux de chat qui veulent tout voir, avec ta voix de crécelle qui résonne un peu trop fort dans les couloirs, dans le lit profond des fleuves. Pour moi quim suis mortelle, j'ai voulu savoir ce que c'était que d'être mortelle
- ah oui et ça veut dire quoi?
-Je ne sais toujours pas
-alors pourquoi viens-tu si tard?
-J'avais des choses à régler avec mes sœurs
-ah oui et depuis quand tu as des sœurs, toi?
-j'ai toujours eu des sœurs, elles sont immortelles
- qu'est-ce que c'est beau ce mot immortel, on dirait un nom de fleur.
- donc tu avais des choses importantes à régler avec tes sœurs? Est-ce qu'elle te ressemblent tes sœurs?
-Non pas vraiment, enfin je ne sais pas, elles font moins de bruit que moi, mais comme moi elles chuintent
-Où habitent-elles?
-Près du Jardin des Hespérides, si tu voyais comme c'est beau
- pourquoi tu ne m'y as jamais emmenée? -Parce que j'avais peur de mes sœurs, qu'elle te fasse du mal et intrepide comme je te connais tu aurais goûté aux pommes d'or
- et fallait pas ?
- arrête de dire "et" à tout bout de champ, non fallait pas. De plus un monstre aux 100 têtes en garde l'entrée, je ne voulais pas qu'il te voit
- t'es bizarre aujourd'hui, on dirait que tu es triste
-oui je suis triste
- moi non, allons nous promener au bord de l'arno.... tu te souviens ?
-oui
- je ne t'ai même pas dit quoi
- moi je sais
- ah tu m'énerves, prétentieuse
- je sais tout de toi, tu es un livre ouvert
- ça m'étonnerait, on ne sait jamais tout de quelqu'un ; même que même moi je ne sais pas tout de moi, alors tu vois
- c pas une raison ; "même que même moi"? c quoi cette facon de parler ? "M'aime moi", tu t'aimes ou tu veux que je t'aime ?
- o tu raisonnes trop
- tu te souviens au bord de l'arno ?
- oui je te dis
- de quoi?
-de gian luigi
- ah non, pas lui, je croyais que tu l'avais oublié
- ah tu vois que tu ne sais pas tout !!! Je t'ai bien eue
-péronnelle, petite péronnelle sucrée, enfant des beaux jours comme de l'été finissant, enfant des matins gris, des eaux tumultueuses, enfant des marais, enfant des murs lézardés et des failles.
- ouh la la tu m'ennuies avec ta poésie à 2 balles
- tu es méchante et tu parles mal
- oui parske tu as toujours voulu prendre le dessus sur moi
- le dessus de quoi ?
- le dessus tout court
- s'il y a un dessus, il y a un dessous
- retourne la carte
- c'est le diable, c malin ça...j'ai perdu ?
- non de la partie obscure de l'homme, elle est la carte la plus positive, on la déchiffre mieux à l'envers qu'à l'endroit.
- tu m'apprendras ?
- non fillette
- pourquoi ?
-parce que je n'ai plus le temps
-Qu'est ce que tu racontes ? Allez dis-moi le nom des cartes comme tu l'as fait un jour
- au bord de l'arno ?
-oui, alors tu as : Le bateleur, la grande prêtresse, l'impératrice, l'empereur, le pape, l'amoureux, le chariot, la force, l'ermite, la roue de la fortune, la justice, l'homme pendu, la mort, la tempérance, le diable, la tour, l'étoile, la lune, le soleil, le jugement, le monde et le fou
- c génial, on dirait un jeu de l'oie
- ne parle pas comme ça petite, tu es vulgaire
- toi, tu m'empoisonnes la vie
- ah oui eh bien je vais partir
- non ne pars pas ogoh ogoh, je taime moi !
- moi aussi
- ah bon, c pour cela kil ne faut pas que je te parle de gian luigi ?
- celui-là, je lui ai fait sa fête
- comment ça ?
- il t'a embrassée au bord de l'arno, près du ponte vecchio avant le voyage scolaire
- oui et alors g bien droit à ma vie privée
- petite sotte, mon adorable, mon adorée
-je ne l'ai plus revu après, c toi ?
-oui, c moi
- pourquoi ?
- parce qu'il m'a regardée et il m'a vue
- je te déteste
Monica entrebaille la porte de la salle à manger" tu parles toute seule anna ?
-non je parle à mon miroir
Elle attend quelques minutes que monica s'en aille
Que monica s'en aille...
Le soliloque reprend
- tu arrives si tard pour me dire que tu vas partir ?
-oui le coeur me déchire, ma peau, mes veines, les parois de mes poumons, mes serpents ne veniment plus, plus d'air, plus de branchies blanchâtres
-ne t'en va pas, ma seule amie, mon double
- Persée m'attend, l'intraitable, l'ineffable Persée
- n'y va pas
- 15 ans petite poupée; tu es grande mon aimée, tu sauras te débrouiller
- n'y va pas, non n'y va pas, je suis encore trop petite, hein dis-moi que je suis encore petite
La porte claque
Un dernier chuintement, quelques derniers sifflements puis un silence épais comme
un rideau lourd de velours rouge d'une pièce tragique qui se termine, laissant derrière elle un flot de mots inarticulés, d'histoires mythiques inassouvies
PaSc
TRAJECTOIRE
Les contours de ton visage s’estompent.
J’ai encore gravé dans le cœur, ton sourire
Je sais qu’il s’effacera demain
Ou dans quelques jours au plus tard
J’avance droit devant
J’ignore pourquoi,
Poussée par un souffle volontaire
Qui m’entraîne là où je vais
Comme une détermination.
Ce sera là et pas ailleurs
Les chants des oiseaux
Les aboiements des chiens
Le chuintement des ruisselets
Le coassement des crapauds
Cessent un à un
Sans que j’y prenne garde
Les feuilles s’arrêtent de pousser,
L’herbe de croître
Il n’y a plus de bouton pour éclore
Ils m’accompagnent depuis le moment
Où j’ai foulé le sol de la liberté
Comme un encouragement
À aller de l’avant.
Depuis déjà trois jours la piste s’éclaircit
Le paysage se mue.
Je suis si curieuse d’avancer encore
L’environnement se dépouille lentement
La forêt se démunie de ses buissons,
Les arbres s’effeuillent,
Les champs se déshabillent
De leurs rizières ou de leur blé,
Les coquelicots s’éclipsent
Personne ne laboure
Ma route se dépeuple du passé
La douleur fout le camp,
L’horizon n’est pas dévasté ni aride,
Simplement illimité.
Un espoir fou monte jusqu’à la pointe de mes cheveux
Mon visage est lisse comme un miroir.
Je cours sur l’étendue vierge, immaculée
Je ne connais rien de ressemblant
Aucune autre trace que les miennes
N'a froissé ce tapis moelleux
Je perds mes repères sans chavirer
J’accepte de tourner en rond, d’être ballotée
Le climat est à température de mon corps
qui ne ressemble à rien de connu
D’un bond je franchis des paysages vides
Émerveillée de mes gracieuses pales blanches
Mes poumons se nourrissent du liquide
translucide émergé de la matière ouatée
Je survole l’ampleur de l’endroit
Et m’enroule à la quête
de ces dimensions parallèles.
Les espaces se fondent
avec douceur, tendresse et amour
Je suis à la quête d’un présent sans fond
N’entends que quiétude, ouate, immobilité´
Tremblent des ombres transparentes
Au très lointain
Je m’en approche en un coup d’aile,
Tout en apesanteur
Les formes esquissent des gestes graciles
et chacune semble répondre à l’autre
Parfois s’amorce une chorégraphie.
On s’adresse à moi :
D’où je viens ?
Je ne sais pas
Mais c’est ici ma maison avec vous !
Par instinct et sans un son
Je suis comprise..
Le corps immatériel et fluorescent des silhouettes
tressaute à plusieurs reprises
et semble ne plus vouloir me quitter
Nos légèretés se mélangent et se distancent.
Une fois et encore davantage comme un jeu
Une sorte de fluide mis en onde
entoure nos êtres formant une crête
nous berçant jusqu’au creux
d’une sensation cristalline
Un être liquide légèrement argenté apparaît
Effleurant mes ailes
La grâce et la paix
coulent le long de ma transparence
L’entité ondule dos à l’horizon
Je me sens bien
Sans raison
Je plane, moelleuse et tiède
Puis la chose bienveillante m’aspire
et je m’envole je ne sais où
Il y a tant de pages blanches à découvrir…
Une pluie fine, drue, froide. Un ciel noir piqueté d'étoiles, têtes d'épingle clignotantes.
Mon être se mélange à l'ombre passe-muraille pour respirer.
Mes poumons sifflent, arrachent l'air du dehors et l'entrainent avec violence vers les profondeurs insoupçonnées d’un corps qui échappe au jour.
Le labyrinthe ténèbreux du complex organique est en roue libre hors du contrôle mental.
Ça pulse, ça gargouille, ça arrache des squams sanglants qui vont se perdre et inventer des chemins non répertoriés. Je gratte mentalement en fermant les yeux des parois que je ne vois pas. Je devine des contours abruptes et dangereux.
Ça déchire, ça taille, ça aiguise.
Cela m'oblige à composer un sens de vie en surface acceptable pour m'illusionner moi-même. Mais néanmoins je reste en-dessous d'un espace temps établi conforme à la norme et je vague, c'est à dire que je prends forme sans bruit à l'environnement aussi longtemps que j'en suis capable.
Je souffre. Je peste. Je débloque.
Ainsi il m'est arrivé d'arracher les yeux d'un humain dans un acte de grande colère. J'ai mangé cet oeil mauvais et l'ai vomi en grande pompe et grand rire de folle malade. C’était bon. Si nécessaire je recommencerais.
Je gratte, je gratte. Je balance et déchire le silence. Des yeux, des bouches, des oreilles. Ouvrir les miens, parler pour exister dans la foule du monde et tendre l’oreille. Une seule active, l'autre est endormie. Entendre ou écouter. Ecorcher le son. Stridence. Survolter l'aigüe. Battre le son sourd. Résonnance grave. Quelle importance.
Mutation.
Je laisse de côté les écailles trop souvent évoquées.
Elles vont me manquer, je les pleure déjà.
Mille ans sur les flancs du monde, j’étais cet animal à la colonne vertébrale effrayante. Une dorsale de pierre. Appelez moi créature. Je suis le cœur de la terre, ça gronde, ça tremble. Mes yeux exorbités regardent le ciel. La lune s'y abîme. Le clapotis des profondeurs se mue en tempête. Des ondulations sous la peau. Un bouillonnement pour étreindre le cœur. Ne pas détruire le monde du dehors ou bien, au contraire le réduire en poussière.
Peut-être casser les lignes droites, bouleverser les destinées des petits points de l'Univers.