Eclipse
Ce qui est présent me reste inconnu,
loin de cette couche consciente qui voile mes yeux.
De commencement il ne peut être question.
Comment procéder si le début ne peut se mettre en lieu ?
Remonter le temps que l’on veut clément.
De cette fin tirer un fil invisible,
lors que le désir brûle de se rendre sur le sommet des origines.
Le sens dérive et s’effiloche, glisse,
hors les filets tendus sur l’espèce infime de mes souvenirs.
Elle, femme brune, lettre bleue, dérobée
sous le poids du rêve qui s’est glissé entre
les ombres d’une silhouette non encore imprimée.
Restent les directions du vent.
Reste l’empreinte possible.
Le Ceci est obligé.
L’opposé éloigné ne peut s’étreindre,
se dérobe sous les doigts tendus.
Le sol de l’entre-deux s’ouvre,
une brèche, gerçures de terre, corps coupé.
Rien n’existe. Il n’existe plus rien.
Que cette recherche obsessionnelle du lieu premier.
Tout est vide. Il ne peut plus exister que Ceci,
le vide et non l’obscur.
Entre lumière et obscurité, elle ne voit plus.
Seules persistent les ombres de ses nuits.
Obsession de l’œuf dont le nom est tu.
Personne ne peut le prononcer.
Trois lettres nourricières qui explosent du cœur.
Restent les voix réfugiées.
Ceci même ne veut prendre forme.
Difforme pensée qui vole.
Le féminin hors de vue,
l’homme en une plénitude inconvenue.
Frontière où le futur ne trouve nulle empreinte possible.
Et si le flux ne peut être nommé, enfle encore
le cœur qui pompe le suc des profondeurs.
De vous, en ce jour lumineux, je m’interdis de dire le nom,
je ne peux ni vous invoquer, ni vous convoquer.
Les mots du possible, étouffés, globules silencieux
d’un corps qui peine à s’épouiller.
Le son de l’ouverture, celui qui ouvre voix s’est tu.
Englouti, effondré, le son originel, ni celui du cri, ni celui du rire,
ni celui d’une peur stérile, ni celui de l’effroi, ni celui du guerrier
ne perce plus.
C’est ici que l’écriture s’engouffre,
pente d’une ligne de brèche, fentes en plongée.
Privé de lui, portent-elles encore toutes un début,
un commencement, une ouverture, une étincelle ?
Cette même lettre les confond-elle en un même lieu évidé ?
Tout son englouti porte l’espoir secret d’un tintement étoilé.
Tout est miroir. Toi, Reg, Erg inversé.
Reste le souffle sourd, périphérie des muselières,
débord de l’emprise des serres de bois cordé.
Reste tout ce qu’on ne voit plus.
L’oxygène s’épuise, que reste t’il ?
Bruissement
C’est un œil qui pénètre les cieux,
qui perce les pics rocheux.
C’est une bouche dessinée.
C’est un front ciselé.
Le temps d’une voix est encore éloigné.
Des corps non tendus, plutôt distendus,
en un souffle clos de l’intérieur
et s’ils s’effilent d’entre les fils ténus,
peut-être entend-on un sifflement encore
plutôt qu’un son.
Le temps du présent est venu,
nul endroit où poser le doute sur ce temps imposé.
Le temps qui précède resurgit des brèches ouvertes des puits nocturnes,
d’une nuit illuminée, posé sur le sol, en ce lever second,
comme les bribes polygones d’une miroir brisé,
comme les pièces d’un puzzle privé d’existence,
comme ces petites qui peut-être ne seront femmes
qu’en reflet des pupilles érodées qui les voient
comme pour une de ces premières fois qui tendent nos vies,
comme les ombres des roches qui guettent une silhouette,
il se tient en ce lieu de croisée.
Chimère dont le cri, encore, n’est qu’un bruissement.
Ce fut lui qui tint en ses yeux
le verbe usé et tu ne fus en ce temps
que silence et écho
de ses espoirs perdus.
Ce fut lui qui détruisit,
rongé d’une foi secrète
et finit, homme impénitent
sous le feu de mille coups épuisés.
C’est lui, encore, qui,
des gouffres tendus vers le ciel,
en ce jour de folie,
ressurgit.
Ce qui gît en ton centre, essence dépouillée
ne peut encore prendre corps peuplé.
Tu es celui, tu es celle qui porte le commencement
et ensemble trouver le lieu
de cette voix qui se tend entre nos cœurs,
perce nos ventres, hurle son innocence.
Celle d’une délictueuse existence.
Percée
Coquille vide percée d’un coup de bec aigu,
le vent léger du matin me dépose
entre deux corps de bois noués.
Il ne reste de moi qu’un faible filet de vie
qui s’écorche encore sur les aiguilles de pierres
enfouies sous la pellicule érodée du sursis.
Je glisse sur une dune que je voudrais chantante,
laissant échapper l’infime qui aurait encore pu me retenir.
Je tourne et me retourne, corps allégé en soubresauts,
d’un grain à l’autre, s’ouvrent encore plus profondément,
les craquelures.
Bientôt écailles éparpillées,
même l’œil de l’oiseau ne me verra plus.
Je m’évapore.
Chaque creux de roche est un appel qui, bientôt,
recueillera mon corps déserté.
Je ne te vois plus l’ogre.
es-tu ce point infime qui n’en finit pas d’épuiser
la colère étouffée, qui en sursauts de lave emporte
dans son brasier l’écorce fertile qui aurait pu me repeupler ?
Je ne te vois plus femme.
Ce sont les hommes que tu cherchais,
oubliant même de me donner,
ne serait-ce qu’une bouchée de cette vie
qui semblait t’habiter.
Et toi, pour qui j’étais restée une petite fille,
tu me dis de me sauver. Reste la douceur de ta main
quand le cœur ne savait plus parler.
Le jardin est un désert d’été.
Règne du silence,
blanc comme les nuits de lune.
Le temps est blanc.
Empreintes envolées.
Obsessions
Quand, de l’autre côté de la montage
gronde le cœur de la ville
sous la chaude lumière des lampes,
c’est le battement du sang dans mes veines
qui vrombit à mes tempes.
Entre les os de mes tympans, la lymphe enfle,
battement de tambours sourds.
Le silence s’évade.
*
Alors qu’il posait sur le feu naissant une souche
ciselée, racine torturée,
une flamme plus vivace que les autres vint mordre
un léger branchage.
Un murmure monta des mains
au-dessus des braises mourantes.
Chant des gouttes de pluie la nuit
sur la toile tendue.
*
Entre l’ici et le là-bas,
nul lieu. La brume bleue.
Un sable ocre dans les veines
de la pierre.
Ils ont donné à leurs visions
le nom de Monde.
Entre l’espace de mes pensées
fragmentées, se glisse (…)
L’air soudain brûlant
qui compresse l’enveloppe.
Il n’y a plus de peur
que celle peut-être (…)
Elle voudrait que le monde
ne soit plus que signes. Liés par le fil (…)
Elle ne sait plus ce qu’elle est.
Elle ne sait plus quand sa respiration
s’est arrêtée. Toute image l’a quittée, allant rejoindre (…)
Elle ne se connaît que par les traces
que ses mains déposent sur la page.
Je glisse, dans une anfractuosité, une main.
Elle voudrait reposer tel le bois sec
blanchi par le vent ensablé
jusqu’à ce qu’un feu trépidant
lui consume le cœur.
La tortue salut le soleil au levant.
Une paroi de lumière.
Oiseau entre les failles.
La cage de son torse
ouvre les portes. Univers étriqué
où ne coule plus que le sang de soi.
Une fleur que la gelée
a cueilli avant qu’elle ne puisse éclore.
*
Dans l’espace fragmenté de ses pensées,
se glisse un flux ocre aux reflets de sable rouge,
qu’une fine broussaille de branches vertes,
vient parfois dérouter.
Coule dans les veines de la pierre
une lumière blanche.
*
Elle vibre à peine,
A peine si le bout de son corps infime s’ébroue.
Elle glisse et peine à calmer son souffle.
Et tournent sans répit ses pensées.
Elle peine à dire, elle peine à dormir.
Elle a de la peine à vivre.
Qu’importe le jour,
tant que grondent les nuits.
Elle se noie dans le reflux aortique. Et s’endort.
Vision
Lentement le ciel se fissure.
Zébrures d’étoiles englouties
Déchirent la membrane en un cri
S’élargissent, alors, en ses craquelures.
Happés par les cheminées de terre, lambeaux
De nuit tendue d’un noir laqué.
Sous l’œil aveugle de l’oiseau
Gît, drapée, sa mue désertée.
Floraison sèche, repousse les frontières,
Tentacules déployées en vierge territoire
Perce la coque d’une obscure lumière.
Quand la pupille dilatée s’érige en miroir,
Le son tu en traverse de silence, corps
De tympan fragmenté, éclate pour s’éclore.
Appel
Les racines rocheuses s’effacent sous la brume de sable blanc.
Les colosses s’éveillent de leur long sommeil.
Les choucas précèdent le mouvement.
Le Wadi Rum s’élève, déploie sa marche.
Les Sîqs filent et sifflent tels les serpents.
Les ponts se meuvent sur leurs axes mobiles.
C’est le désert qui, alors, avance avec elle.
C’est d’un long sommeil que je m’éveille
en ce matin où l’aube encore à peine
éclaire d’une couronne d’or le sommet
des monts, le sable rouge de la vallée,
les dômes ciselés, les alcôves naissantes.
En cette aube où mes racines sous-marines
s’arc-boutent comme ces arches qui craquent,
étirées, sous la peau tendue du ciel,
où la lumière troue à peine la brume de sable blanc.
Mon ventre pris dans la respiration du vent
dont la voix se fait écho des parois
enfle de la poussée des dunes mouvantes.
Le vol des choucas, déjà, précède le mouvement.
Dans leur ombre, les traces d’une vie éphémère,
la course du reptile, l’empreinte du chasseur,
la marque du combat.
Les Sîqs répondent à l’appel.
De leurs profondeurs s’élève le chant
de femmes taillées dans leur flanc.
Les Sîqs se faufilent, tel le serpent.
Là où l’arc crisse
S’ocre la turre et tord les ourches, la niut s’étiole,
ixe blinc de la vie loctée.
Acre bouti sur ses uppidaces, la bête en ourrit,
les runes lui pircent les ourifaces.
Crosse la cirne, rougent les crucs, s’achourne
sur la dépaille, uffle le vount.
Rule le chunt de la flîte, scinde la cique,
Inunde la piorre d’une loque niurne,
Find la crite d’une lome de puche,
Iruse la brasire d’un siffle soc sur le sacle
de ses introuilles muse à niu,
Cropte sous le silex levant, le voule au pan de l’orche,
s’ovaille le rive d’un nauvi motin.
Et brache la fronture, s’ivre les vounes d’un jit cinglé,
s’acre le cerps d’une loumire d’ure.
Qu’une goutte pleine la traverse
Et s’ouvre la voie vers le lieu
Où sa face s’y crie.
Retourne, alors, là où l’arc crisse,
dans l’interstice d’un chant inouï.
Sandrine B.
février–avril 2012