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Source du vent...

Source du vent dessine sur le sable les vagues que la mer rouge ou morte ou noire ne peut imaginer. Souffle du vent passage obligé couvre de sable d’or l’entité magnifiée. C’est ainsi qu’au matin renaissant la vieille femme faiblissante trouve le fil d’or et peut s’en draper. Le regard voilé de tant de brume d’années, l’écheveau démêlé se mêle au temps du temps secondé où les vieilles bandelettes effilochées filent dans la trame du sable blanc auréolé. Dans le feu du soir allumé la musique du voile d’or ainsi déployé danse en creux allégé où l’étoile vient se poser. C’est le temps où les paupières s’ouvrent aux deux mondes qui ne sont qu’un. Le monde de la vieille femme et le monde de l’étoile. Celui de la mort et celui de la vie.                                 

« Personne ne m’a nommé. Nous ne comptons pas le nombre de mes années. Ce dont nous nous souvenons c’est de mon linceul blanc immaculé »                                 dit  la vieille femme étoilée.                                                                                                 
Assise sur la fine voûte du sable, une jeune femme  la contemple interloquée. Le visage d’or de la vieille femme où se perdent encore des filaments grisâtres lui est au-delà de l’étranger, les souvenirs du fond d’elle ne peuvent s’éveiller et  dorment sur le velours d’une boite fermée. Ses souvenirs sont à créer, ses souvenirs se dessinent devant ses pas, ses souvenirs l’emmènent là où elle n’est pas, ses souvenirs l’emmènent là où elle n’est jamais allée.                                                                                                                                         

 « La vieille femme se voit dans mes yeux et se moque du nom qu’elle y découvre. Elle se dresse sur les deux branches maigres de ses jambes et inscrit en contre-point mon ancienne destinée à revenir.                                                

C'est le temps espace du temps décompté                                                                 
c'est la marche à l'envers qui porte vers l'endroit                                                   
l'endroit que je ne connais pas.                                                                     

La vieille femme se tait et j’entends le vent fort qui déterre les arbres et effraie les chiens. Elle se tait et j’entends  le timbre de la cloche qui résonne et se cogne aux parois des nuages chargés de silice. Elle se tait et je perçois le chuintement de la source qui jaillit de la terre.                                                                   
La vieille femme ferme les yeux et je vois le jour qui  se lève sur des tombeaux de pierre aux vents ouverts. Elle ferme les yeux et je vois la roche rouge qui s’effrite et deviens poussière. Elle ferme les yeux et je vois la longue nuit qui se pose en place du jour.                                                                                                             
La vieille femme est immobile et je foule le sol, soulève la poussière en demeure depuis les siècles. Elle est immobile et je frôle l’herbe rase  qui ourle la trace de l’eau dans la roche creusée. Elle est immobile et je traverse les lieux désertés où errent les âmes. 

 C’est dans cette ville oubliée que repose au creux d’une alcôve la boite fermée. Cette vision m’apparait alors que sur un sentier en corniche de falaise se dessine sur le ciel le fronton d’un mausolée sculpté dans  la pierre qui me fait l’effet d’une gifle glaciale dans le froid mordant de ce pays de l’orient. Luttant contre les rafales du vent, contre le sable s’immisçant dans les plis de mon manteau, j’atteins une esplanade semblant celle de la lune quand pleine elle offre sa lumière spectrale. Je trouve une boite en fer blanc cabossé qui s’ouvre sans bruit. A l’intérieur un fin velours aussi blanc que le blanc linceul immaculé. Des mots sibyllins noir sur clair y sont tracés d’une écriture elliptique                       

‘’Ouverttige  plongée     apnée de l’eau de là     trouver                                 
la vallée  l’avaler sacrée                            par le regard       de si Ô  plonger                            mes sages tÔt matin tard         cavalier par la parole       
lier au lavaler la vallée             oubliée  déliée             prie –prie- prie     
   
rie -rie -rie      nÔuv’ elle fois.’’ »

 

Devant la boite ouverte aux mots évaporés la jeune femme reste coite. Le message glisse de ses doigts, tombe à terre. Une rafale plus forte que les autres s’en saisit et le vent et le fin velours disparaissent de l’autre côté du paysage. Seule dans cette cité d’avant où les vivants vivaient en  leur mort approchant elle s’adosse contre l’édifice émergeant de la montagne, regard porté au-delà du visible. La force du lieu étreint sa poitrine de sa poigne minérale et dans un râle de fin d’expire glisse son corps le long du mur de pierre. Combien de temps écoulé reste ainsi son soi sans bouger ? Combien d’années ? Combien de siècles ? Elle ne sait dire si le temps de ce temps compté est décompté mais elle dit que les mots en elle et inscrits en elle, reviennent à elle. Et comme les étoiles au ciel se mettent en place,  les mots sur l’esplanade trouvent leur sens dans l’espace.

                                   ‘’Tu plongeras dans l’au-delà                                                            eau sacrée  avaleras                          prieras  encore  une  fois          
le cavalier viendra de la vallée                vertige du regard des sages                                     déliera le rire une nouvelle fois.’’                                                                                                                               

La jeune femme ne sait où se cache la vieille femme  mais un parfum léger, sa caresse sur la joue lui dit sa présence tout à côté. Elle a la connaissance de l’avant. Partir de la ville, la laisser derrière soi. Une cité oubliée pour un songe, une réalité à venir pour un tombeau, un tombeau derrière soi. Commence pour la jeune femme la longue descente vers l’ouest, vision de ruines de châteaux aux  pierres écroulées, de chemins poussiéreux laissant derrière eux des traces serpentines entre les collines, d’oiseaux noirs jouant dans le vent, de nuages tissant une dernière fois une étoffe offerte à l’inconnu. Continue  encore la longue descente vers l’ouest, des pierres, encore des pierres, une terre aride gorgée de sécheresse, la chaleur qui enfle, une brûlure au cœur. S’achève enfin la  descente vers l’ouest où le soleil en avant courre plus vite que le temps, le rattraper dans sa course finale, tenter de l’arrêter, le retenir.              

« Non pas ce matin. Pas maintenant. Attend encore un peu.»

 Comme l’étoile posée au creux du voile déployé, la jeune femme tend les mains devant elle mais il tombe sur le chemin. Il ne se rend compte de rien. Empreinte bleue sur le chemin la trace se mélange au ciel, à la mer, aux larmes versées dessus une vie envolée.          

C’est un souffle offert au désert                                                                                       
du sable déposé sur la pierre                                                                                               
un caillou dans la poche qui tombe parterre                                                            

La jeune femme tombe, roule le long de la pente vers la mer qui n’est ni rouge, ni morte ni noire. Sur l’autre rivage se dévoile une contrée nouvelle où  s’endort le soir de ce début de journée. La vieille femme part dans le noir. Ses fils d’or au vent laissent derrière elle des senteurs d’encens, volutes de fumées qui endorment les corps et éveillent les âmes pour le  long voyage en devenir.                                                                                                                                   

« Mais il fait chaud. Il fait soif à la dernière pluie. L’eau au goût de sel est un mirage où je perds la raison. La craquelure de la terre blesse la plante de mes pieds, le sel s’y invite. Le paysage  blanc comme le blanc linceul immaculé me noie dans un brouillard où se perd mon orient.                                         
 Mais il fait chaud. Il fait soif à  la dernière pluie. Une goutte  d’eau dans le creux de la main, je l’approche de ma bouche… Eau miraculeuse en essence de sens, le sens du chemin m’est montré, le sens à l’endroit, je tombe à genoux, les mains en prière. »

 La jeune femme reste un moment perdue dans le silence de l’absence quand une partie d’elle va rejoindre les morts d’avant le temps où la brume se lève, épaisse et légère. Elle compte le décompte du temps. Elle sait que les montagnes de l’autre côté ne disparaîtront pas. Elle sait que la plaine où coule le fleuve est une frontière. Elle sait que le centre est en elle. Elle sait celui qui viendra du sud. Le dos appuyé au nord l’ombre portée de la jeune femme trace une empreinte qui s’ancre en terre de l’autre côté où le soleil se lève.            
Enveloppée dans son manteau couleur de terre elle s’allonge dans la poussière. Les heures ont passé. Les drapés du tissu la dissimulent aux regards de l’étranger qui s’avance sans la voir. Il s’arrête là où elle est et ne la voit pas. Il s’assied là où elle dort et ne la voit  pas. C’est qu’il est en chemin depuis des  siècles. Son pas ne laisse pas d’empreinte derrière lui. Les lieues parcourues ont épuisé son cheval. Le cheval est maigre. Le cavalier le tient par la bride. Depuis longtemps son cheval ne le porte plus. Le cheval est fatigué. Il voudrait dormir et ne plus se réveiller. Il ne se réveillera plus. Il s’effondre dans un nuage de poussière aussi blanche que le blanc linceul immaculé. La jeune femme se réveille tremblante de sommeil, elle secoue la poussière qui s’était déposée sur elle, recouvrant son manteau d’une fine pellicule aussi blanche que le blanc linceul immaculé. Son ombre portée s’est allongée et s’étend au plus loin du regard, du côté de la montagne au-delà de la mer qui n’est ni rouge, ni morte, ni noire. Le cavalier est abasourdi de tant de vieillesses passées alors qu’il est si jeune encore. Il ne comprend pas, son esprit lui est vide comme l’écorce d’un fruit  perdu entre le temps du ciel et le temps de la terre. Peut-être est-il arrivé quelque part et il ne le saurait pas ? Il  est lavé de toute mémoire et se sent étrangement bien.                                                                                                                           
La jeune femme attend. Le regard du cavalier continue de se perdre dans l’instant de sa mémoire vidée. Elle n’est pas impatiente, elle a le temps de l’éternité. Elle compte ainsi sous ses doigts les grains de sable en collier et se pare du bijou qui compte plus que l’or. La jeune femme attend. Le cavalier perd le nord et plonge de l’autre côté de la terre, là où les sages ont le regard clair. Il s’y noie mais respire mieux qu’au jour de sa naissance. Il bascule  et le monde à l’endroit lui est donné dans un vertige où la vue qu’il retrouve lui déride les zygomatiques qu’il avait, enserrés dans une mâchoire de fer. Il éclate de rire, d’un rire franc et sonore qui dépasse les frontières imaginaires que la jeune femme voyait sur sa route. Il éclate de rire et les ondes sismiques secouent les frontières réelles que les hommes ont dessinées dans leur hâte de conquête meurtrière.

La jeune femme reste en son centre, elle est au milieu du tout.                       
Le cavalier enfin la découvre.

 

s.e


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