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Cheminement...

dans le Wadi Rum

Quand je viens à sa rencontre, il s’avance, il m’observe…

Muette de stupeur ! J’ose lever les yeux.

Je pénètre  dans un monde  de sable, de pierre,  aux couleurs et formes saisissantes.

De gigantesques  roches de grés en  gardiennes  du Wadi Rum,  me regardent!

Toutes plus énigmatiques les unes que les autres, elles se dressent monumentales, certaines telles des statues de Pâques, aussi massives et imperturbables…

Grossièrement taillées ou finement ciselées, elles se révèlent entièrement recouvertes de représentations.

 

Je me sens vaciller ! Aussi loin que mon regard se porte, elles sont là…

 

Morcelées, accolées, empilées, entrelacées ou solitaires !

 

Elles émergent dans une  couleur  sombre puis se déclinent suivant l’heure ou la lumière dans de nombreuses  teintes, en bouclier érigé,  paravent de roches !

Elles s’élèvent  sur une  vaste couche de sable aux contours étirés dans une  variance de jaune safran, de beige  ou de rose…redessinant une mer intérieure, aux vagues imaginaires, à l’écume mousseuse de nuages !

 

Il me semble qu’elles se posent et posent  dans un  dédale chaotique au travers d’un scénario sans cesse renouvelé.

Ce n’est pas seulement un magma refroidi, émergeant en une  matière pétrifiée, libérant des formes, des couleurs, c’est  un assemblage de personnages retraçant des  scènes de vie ou encore des monuments qui se déploient,  et s’imposent à l’œil dans un mélange  incohérent, pourtant  harmonieux…

 

Sous mes yeux ébahis tandis que je marche :

 

Là,  un amphithéâtre tout en rondeur de couleur rouge terre de  Sienne !

A côté,  des temples d’un beau vert jade !

Dans le fond,  de blanches mosquées en transparence!

Un peu plus loin dans la nudité de la plaine, un bédouin, son kéfié enserré autour de la tête,  est entrain de prier, genoux à terre…Pierre posée comme une sculpture d’un gris métallique !

 

Je me sens  happée de toutes parts, je ne sais de quel côté tourner les yeux puis  je me laisse guider, mon regard est dirigé par une force inconnue, il  se déplace et se fixe sur la roche.

Sur une paroi lisse et marron, au premier plan  incrusté dans la pierre,  un visage avec un œil grand ouvert et l’autre à demi fermé,  se rapproche.

« Regarde avec tes deux yeux ! » J’entends distinctement  ce message de bienveillance et je sens son  regard protecteur  me suivre.

Je me surprends à ouvrir  grand les yeux.

Je frissonne malgré la chaleur,  je ne peux me détourner  de ces étrangetés,  façonnées !

Par la puissance  du souffle rauque du vent !

Les faisceaux ardents du soleil !

La hargne des tourbillons de sable!

La froidure des nuits sous la symphonie des étoiles...

 

Façonnées, sculptées, imprimées, elles sont vibrantes de vie là, devant moi!

 

Le temps sous  l’injonction de ces éléments  a gravé l’histoire  et la roche en est un des révélateurs…
Cette roche aux formes multiples et  étranges  transpire les siècles écoulés et je ressens tout un passé qu’elle m’autorise à pénétrer!

Je suis  entourée, cernée par leurs tailles démesurées…

 

Ici ce n’est plus que désordre et chaos,  j’y vois toute une frise  composée de têtes, pensives, inquiètes, perplexes, des hommes de tout temps.

La pierre est grise comme si les couleurs s’étaient effacées.

Des têtes qui se frôlent, des êtres qui trichent, tout un monde qui pense être dans son bon droit.

L’homme qui  juge  et condamne, pétri de suffisance, faisant fi de son intelligence !

La tolérance pointe du doigt l’intolérance…

 

Ici des tas de pierres hauts  comme des pyramides qui s’érigent, éboulis fragiles sans laisser de trace de message, un amoncellement de corps sans vie…

Témoignage  des erreurs des hommes sans cesse renouvelées.

Je suis parcourue d’ondes de froid intense et pourtant j’ai chaud !

Je marche vaillamment frappée par ce trop plein de résonnance, d’images…

 

Un visage de bouddha  se détache tout en blancheur et me fait retourner, je le 
contemple avec insistance !
Mon esprit se fond dans la pierre.

Le souffle du vent caressant se réveille. A présent, il me bouscule !

Je m’arc-boute de toutes mes forces essayant de le contrer, alors le vent se fait 
murmure
et me donne sa force, je rentre en lui, je tourbillonne…

Je m’approche, je flaire la roche comme si cette montagne m’appelait de l’intérieur.

 

Le ciel se fait bleu indigo,

je deviens puissante  comme un charretier !

 

Avec la légèreté d’une plume…

Je dévale les dunes jaunes scintillantes sous le soleil !

 

Je m’accroche aux  arbrisseaux secs et rabougris !

Je recrache le sable qui retombe en gerbes cinglantes !

 

Je respire les couleurs d’ où émergent  des vies :

Le vert jade se mélange aux effluves de la mer  et d’essences de plantes, souffle puissant de la nature,  imperceptible et tenace d’un lointain passé.

 

Le rose et le  rouge me suffoquent dans des parfums de passion d’où  surgissent  des  palais, rois et sultans,  le temps des nabatéens s’inscrit où se mêlent les  parfums d’encens et d’épices qui  retracent  la route des marchands et des caravanes !

Ces senteurs  de réjouissance, d’opulence se dissolvent dans les odeurs  de sueur, des combats,  de  mort et de naissance.

 

Le beige, ocre et safran s’étalent  dans l’air  de la terre des nomades là où  la couche des bédouins se fait et se défait dans les courbes du sable, dunes, chemin esquissé, effacé,  recouvert et redessiné dans les  tourbillons  de  poussière et le piétinement  de troupeaux, la fumée,  l’odeur du bois et cette envolée de  grains qui quittent  la pierre  et s’éparpillent en sable dans le murmure du vent chargé de cette vie qui s’accroche à la peau…

 

Toutes ces couleurs livrent leurs odeurs d’un passé et présent réunis.

 

Mon souffle devient ce mélange d’air  du Wadi Rum !

 

Je chante « AntaWana » pour l’homme que  j’aime, pour que mon souffle chargé de cette haleine parfumée lui apporte mes paroles dans l’écho retentissant  de la vallée  des montagnes…

 

Alors :

J’entends battre le cœur des hommes depuis  la nuit des temps, dans le ventre de la terre, dans son armure de  roche tourmentée,  dans sa peau qui s’effrite et se fragilise, dans le silence de son désert insondable, de sa solitude implacable  quand une  plainte s’échappe  et s’éparpille dans  le souffle du vent ou qu’elle se dépose dans le creux d’un repli ou s’enfouit sous une dune.

Comme une peau de tambour tannée par le temps, ce battement  résonne de souffrance, de joie et d’espérance !

J’écoute…

Le battement des cœurs s’accélère, une vie là s’inscrit  dans la nudité de la vallée,  
monte
de ses entrailles,  une vibration dont le son se fige sans vouloir livrer ses secrets.

Je voudrais écouter encore,  percer le murmure  de la  vallée ou  traverser le tumulte de la roche.

 

Mais je dois monter ! Suivre cet appel impérieux…

Alors qu’il me plairait de  me rouler dans cette mer de sable comme Allian 
le dromadaire, il me faut grimper pour tenter d’atteindre le sommet. 
Je ne rechigne pas à escalader, cependant je ne veux pas me rompre le cou ! 
La paroi est un peu raide,  des yeux bienveillants suivent mes pas hésitants, 
des mains m’agrippent pour me hisser, la peur s’envole.
Un homme au cœur 
généreux me porte mon sac.
C’est moins difficile que je ne le pense, les encoches 
se rapprochent comme un escalier
taillé dans la roche naturellement…

 

Un rêve me revient, les images sont identiques à ce lieu !

 

Une montagne gigantesque avec un passage fait d’escaliers,  moi je ne vois rien d’autre qu’une paroi inaccessible,  ma mère n’hésite pas, elle grimpe allégrement devant moi  alors qu’elle est déjà bien avancée en âge et fragilisée par  une fracture du col du fémur :

« Monte devant,  la pierre est taillée depuis des millénaires, ne passe  pas devant sans la voir, la sentir,  sans la gravir, il te suffit de trouver le chemin, continue d’avancer, sois  attentive, les indices ne manquent pas et  te conduiront là où tu dois aller.

Va ma  Fille ! » Me dit-elle.

Ce rêve, à cet instant  prend tout son sens.

Venir  dans ce désert,  grimper cette montagne, c’est la suite d’un choix et de reconnaître ce chemin tout tracé me remplit de joie.

Je  ressens  la force de ma mère me pénétrer et je suis  remplie de sa grande bonté !

Un voile blanc transparent se dépose sur la roche, carré de lumière sur  l’aspect métallique de la pierre imprimant  un sourire qui s’estompe aussi vite qu’il se dessine !

Est-ce bien  ton sourire Maman ?

Tu me manques et  pourtant, je te sens là à mes côtés.

 

Nous décidons de ne pas aller plus haut, je suis soulagée, un peu étourdie !

Je respire  les couleurs qui m’entourent comme des sels pour reprendre mes esprits,  souffle de la pierre d’antan diffusé  dans l’air que  ma respiration redistribue !

Je ne suis pas montée  jusqu’au sommet, ce n’était pas nécessaire, je redescends aisément, le plus souvent je me laisse glisser et au  contact de  la pierre je me déplace sans effort !

A nouveau  le chemin se profile dans un  horizon  de sable et de roche…
Je marche, je dois avancer !

Plongée  dans sa matière, je  deviens  élément de sa matière, j’y découvre  une paix, 
un bonheur que personne ne peut entamer. A nouveau je m’oublie !

Je me sens accepter sans limite, accueillie dans ce monde de pierre et  de sable…

 

Au matin, je suis réveillée par le chant d’un minuscule oiseau bleu et rose qui me fait écarquiller les yeux et bientôt il est  rejoint par deux autres,  ceux là sont de couleur  verte et  jaune,  ils chantent à gosier déployé, leurs couleurs vives tranchent sur  la roche foncée.

Je me lève de bonne humeur, leur chant est gai et je me surprends à sourire  tant ils sont si petits  et si puissants du gosier, bercée par ces vocalises,  je me souviens des dessins entrevus sur la roche hier soir et je pense à ce peuple Nabatéen…

Une aubade  et des images gravées sur la roche  ressuscitent le  passé  lointain d’un peuple jadis heureux en ces lieux.

« Ecoute et regarde ! »

Ce grand peuple a  dormi dans le creux des roches et veillé  sur l’acheminement des marchandises sacrées et précieuses durant la traversée du Wadi Rum.

Leur présence est là mystérieuse, palpable dans d’imperceptibles indices.

 

Hier, il faisait nuit à notre arrivée et le lieu a gardé tout son mystère.

Tout en m’éloignant pour faire une  toilette sommaire, je découvre le sol en forme de croûte, fait de crottes desséchées laissées par  le  troupeau des bédouins, seule trace visible de leur passage.

Une haute falaise de couleur caramel et jaune  s’élève magistrale, elle est  gravée

d’impressionnantes  représentations  qui  de plus près  apparaissent  en relief,  le campement  composé de quelques tentes semble lilliputien devant cette cathédrale de pierre !

Et la vallée s’ouvre  devant moi comme une mer intérieure, une mer lointaine à jamais disparue, à présent noyée  de sable !

Le soleil commence à la réveiller en lui donnant de subtiles couleurs qui se fondent par touches de  rose, de beige, de jaune, de  blanc vaporeux,  de vert.
D’imposantes roches sombres dans le fond  la parsèment et les  plus proches  se précisent, je les vois  plus découpées, plus  morcelées et leurs motifs se dessinent   avec plus de netteté  dans la lumière douce du matin qui s’avive.

 

Je voudrais rester là, m’engager dans son  dédale de pierre, me cacher dans  ses  cavités, ses  replis, enfoncer mes pieds dans son sable, m’y allonger, m’y rouler comme dans une mer, me baigner dans ses couleurs !

 

Inattendus, bruyants ils remontent  de ma poitrine, les sanglots !

Je m’abandonne à ce chagrin, mon corps ploie, dans une suffocation oppressante, arrachés du fond de ma mémoire  ces pleurs  me  secouent,  des hoquets me laissent pantelante !

Le vent  se charge d’éparpiller mes larmes et d’accrocher  ma tristesse à la roche.

L’instant d’après  le  soulagement s’installe et apporte  la quiétude dans une   respiration renouvelée !

 

La vallée  me regarde impassible, je la dévisage perplexe.

 

Après un instant de  tête à tête  avec cette  nature  et le  partage d’un petit déjeuné 
avec les amis de voyage, il est l’heure de lever le camp, de repartir…

Tout le groupe se met en marche !

 

Les sentinelles sont toujours là, je ne peux échapper à l’emprise de leur  regard.

 

La roche prend des couleurs inconnues jusqu’alors, du bleu ciel se détache 
du rouge sombre
comme marqué d’un coup de pinceau,  cette couleur apparaît   
trop vive  pour être naturelle, les choses s’inversent ici,  la beauté éblouissante 
des couleurs  paraît suspecte.

 

La marche se fait laborieuse, le sable ne se laisse pas accrocher,  il se dérobe sous mes pas,

je n’ai  pas prise, l’effort me coupe le souffle, le soleil me chauffe  la nuque…

Je suis obligée d’enfoncer  mes pieds dans le sable pour avancer  et  je me sens reliée  à ce lieu comme traversée par  un courant.

 

Je marche  d’un bon pas, heureuse !

 

Distraite  un temps par une découverte que notre joyeux accompagnateur  Mûtlag  met à jour,  je m’arrête,  il creuse  dans le sable avec ses mains  autour d’une  drôle de plante.

Une partie rouge foncée et d’aspect velouté dépasse de quelques centimètres du sol et une  racine descend profondément en s’amenuisant.

Il  prend tout son temps pour dégager  cette racine qui n’en finit pas de courir dans le sol pour se  terminer fine comme  un fil qu’il brise enfin, pendant cette opération  son regard est chargé de mystère et ses gestes ressemblent à un rituel.

Une fois  dégagée, la plante à l’air d’une grosse asperge biscornue,  d’une  couleur étrange,  Allian  le dromadaire en  est friand, ça se voit et cela s’entend,  dans de grands bruits de langue il a vite fait de l’engloutir.

 

La marche reprend, tout autour  d’imposantes et étranges roches  de couleur caramel !

De petites dunes de sable jaune, du sable beige piqueté de vert, du sable rose rayé de  rouge comme un tapis aux motifs raffinés qui se déroule loin  sous le regard…

Là sous nos pieds, des petits lézards bleus  qui filent,  des rondes de petites fourmis que nous contournons, de ci de là des terriers de petits rongeurs et de renards,  des plantes aux petites pousses vertes et  parfois violettes ,  des arbustes  d’un vert jauni,  des chardons aux tiges desséchées  jaunes ambre,  de minuscules et rares  petites fleurs bleus…

 

Je marche, nous marchons, parfois en file indienne le plus souvent  éparpillés comme ces grains de sable, souvent, je m’arrête, je tourne sur moi-même pour me remplir  de cette beauté, de ces couleurs saisissantes, et  me fondre  dans l’ensemble  du paysage !

Je vous vois comme moi vous aussi vous arrêter, et vous  perdre dans ce lieu étrange !

 

La nuit tombe vite, le froid la rejoint,  bientôt les mots remplacent les pas et l’instant se cristallise dans les voix, les sons, les rires autour du repas et du feu crépitant…

 

Puis  un peu plus tard à  l’écart, les  regards se perdent dans le ciel animé  d’étoiles…

La vie est intense là-haut, ça brille, ça file en traînées lumineuses, c’est une vie de lumière!

Ici les étoiles criblent le ciel …Je me demande : y-a-t-il d’autres êtres vivants là-haut ?

Que nous cache  cet univers,  ce système si bien orchestré !

Pour l’heure, je me contente de rêver, je décide de dormir à la belle étoile…Braver le froid !

J’aimerais  que  les étoiles me racontent leur histoire.

Je n’en saurai rien car cette nuit  les nuages ne vont  pas tarder  à recouvrir  les lumières, le ciel s’éteint tout d’un coup et se  revêt d’ombres mouvantes,  signe annonciateur d’un peu de pluie. 

Même si la pluie n’a rien de diluvienne, regagner un abri de toile  me paraît plus sage.

 

Je sens l’humidité  me réveiller au matin et  j’entends des gouttes tomber  sur la toile de tente,  quand je sors la tête, tout est gris, la brume dissimule la vallée, je m’aventure, je bute sur des racines entortillées comme un câble…

Je m’installe pour me laver  sur une roche dans une faille qui se rétrécit en un couloir étroit,

la température est fraîche, la toilette est vite faite.

 

C’est l’heure du petit déjeuner, une mêlée de bras, au-dessus des pots de confiture, du miel, de l’huile d’olive, de thym aux graines de sésame, des  petits gâteaux secs et de grands pains ronds et plats,  j’adore ce pain et celui là je le trempe nature dans mon thé, un  délice !

Après un dernier thé à la sauge bien parfumé  nous voilà repartis,  tous un peu transis!

 

Il fait froid, le vent me pousse, notre  guide Louya  entame l’ascension, nous le suivons,  je suis un peu morose, je grimpe de roches en roches, de l’autre côté  des falaises plongent à pic, impressionnantes forteresses badigeonnées de couleur rouge sang qui nous tournent le dos !

Face à ce  vide et cette paroi peu hospitalière  je me sens frissonner…

Bientôt  des couleurs vivent parsèment notre chemin,  un enchantement !

Des pierres de toutes les couleurs crissent sous nos pas, des éclats verts marbrés de blanc, d’autres violets  veinés de rose, des rouges striées de bleu, toute une  mosaïque sous nos pieds…

Quelque chose me retient, comme si ces pierres étaient sacrées, à aucun moment je ne peux étendre la main pour en ramasser, pas même un fragment,  je suis comme à l’intérieur d’une grotte mystérieuse.

 

Un peu plus tard,   Louya  s’arrête et me met du rouge à joue, fard qu’il extrait d’une pierre friable, le contact de la poudre de  pierre sur ma peau me réveille et ce geste empreint de délicatesse me touche.

 

Je fais attention à mes pas, le sol est  un peu humide, la montée est assez  facile mais pesante, une halte pour  reprendre souffle et grimper, grimper encore !

Je ne sais pas ce que je vais découvrir là-haut, j’ai froid de l’intérieur, il fait sombre, les nuages s’étirent menaçant  au-dessus de nos  têtes, je sens la nuit venir pourtant c’est la matinée.

Le vent fait un tumulte effroyable dans le chaos des roches, il geint, hurle, halète !

Je me recroqueville, je monte à quatre pattes les derniers blocs de pierre,  mes mains s’agrippent à cette surface froide et dure,  en haut, je ne distingue rien d’autres que des nuages menaçants qui s’entassent au-dessus de nos têtes.

                                      

                                                         L’empreinte d’une  mer …

 

 

Au sommet  de la montagne, vent tourbillonnant,

dans un amas de roche, abasourdissant !

Ses puissantes griffent, m’empoignant!

M’enserrent et m’empêchent d’approcher,

Je sens mes yeux se fermer et la nuit  m’emprisonner !

 

 

La terre s’ouvre dans les profondeurs de la mer !

Jaillit la lave qui bouillonne dans l’air.

Entre  les coulées rougeoyantes,

Luttent les eaux déferlantes…

 

Le vent apaise la souffrance,

La terre se libère, expulse, donne naissance !  

 

Dans un  tohu-bohu de sons,  de gémissements,

des nuées de cendre, le temps se  suspend !

 

Je sens  la vallée reprendre forme  lentement,

D’une mer ensevelie, un apaisement !

 

Corps alangui dans un bain de sable,

                        à l’écume mousseuse de nuages,

 

Sa fragile nudité rougissante

                        dans une raie de lumière filtrante,

 

étire ses courbes douces et pures dans un élan figé !

                         En vagues imaginaires et mer lointaine comblée !

 

A l’ombre de la pierre refroidie, paravent de sa  souffrance !

                          Pour  son ventre condamné, un écrin de silence,

 

un désert est né, un sanctuaire, une œuvre d’art à traverser !

                           Pour que l’homme s’inspire de cette beauté, 

            

vibrant, raisonnant d’intensité !

                            Un  chemin de vie, de confiance, de paix !

 

S’élevant avec grâce comme  un  bouquet d’immortelles,

                            tout là-haut dans la roche,  en transparence  dans le ciel,

 

d’un bleu pur, en forme d’ailes de papillon,

                            d’une beauté irréelle, des fleurs en témoigneront !

 

 

Je ne sais pas combien de temps je suis  restée là,  immobile, sous l’emprise de la vallée, emportée dans sa métamorphose !

J’ai bien du mal à m’extraire de son étreinte.

Puis je retrouve peu à peu mes esprits, un thé à la main autour d’un feu rassurant.

« Que perdure imprimé dans ma mémoire, le mouvement de balancier de la vague devenue inerte, dans la mer ensevelie en strate du temps. »

 

La descente se fait  en silence…

 

Après le repas et  un temps  de repos, nous allons  sur l’autre versant moins élevé.

Là, le vent se tait, devant moi, un grand bateau échoué de couleur rouge sombre maculé de bleu ciel,  émerge du sable,  la roche à nouveau se matérialise  sous mon regard.

Je suis fascinée !

Nous continuons dans un  dédale de pierre.

La plaine se blottit entre la roche,   les falaises s’élancent à l’assaut du ciel, nous gravissons une dune de sable jaune humide puis nous la dévalons comme des enfants.

 

Plus rien ne se passe, silence, temps suspendu,  recueillement…

 

Je grimpe sur un petit promontoire,  à nouveau tout prend corps, à  droite je vois des tas de bateaux empilés, entassés les uns sur les autres, de très grands bateaux couleur de bois brûlé amarrés  dans un port sans activité…

Au centre, des habitations creusées dans la roche, compressées, compactées, villes entières écrasées,   devant cet amas,  tout un monde de gens laborieux,  des  marchands, des  familles, ces gens  se  tiennent debout encastrés les uns dans les autres. Un monde pétrifié.

Tout en haut, un roi Nabatéen  le regard droit fixé sur l’horizon, se tient coi,  figé pour l’éternité !

Cela ressemble à une œuvre d’art contemporaine.

J’ai le vertige, il me semble entendre  le fracas de la mer sur la roche.

Mon  regard s’éternise car je  veux imprimer  ce  tableau,  le fixer  dans ma mémoire avant de repartir.

 

De retour au bivouac, c’est le temps de l’écriture, je cherche  « mon calame » et  je descends dans les  profondeurs  de mon antre pour retrouver  les mots.

Mots que je déverse  dans mon carnet  qui  m’apportent  l’apaisement et la joie.                                                      

 

Dernier jour, je ne pense pas  au retour, je veux vivre jusqu’à la dernière seconde ce présent.

Dans l’air du matin  frais et  limpide, je suis face à la montagne, celle-ci semble taillée d’un bloc aux  contours  arrondis, elle est  teintée de mauve et  se révèle doucement, je l’observe en contemplative !

Elle me fait lever  la tête et comme si cela était  une évidence, sur un versant presqu’au sommet, je vois se découper une petite silhouette de femme  entrain de prier, sa forme  sculptée dans la roche, je reconnais l’empreinte de ma mère comme si tout pouvait s’imprimer dans la pierre.

L’air vibre tout autour de moi dans un  silence opaque !

Je suis troublée, l’envie me tenaille d’aller la retrouver mais comment faire ?

Je m’égare, je m’éparpille, puis je me rassemble, je respire dans le souffle du vent, mon esprit s’infiltre dans la pierre, je me dépouille, je délaisse  mon corps,  je me déleste de  ma matière et  comme un papillon je me pose  tout là-haut.

 

« Ici c’est la montagne des prières, remercie de pénétrer ce lieu, tu es dans la vallée des âmes !

Je prie pour que ce désert reste la terre des bédouins…

Les nomades sont conviés dans le désert pour y vivre car  ils  ne s’approprient pas la terre.

Je voulais te faire venir jusqu’ici…

Tu ne peux voir ce monde auquel j’appartiens désormais mais  tu peux le  percevoir de bien d’autres  manières et me retrouver autrement !

Ne laisse pas choir ton stylo, jamais. »

Comment et  sous quelle forme ce message m’arrive ?

Je sais seulement que l’âme de ma mère  et la mienne se rejoignent  dans une communion fugitive et intense au travers de ces mots.

Je n’essaie pas de comprendre, je me rapproche.

Des larmes embuent mes yeux, je suis médusée, un grand émoi me traverse.

Je reste silencieuse un long moment,  je me détache  douloureusement et doucement  de ce lieu sachant qu’il ne faut pas en troubler l’ordre…

C’est le tumulte dans mes pensées puis  ma raison se dilue dans sa grande  foi !

 

Ce soir je dois repartir,  ce sont mes dernières heures dans le Wadi-Rum.

La journée est magnifique et s’étire à la limite du désert là où nous arrivons !

De là-haut, tout est différent, le temps n’a plus prise, il se disloque :

Juchée sur le dos d’Allian, je parcours la plaine, elle se dévoile  dans toute sa plénitude et   m’accueille dans son giron.

 

« Je les vois se déplacer comme un nuage tourbillonnant, des femmes, des enfants, des hommes qui marchent, serrés les uns contre les autres, accompagnés de leur troupeau, ils avancent sous le soleil, couverts de poussière,  dans les gémissements, les pleurs ou  les rires et  les chants.

Un homme à l’air farouche et déterminé marche devant eux, d’un pas ferme,  il les conduit!

Le suivre....Cette  voix qui résonne  en eux les transporte.

Un long  temps d’errance, un espoir, une quête,  retrouver leur terre pour vivre libre !

 

Sur le dos d’Allian, emportée dans un balancement hypnotique,  je voudrais les rejoindre…

Mais dans un tourbillon de sable, ils disparaissent, la plaine est à nouveau nue. »

 

Dans le silence, je sens la vie m’interpeller !

J’entends les battements de  mon cœur, je le laisse me parler, j’écoute !

 

A présent « Raconte le Wadi Rum ! »

 

 

 

 


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