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Désert

Tu m’as pris dans l’étreinte du lutteur, sans que je n’ai pu prendre le temps de m’échauffer. J’en ai eu le souffle coupé, trop fort, trop puissant, mes bras glissant sur ton corps huilé de lumière. A chaque détour s’inventait un nouvel assaut, sous le masque changeant de tes concrétions de grès et de schiste. Tu me regardais alors, assistant à mes ultimes soubresauts, me débattant vainement, dans le hoquet soliloque de mes sanglots. Intimement liés, je sentais sur mon visage ton souffle chaud, ton poids sur mes épaules plaquées à même cette dalle de grès rouge. En signe d’acceptation, deux coups de ma paume. A mes côtés, le fossile d’un oiseau ayant perdu l’équilibre, attiré dans le vertige du gouffre, plongé dans l’enfer d’une chute infinie, ne pouvant se raccrocher à aucune paroi, le bec arraché, les griffes brûlées de tous les artifices dont il pensait pouvoir se saisir. Illusion d’une vie rattrapée par le désir d’une fuite éperdue, alors que seulement, pour un bref moment, il se reposait sur un fil tendu entre des montagnes de rêves.

Figées à tout jamais, des gargouilles de pierre m’observent; dans la fixité de leur regard globuleux et écarquillé, la bouche tordue de douleur, se devine l’horreur et la peur d’une souffrance infinie. Enfoncé dans la roche, je me désagrège; mes souvenirs s'égrènent et se lient à ton étendue de sable couleur de sang desséché; un à un ils me fuient, et je tente en vain de les rappeler. Pour une fois seulement, j’aimerais tant les revoir. Je ne sens plus mes jambes, elles ont disparu; bras et torse s’évanouissent, et en poussière, je m'affranchi de mon passé, sans pourtant le renier. Je n’ai plus de certitudes, mon esprit volant avec toi sans que je ne puisse voir autre paysages, ni avenir que désert.

Grottes, rocailles, monticules rocheux, ensemble nous nous immisçons partout, nul recoin que nous ne puissions explorer. Nous traversons des plaines arides et désolées; au loin se devinent parfois quelques habitations, maigres lots épars de consolation, perdus au milieu du nul part. Et sables et vent se transformant en tempêtes dessèchent les bouches, crissent sous les dents, aveuglent et ferment les yeux, puis s’élevant en volute tourbillonnante se plaquent sur les tentes des bédouins dans le fracas étourdissant des bâches battantes.

Franchissant un portique de pierre, nous nous engageons dans les détours d’un étroit défilé, sicq tortueux et impressionnant de majesté; et traversant ces colonnes d’Hercule soutenant la montagne, apparaît soudain dans la lumière la façade d’un palais démesuré. Je l’observe alors un long moment, espérant trouver le signe d’une présence humaine. Plusieurs murs sont écroulés sur les cotés et le bâtiment semble être abandonné depuis des années, l'immense chapiteau soutenu par des colonnes n’est que ruines, prêt à s’effondrer.

Sculptées et façonnées dans la pierre, des flûtes soufflent au vent de notre seul vol, quelques chants dans une langue qui m'est inconnue. Un deuxième passage confirme la délivrance d'un message, et pour le moins celui-ci semble toujours empli de mystère, mais d'autres flûtes disposées le long d’un corridor s'élargissant et menant à une grande salle m’invitent à entrer pour le seul plaisir d’entendre le chant de ces sylphes, si mélodieux. Puis de cette chambre du palais qui semblait être un monastère, je pénètre dans un étroit couloir formé dans le tout de ce noir qui m'aspire et me dévore. Comme une dernière note qui ne pourrait se jouer, soudain, le silence de nouveau éclate. J’avance dans ce goulet, parfois transpercé d’orbites de lumières, révélant un mur lisse et sans aspérité, au grain et aux courbes de velours de pèche sous les caresses d'une main que je semble avoir retrouvée. Puis le noir.

Continuant ma progression, les parois se font rugueuses et coupantes, m’écorchant les paumes, déchirant les chairs. Mais las, je ne peux quitter ce soutien, au risque de perdre le fil du chemin, au son des larmes de sang qui résonnent sur le sol, écho de déséquilibre du vertige qui m’envahit à la seule pensée de me vider.

Dans le ciel satiné du noir de mon esprit, le scintillement d’une vie nouvelle illumine une espérance de découverte de nouveaux mondes insoupçonnés, illusion d'une réalité qui se créerait par mon simple regard. Et résonant et se heurtant aux parois, progressivement la lumière revient, mêlée insidieusement à des rumeurs qui se font clameurs au seul gré de mon avancée. D'une grande ouverture s'écoulent vers une immense vallée mille marches gravées dans une pierre marbrée de volutes ocres et bleutées.

De tous les côtés des hommes et des femmes sortent de la montagne. Ils sortent de ces mêmes trous obscurs ornés de colonnes et de chapiteaux et dévalent des marches semblables à celles que j’emprunte, et qui conduisent à cette ville qui me fait face.

Sur les falaises à pic, formant un cirque, des tailleurs de pierre, bénissant la montagne de leur bras ruisselants surmontés d’un bec de fer, font naître des tombeaux, dans le jaillissement continu d’un flot d’éclat de grès. Au pied de ces murailles, des jeunes charrieurs de bloc de pierre, à grands coups de trique de bois d’olivier, sans remord ni pitié, frappant même leurs panses rondes à coup de cailloux, font avancer des ânes épuisés, luisant de désespoir, tirant des carrioles bondées et prêtes à craquer de gravats aux couleurs de vermeille et de sang. Charges trop lourdes et écrasantes pour ces petites âmes aux frêles pattes vacillantes que ces brutes au visage d’ange s'échinent à faire avancer jusqu'à les faire crever.

Des marchands ambulants, accroupis à même le sol, au bord de la route pavée et bombée, écrasent cardamone et graines noires ressemblant à du gros blé, puis les jetant dans de l’eau, les font bouillir dans un petit récipient de bronze posé à même la braise.

Ambre, encens, pourpre de Tyr, épices, figues de sycomore d' Egypte et dattes de Biskra, jus de tamarin, olives vertes, mélanges nauséeux et écœurants de cumin, de menthe séchée et de piment, marqueterie de curcuma, de coriandre et de graines de poivre noire ou de pois chiches. Derrière ces étals se tiennent des hommes aux cheveux noirs et bouclés, aux visages sombres et aux barbes finement taillées en pointe. Ils haranguent et vocifèrent.

Comme une fourmilière, se heurtant, repartant dans tous les sens, déchargeant et chargeant leur fardeau; harnachement de mules et de chameaux, vaisseaux de bêtes et d’hommes, va et vient continu dans la transpiration de corps s'entremêlant sous le poids d’un soleil de plomb. Cette ville grouillante de cris et de soupirs, se gonfle des vastes contrées emplies du mystère de ces caravanes d’hommes et d’animaux, puis expire, dans l'écœurement d’une confusion improbable de cris d'espoir de richesse et d'aventure, d’odeurs de vies nouvelles et de couleurs de civilisations méconnues. Fascination de ces routes de rêves ou espérances illusoires de pouvoir retrouver dans un autre monde ce qu'on a perdu ou délaissé.

Au loin de cette route bordée de cris et de cyprès, des temples, des palais, et des maisons de pierre au toit en terrasse se répandent dans le soulagement du calme de l'après d'une tempête.

Et les hommes et les femmes entrent et sortent de la montagne. De toute part, en lent palimpseste, vêtus de leur longue toge blanche immaculée, ils descendent et gravissent les milles marches qui mènent aux excavations obscures ornées de colonnes et de chapiteaux.

A l’est de la ville, sur les hauteurs, domine une grande montagne. Mésopotamiens, Egyptiens, Nabatéens, Assyriens, Romains et Chypriotes s’élèvent en procession. Poussant des agneaux ou portant des cages d’osier emplies de colombes, ils se suivent et marchent péniblement. Ils montent l’étroit sentier qui mène vers le haut lieu du sacrifice, but ultime ou étape de leur grand voyage et, de leurs bras tendus au détour de ce chemin vertigineux surplombant le gouffre de la ville, désignent avec excitation le sommet. Là, dans l'hystérie collective de leur culte, des prêtres, tournant autour des tables de sacrifice d’où s’élèvent les esprits, immolent et saignent à tour de bras les victimes offertes en échange de quelques pièces d’or. Promesse d’une vie meilleure, de voyage paisible à l’ombre des tourments, protégé des dieux par ces quelques libations.

Sur les contreforts escarpés d'une coulée qui descend vers la vallée, des chèvres audacieuses et bêlantes, escaladent des pentes vertigineuses, glissant et menaçant à chaque instant de se perdre dans le vide, pour le seul désir de la maigre bouchée d'un minuscule arbrisseau, qu'elles broutent et relâchent de frayeur, déstabilisées par cet infime mouvement à arracher l'innocente touffe si parfaitement défendue. Et hurlant de leur bêlement qui par écho déchire l’espace, finissent par se rétablir, leurs sabots accrochant sporadiquement la pierre lisse qui se dérobe.

Et les hommes et les femmes dans de longues toges blanches immaculées disparaissent dans la montagne. De toutes parts ils gravissent les milles marches et pénètrent dans des excavations obscures ornées de colonnes et de chapiteaux. Ils vont honorer l’au delà de leur mort, honorer leur croyance terrifiante ou rassurante, aspirés dans l’immensité du trou noir qui s’effondre sur lui-même.


                             ***


Quelques pierres sont sur une petite table grise, 
délicatement posées comme des reliques.

Un tube de sable d'ocre, un morceau d’arbre noueux,
un bloc de sel de la mer morte,
et même, quelques pièces de là- bas....

Alors je m'assieds à coté, dans mon canapé, 
et j'ouvre le livre de Tomas Tranströmer.

Les murs se transforment en roc de grès rouge, 
mes pieds s'enfoncent dans le sable.

Ou je me retrouve dans une voiture, trois femmes allongées, 
bercé par le tac tac d'une route mal bitumée, 
à glisser dans la nuit;

des lumières carrées coulissent sur les côtés.

Je me suis même trouvé à l'arrière d'une camionnette, 
brimbalé de tous les côtés, assis dans un cageot de tomates !

Alors comme j'ai un peu froid, je ferme le duvet en faisant glisser le cordeau.

Quand il ne reste qu'une toute petite ouverture, 
juste de quoi laisser passer mes yeux;

je m'endors en comptant les étoiles filantes ...

Bertrand B

Jordanie Février/Mars 2012


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