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Wadi Rum

le désert

 

Partir

 

Je laisse trop, je laisse le trop trop plein : de monde, d'amis, d'activités, de mails, de gavage. Trop de yaourts. Vous arrivez à choisir vos yaourts, vous ?

Je laisse tout ce trop, les bruits, les voitures, la course, la folie. Folie du mouvement, en avant, aller devant, voir devant.

Qu'y a-t-il devant ? Et devant le devant ?

Donnez-moi à voir un désert, du vide, du silence, du rien.

Parce qu'il n'y a rien dans le désert ?

A voir...

     

 

Wadi-rum- le désert.

 

Joli nom.

Je suis venue pour faire le vide. Pour entendre le silence. Ne plus courir, ni même avancer. Juste goûter le temps qui s'écoule aussi lentement que poussent les montagnes autour de moi.

 

Tout est vain. L'humanité ne va nulle part ; elle s'agite dans sa fourmilière. Elle disparaîtra, écrasée ou explosée. Ces rochers se rient de toute cette vanité. Les fourmis, décidément, se prennent au sérieux. Elles gravissent les plus grosses montagnes pour voir plus loin. Plus loin que leurs pattes.

-                  « C'est moi qui voit le plus loin, pense la roche. Et moi, je sais d'où je viens. Je ne leur dirai pas où elles vont, les fourmis, car je sais qu'elles ne vont nulle part. »

Dans le silence l'émotion m'étreins, les larmes sont toutes proches. Pourtant je ne pense à rien, je n'ai rien à penser. Expression, émotion, c'est fort, c'est beau. Expression, émotion.

Énervement.

Écrire de beaux mots, de belles lettres. S'il n'y a pas l'attention à l'Autre ?

Rencontre avec ses fantômes, ses fantasmes. Et l'Autre qui est là, bien vivant, lui, qui va se soucier de le rencontrer ?

 

 

Silence

 

Ce soleil, bon augure.

Ils marchent, moins deux, plus quatre, sur le sentier

Leur file pointillée dessine quelques figures

Poursuivant le ciel aujourd'hui altier.

 

Devant, dégustant quelque rameau,

Il mène la danse

En silence

Du pas cadencé des chameaux.

 

Désobligeant, le vent de sable

S'est levé. Sur un nuage affable

Flottent les émotions.

 

Les fières falaises, les rochers prétentieux

Etreignent les éléments capricieux

En une infinie relation.

 

 

Un caillou posé au milieu de la terre. Les Portes du Sud. Portes à franchir. Elles cachent l'horizon, non, elles sont l'horizon.

Un gros caillou, un montagne. Franchir. Contourner. Avancer. Grimper. Passer.

La lumière se cache derrière.

 

Elle

 

Elle a froid. Très froid.

Pourtant elle se sent immergée dans le grandiose.

Le ciel est couvert, l'horizon bouché.

Elle grelotte. La montée aurait pu la réchauffer, non, le vent est pénétrant.

Un nuage anthracite passe, assez vite.

Elle se recroqueville.

Juste derrière une trouée jaune lui dit que le soleil n'est pas d'humeur aujourd'hui.
Elle soupire.

La brume recouvre l'horizon. Entre deux pics noirs, une lueur blanche comme deux phares puissants au détour d'une route.

Décidément le vent la glace. Il se renforce comme pour éteindre les phares. Il y parvient d'ailleurs.

Elle bouge un peu la tête.

De l'autre côté, du rouge. Rouge la roche, rouge le sable. Rouge mouvant, il avance, rosit, pâlit, blanchit et se fond dans le gris.

Oh surprise, derrière c'est une lueur paille qui pointe. Vivante elle aussi, cachée puis visible selon les humeurs d'une brume grisâtre qui joue avec le vent.

Elle gémit.

Un éclair de lumière et l'horizon apparaît, multicolore,  tel un flash qui lui fait douter de sa réalité.

Elle est en colère. Pourquoi faut-il être gelée pour accéder à tant de beauté ? Y aurait-il un prix à payer ?  Se déplacer, marcher, grimper, se dépenser, ne suffit donc pas ?

Oh, un coin, un tout petit triangle de bleu semble la narguer. Coucou, à bientôt, ce sera pour un autre jour. Il s'éteint.

Elle a le temps de voir la vallée s'illuminer, comme pour révéler ses trésors. Sable rouge, roche ocre,  brume grise, éclair blanc de lumière, rayon jaune, une tâche verte.

Elle a le sentiment que le désert lui livre enfin quelques secrets, comme un promesse, mais avec la parcimonie d'un avare.

Le froid la reprend, l'entoure, l'immobilise, l'embrasse. La rage monte. Elle se lève, bouge, décide de voir quand même, de voler tout ce qu'elle peut à ce riche collectionneur qui se donne tant de mal pour cacher ses tableaux.

Le grand feu ne parviendra pas à la réchauffer.

Qu'importe. Elle verra, boira, dégustera. Elle lui volera plus que ne peut en tenir sa besace.

 

 

La dune

 

Elle avait toujours rêvé de les voir ensemble, simultanément, tous.

Et là, après avoir longtemps goûté le silence, le vide, l'apaisement, après l'effort du souffle pour parvenir en haut de la dune, elle les a vus.

Dans le creux d'un siq, entre quelques grains de sable rose, elle les voit,

Ils sont là, ils sont tous là.

Ceux qu'elle a aimés et qui l'ont aimée, mais eux, ils savent.
Surtout, surtout il y a les autres.

Elle les voit, ceux d'un moment, d'une brève rencontre, ceux qui l'ont accompagnée dans les voyages, ceux qui lui ont donné du temps, ceux qui lui en ont pris, ceux qu'elle a aimés et qui ne l'ont pas vue.

Ils sont là, les morts, les vivants et ceux dont elle ne sait s'ils sont morts ou vivants.

Ils sont là, les attachements d'enfant, les premières amitiés, les disparitions brutales, les rencontres, les séparations.

Ils sont là, tous là, comment les nommer tous ?

Elle voit les fous-rires, les disputes, les danses, elle entend les mots échangés, les vrais, les faux. Elle sens à nouveaux les silences, les larmes, les rancœurs.

Oubliées les déceptions, les rivalités, les abandons, les colères, les amertumes.

Ils défilent, tous ces moment communs tous ces bouts de chemin partagés, ces petits sentiers qui se faufilent, serpentent, s'écartent, se retrouvent pour se croiser et se fuir à nouveau, parfois à jamais.

Ils sont là. Ils sont tous là.

Ils sont elle, elle est faite d'eux.

Elle voulait tellement le leur dire.

 

Elle les prend dans le creux de sa main. La caresse du sable qui glisse entre ses doigts lui répond.

Furtivement elle dépose quelques grains de sable dans le fond de sa poche.

Ils sont tous là, elle peut repartir.

 

Le vent

 

Chacun de ses pas soulève une poignée de grains qui s'envolent, humble participation au travail du vent qui déplace la dune.
Ici aujourd'hui, là demain, la dune cherche, tournoie, avance, recule. Elle s'élève parfois le plus possible, comme pour appeler une étoile qui la guiderait.

C'est qu'elle a charge d'âme, la dune.

Tous ces grains, toutes ces rencontres, toutes ces émotions, ces échanges doivent se retrouver, s'identifier, se reconnaître.

Au fond d'une poche les quelques grains de sable se laissent bercer par ses pas. Ils se croisent, se superposent, s'isolent, se mélangent.

Tout d'un coup, il s'agitent, ils entendent la longue plainte du vent guidant la dune entre deux falaises. Il va, virevolte, cherche devant, à droite, se retourne, hésite.

Puis il se met en colère. Décidément, il n'y arrivera pas. La dune est trop lourde, chargée de tant d'émotions, et plus elle avance, plus elle grossit. Alors il se fâche.

Il s'attaque à ses bords, aspire le sable, le jette dans la vallée. Des tourbillons s'élèvent en colonnes, jaunâtres ici, plus roses par là, tels des tornades de sentiments impatients. Perdues, désorientées, les colonnes se dispersent, volent, rejoignent les nuages et envahissent tout.

Plus de ciel, plus d'étoiles, plus de dune. Des grains de sable partout, ils explorent, ils observent, ils cherchent. Où est le lieu des retrouvailles ? Où se poser ?

Elle continue, elle marche, elle, elle sait où elle va.

Du fond de sa poche les quelques grains décident d'intervenir. Porteurs de pensées, après tout, c'est leur spécialité. Il s'agit maintenant de se montrer efficace. Ils s'y mettent tous et leur message part tous azimuts.

 

« oui, par là, va, jhasma, petra. Pensées associées, sentiments parlants petra

agglutiner gluten colle farine cimenter. Pensées associées par monts et par vaux. Nabathens, aujourd'hui demain.

Qui donc ? Où ? Oui, par là, ouah. Azafade, agglutiner les vieilleries, vielle, violon.

Oui c'est ça faut pas. Les vautour roucouler. Elles rient, elle pouffent, ramah petra

nabathéen, nabab, baba au rhum petibonum, maximus centre ville ; new petra veloume, tsiléo, manmpitre. Qui va bien vouloir ? Antan, anthracite, paléolithique, ranger.

Télépathie, transport de sentiments. La dune doit construire. »

 

 

 

Réunion

 

Elle a senti la colère du vent, elle a senti l'envol du sable, elle a vu la dune se disperser sans comprendre, inquiète de savoir où elle allait.

Que disent les cristaux agités de sa poche ? Elle a entendu leur message, ne le comprend pas et pourtant son inquiétude lâche : un guide est là. Grain parmi les grains.

Petra, tu y vas, continue.

Petra où sont figées en tombeaux dans le roc toutes les inutilités, toutes ces pensées qui se perdent, n'atteignent jamais leur destinataire, tous ces grains de vie vains.

Petra veut revivre. Petra veut créer le monde d'une communication nouvelle. Le vent transporte les émotions, toutes passent par là. Désormais elles ne repartiront plus. Les perles de sable vont se fixer là, trouver leur juste chemin et toucher enfin leur destinataire.

Elle comprend  le sens du vent, le déplacement des dunes, les brouillards de sable.

Elle avait l'intuition de cet univers étrange, tant désiré où toutes les émotions pourraient se retrouver et communiquer.

L'atteindrait-elle enfin ?

Son pas s'accélère. Quand elle aperçoit la falaise qui s'ouvre, elle s'engage dans le siq. Les portes de la ville sont proches. Elle se sent plus légère, de plus en plus paisible.

 

 

 

Dominique       

Février-mars 2012

Jordanie   

 

 

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