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Partir

Envol. Entre deux lieux, entre deux temps. Sous la lumière des étoiles, suspendue dans le noir,  je suis le fil d’or de l’écriture au dessus des frontières.

Un jour  vous et moi nous partirons,  il n’y aura pas de  retour et plus d'entre deux; nous laisserons comme les Nabatéens d'autres fantasmes et rêves à venir construire notre œuvre. Ou tout oublier.

A cet instant, face au désert nulle part où savoir aller, perdue entre les pas qui me parlent des corps qui sont passés par là et ne sont plus. Seules des âmes flottent et se glissent le long des parois de grés, s’y égratignent avant de se cogner aux blocs de granit. Le vent et la pluie avec la rage d’un désir énigmatique tracent des partitions de musique sur les parois et la clef trouvée dans le sable ce matin va donner le la d’un chant encore inconnu. Le rythme sourd dans le silence et l’écho de ma voix lancée négligemment me dit qu’une rencontre va se faire. Qui m’attend ?qui égraine un chapelet de notes déversées sur le sol? Des blanches, des noires, des croches décrochées des intervalles devenus vacants pour une histoire qui va s’y insérer et commencer avec Lui.

Je le connaissais mais ne l’attendais pas là malgré la frontière proche. Trop jeune? Non, puisque bientôt quarante ans déjà et inconnu en occident où son père est mort assassiné.

Le rencontre s’est fait ici dans les pleurs colorés de calcaire calciné.

Nous ne nous sommes pas tutoyé afin de garder la distance. Nous avons marché sans nous bousculer, cheminé. J'ai écouté.

« Je serai toujours devant vous, vous me verrez donc de dos. Dans le grain rouge du bruit encore trop fort, vous distinguerez bientôt mon chant et vous reconnaitrez les dessins qui m’accompagnent. Je serai dans les bruissements à votre oreille quand vous fermerez les yeux et vous m’entendrez dans le défilé étroit entre silence et écriture, sans piège, je ne suis pas homme de Far West. Vous m’avez perçu dans vos rêves diurnes et nocturnes et dans vos sens en éveil depuis que vous m'avez vu de l'autre côté de la frontière. Je suis petit, et vous me voyez immensément grand. Je suis dans les creux et les rondeurs de chacun de ces massifs, dans le pont, passage. Je suis un trait, une forme, parfois un dessin que vous distinguez dans la trace laissée par mes pieds nus, dans le sillon à peine perceptible du lézard parti se réfugier sous terre Vous m’avez entendu dans le vent qui sifflait ce matin avec le vol des corbeaux et jusque dans la gorge sans eau.

Arrêtée là vous avez reconnu ma mère Naqba dans les pleurs de roches qui dégoulinent, figés devant vous. Je pleure avec elle mon pays perdu, et je joue dans le silence de la vie tue de mon père. De son vivant j’étais caricature dans les journaux de mon pays. Je suis création et résistance vivante Je suis sur les murs de Palestine, celui de l'apartheid et ceux des maisons des campagnes et des villes. Ma robe n’est pas large comme celle de mes Pères, je suis en culotte courte et pieds nus, je ne sais donc pas la pointure de mes chaussures ; Je suis sur les scènes des mondes qui veulent me recevoir. Je n’ai pas de nationalité, je suis juste arabe et l’histoire que je raconte est celle de la mémoire d’un peuple dispersé, celle de la mère, du père et des frères que j’ai vus dans les camps de réfugiés, contempler leur patrie derrière les fils barbelés.»

C’est l’histoire d’un départ sans retour, d’une absence d’entre deux. Sans oublier.

« Les cailloux que j’ai vu jeter avec désespoir par mes frères sont devenus bouteilles à la mer, vous en avez trouvé une sur le rivage qui contenait un silence de verre bleu, vous l’avez ouverte, vous avez entendu, vous êtes venue à ma rencontre. J'ai traversé les frontières à l’ombre de l’arme ennemie assourdissante et je viens à vous, suppliant, vous livrer la parole de mes ancêtres exilés avec ma mère qui porte au cou la clef pour un retour à venir »

Le silence n'est pas métaphore mais suite de particules qui s'entendent si elles sont écoutées, particules de nos vies et de la roche émiettées que nos chaussures avalent pour avancer.

Il m'a fait face un court instant, j'ai tendu ma main et j’ai plongé dans la mélancolie de ses yeux noirs ; la surface brillait comme un miroir, j’y ai vu le déluge de mon désir. Sourire. J’ai entendu le la de la partition de musique dont j’aurais la clef!

 Il s’est retourné. Je n’ai plus vu de lui que ses mains croisées dans le dos, je l’ai reconnu ; c’était Handala, poursuivant le combat de son père Naji al-Ali . Je savais qu’il ne se retournerait pas avant de pouvoir rentrer chez lui, dans un pays libre.

Mon bras tendu est resté en suspend au bout de mon épaule de granit. J’ai fermé les yeux et j’ai rencontré l’impossible refus. Un autre la, celui d'ici, s’est imposé, lourd et douloureux, amarré à mon corps comme les massifs dans la mer de sable.

J’attendais et j’attends encore. Nous attendons.

Au soir du troisième jour, étendue, masse mollusque racorni dans ma douleur qui parlait trop fort à ma chair inarticulée, je n’ai entendu que la morsure du renard qui rôdait dans la transparence de mon sommeil. J’ai attendu entre rêves et cauchemars.

Quand j’ai ouvert les paupières, un sable de lumière s’est déversé sur ma rétine. Le monde avait basculé. Depuis mon rocher ébranlé, j’ai senti la terre qui continuait de tourner. A l’est au dessus de la paroi noir de la nuit et rugueuse du vent happés, le ciel rosissait de l'espoir d’un retour, dans la fissure ouverte par Handala,

 

Il a accepté que je l'accompagne dans sa recherche mais sans jamais pouvoir revoir son visage. Nous avons atteint les ruines d'une ville façonnée dans le cœur d’une rose épanouie; je l'avais bien connue et l'avais trouvée si belle que je l'avais serrée très fort pour la garder à moi seule; j’avais senti la cruauté des épines, j’avais lâché, elle s’était brisée. Nous avons marché sur ses débris, nous avons recueilli quelques morceaux et leur poids a donné densité et parfum à nos pas. Nous avons poursuivi entre dunes et falaises. La femme mère s’est offerte alcôve étroite pour moi seule, je m’y suis réchauffée et l’ai consolée. Nous l’avons laissée là pour que d’autres Hommes s’y lovent. En quête de liens, nous avons traversé les saisons et les pays. Arrivés à l’entrée du jardin de Roum, Handala a levé la main droite et il est parti sans que j’aie revu son visage.

J'attends, nous attendons encore dans l’entre deux, absence. Retour à venir ?

J’ai continué. J’ai refusé l’allée de pommiers où m’attendait Satan. J’ai atteint un citronnier, j’ai cueilli un fruit que j’ai goûté, je l’ai mangé et j’ai franchi la porte étroite ; le trésor m'était promis.

J'ai glissé dans une rigole taillée à flanc de falaise. J'étais nue, mon corps s'est dilaté, il a épousé les formes touchées; je devenais ce lieu. Quand je fus arrêtée à l'entrée de la fontaine aux lions, j'ai senti une chaleur ; un murmure est monté, s'est enflé, je venais de toucher un corps, et puis un autre et encore un autre qui touchait un autre. Combien étiez-vous ? Combien étions-nous? Je n'ai pas vu ; j'ai entendu un chœur de voix s'élever, ont suivi des sons d'harmonica, de youde, de flûte et même de biniou. Le la était donné. Nous allions pouvoir danser si nous trouvions un espace assez large. Nos corps se sont élevés, ont lévité et se sont posés sur les parois de gré rouge dans les rayures jaunes et bleues, gaieté, et sur le glacial marbre noir. Nous avions retrouvé les niches que nous occupions comme des oiseux. Libres. Ne pas rester, ne pas sauter pour ne pas s'abîmer mais voler, chanter, lourds ou légers, vieux ou jeunes. Je ne pouvais m'attarder qu'un instant, une minute, une année lumière peut être mais avancer, aller ailleurs, croiser l'espace et le temps devant le Sphinx d'Egypte et pourquoi pas devant la porte de la naissance de la Sagrada Familia, poursuivre dans un mouvement elliptique entre étoiles et planètes avec d'autres, arabes, juifs ou chrétiens.

 

J'ai senti le passage dans la spirale bleue cuivrée sous l'autel haut face à la vaste terre; au loin les sommets, limites sans frontières. J'ai senti le mouvement rose et or des nuées draper les massifs aiguisés, je les ai sentis bouger, adoucis. A l'ouest, j'ai senti les vibrations de la terre qui a enfanté nos dieux. Au delà de la Mer Morte, je me suis sentie mère vivante devant la forme de l'absence. J'ai senti la terre psalmodier des prières entre les « la », entre alpha et oméga. Une mélopée.

 Quand, où,  hier, demain ? Banale blessure.

Où, quand, ici? Vaine prière, voix de là bas.

Quand et où ? Dans désert du temps d’ici bas.

A l’écoute et suppliantes dans la fissure

 Entre granit et grés égrainées, entières,

Entre terre et air, vol bleu en deux ailes,

Entre particules de sable et états sans frontières,

Entre mère et filles hier et demain, les temps d’elles.

 Sous le vent, terre rose, ocre et or, là,

Neige du soir sous la lune, une danse,

La clef sur la partition et le la.

Elles deux chantent ici le silence,

L'une, sous reflet de marbre, ancrée,

L’autre, Jeanne née perle nacrée.


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