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Lot juillet

  Les textes de Marc                

           Le petit guetteur

 
« Toi, tu restes là et tu fais le guet. »
La chaleur était écrasante, bourdonnant dans le grave et dans le rouge. Ils se
jetèrent à l’eau dans de grandes éclaboussures, avec des cris et des rires.
Tous.
Sauf lui.
Caché derrière un fourré il devait surveiller le chemin de terre qu’ils avaient
emprunté et qui menait à l’étang interdit. Ils lui avaient dit « Viens » et il avait suivi,
heureux qu’on l’emmenât enfin, ému qu’on l’ait choisi. Ils avaient pris le sentier vers les
bois en se cachant des regards tant qu’on pouvait encore les voir de la bâtisse. Ils avaient
avancés, pliés en deux dans les hautes herbes du pré comme des indiens sioux en
campagne, sans faire de bruit, et ils avaient ri entre eux d’une excitation secrète. Lui
aussi avait voulu crier un grand éclat de rire mais ils l’avaient aussitôt rabroué en jetant
des regards inquiets par-dessus leurs épaules vers le cube de béton gris ramassé sur luimême
là-bas au bout du champ. « Tais-toi ! » Il s’était alors tu, confus de son
inconscience. Promis, à partir de maintenant il serait un sioux rusé et valeureux.'
Son cœur avait tressauté quand il avait compris qu’ils allaient à l’étang. Ils en
avaient parlé entre eux tout au long de la marche ; quelle fraicheur ce sera quand ils
seront dans l’eau ! De temps en temps ils se retournaient et lui faisaient de grands gestes
pour qu’il accélère, mais ses petites jambes devaient faire deux pas quand ils n’en
faisaient qu’un. Plus vite ! la liberté n’a qu’un temps !
Arrivés à l’étang, c’est là qu’ils lui avaient dit « Toi, tu restes là et tu fais le guet » et
ils avaient sauté, nus comme une paume, dans l’eau glacée. Ses vêtements à lui collaient
à sa peau. Sa course vers l’étang dans les sous-bois alourdis de l’orage de la veille avait
été étouffante. Il gardait maintenant l’œil rivé au débouché du chemin de terre, sérieux
comme un éclaireur indien assurant la sécurité de la tribu. S’ils étaient découverts ils
seraient punis en chambre pour au moins deux journées. Derrière lui, il entendait la voix
fraiche de l’eau retombant en pluie qu’ils s’envoyaient par grandes giclées, leurs cris
aigus aussi frais que l’ombre qui coupait l’étang en deux, il écoutait les splashes de leurs
corps sautant dans l’eau genoux au menton.
La sueur coulait sur ses yeux qu’il devait essuyer pour les garder ouverts malgré le
sel qui les brûlait. Quand il se retournait pour les regarder avec un grand sourire
complice il s’en trouvait toujours un pour le remarquer et le renvoyer à sa mission d’un
« Fais le guet ! ».
Le soleil glissa, se posa sur sa nuque et finit par l’étourdir. Il s’endormit.
A leur retour, ils s’aperçurent qu’ils l’avaient oublié. On alla le chercher. Parvenus à
l’étang on trouva ses vêtements pliés bien sagement au bord de l’eau.
 
MARC.B  
 
 
 

            Les petits mots

 
— Ah, te voilà réveillée !
— Tu m’attendais ?
— Non, non.
— Alors pourquoi ce « Ah, te voilà réveillée ! » ?
— Parce que tu dormais et que te voilà réveillée.
— Bien sûr, mais à qui s’adressait cette remarque ? Parce que, moi, je le sais bien que je
suis réveillée. Et il n’y a personne d’autre que nous deux ici. C’est donc une remarque
que tu te fais à toi-même. Mais pourquoi l’avoir faite à voix haute ?
— Si cette exclamation te gêne, prétends ne pas l’avoir entendue.
— Mais comment le pourrais-je quand tu sembles m’en faire reproche ?
— Je ne te reproche pas de t’être réveillée, je le constate, c’est bien différent.
— Oui mais tu n’as pas dit « Ah, te voilà réveillée ! » avec joie, bonheur, jubilation comme
quelqu’un qui attend impatiemment que sa compagne se réveille, mais comme un
reproche semblant dire « hé bien, ma vieille, c’est pas trop tôt ! ».
— Si c’était « hé bien, ma vieille, qu’est-ce que tu roupilles, c’est pas trop tôt ! » que
j’avais voulu dire, c’est « hé bien, ma vieille, qu’est-ce que tu roupilles, c’est pas trop
tôt ! » que j’aurais dit !
— Mais c’est bien cela que tu as dit, tout cela que tu as dit, dans ton « Ah, te voilà réveillée ! ».
— Bon, laissons cela, veux-tu ? Tu es réveillée – et bien réveillée à ce que je vois – nous
n’allons pas recommencer à 8 heures du matin pendant nos vacances.
— Hé, ho, ça n’est pas moi mais toi qui as recommencé dès le réveil par cette première
parole, agressive, avec laquelle tu m’as accueillie dès le saut du lit.
— Eh bien, ça va, tu as dormi, tu t’es réveillée, te voilà debout, bonjour, j’ai fait du café, je
crois qu’il en reste un peu, sers-toi et…
— … et ferme-la ? C’est cela que tu veux dire ?
— Mais non ! Ecoute, n’inverse pas les torts, veux-tu ?
— De quels torts parles-tu donc ?
— Tu le sais très bien, allons, ne joue pas à l’idiote.
— Me voilà idiote maintenant ! Merci !
— Voilà ! Voilà ! C’est tout toi ça ! Cet art de la rhétorique qui te lave de toute faute et qui
me fait endosser le costume du salaud.
— Mais je n’ai rien dit de tout cela. J’essaie de comprendre ce que tu me reproches, tout simplement.
— …
— …
— Avec qui étais-tu cette nuit ?
— De quoi me parles-tu ? Je me suis mise au lit avant toi et je ne me suis pas relevée de
toute la nuit, ne serait-ce que pour aller aux toilettes ! Ne crois-tu pas que c’est plutôt
toi qui passes ton temps à « surfer sur le net » ? Et tu remarqueras que je ne contrôle
pas les sites que tu honores de ton attentive assiduité.
— Oui, ben, y’a plein de choses intéressantes sur le net, figure-toi, je me cultive, moi,
j’apprends plein de trucs passionnants.
— Comme quoi par exemple ? Juste un exemple, s’il te plait.
— Je ne vais pas commencer à te faire une liste.
— Mais UN exemple, donne-moi seulement UN exemple.
— Assez ! Stop !
— Ah non ! Tu en as trop dit et pas assez. Tu as dit « n’inverse pas les torts ». De quels torts parlais-tu ?
— …
— …
— Alain.
— Quoi, « Alain », qui est-ce, Alain ?
— Ça n’est pas possible ! Tu oses me poser la question ! C’est plutôt à moi de te la poser !
Qui est cet Alain ?
— Mais je ne connais pas d’Alain. En tous cas, pas depuis la maternelle.
— Tu te moques ? Quel cynisme !
— Mais enfin, tu as perdu la tête ?
— Moi, perdu la tête ? Et qui donc cette nuit s’est collée à moi quand je me suis couché
en susurrant « Alain » avec un soupir interdit aux moins de 18 ans ?
— Mais tu n’y es pas, voyons.
— Tu oses prétendre ne pas avoir dit « Alain » dans ton sommeil ? A d’autres, je ne suis
pas fou, ne me prends pas pour un imbécile, veux-tu ? Le vase est plus que plein !
— Ecoute. Ta jalousie, je n’en peux plus ! Ça n’est pas « Alain » que j’ai dit quand
Môssieur a enfin daigné me rejoindre au lit.
— Ah oui ! Et c’était quoi ?
— « Câlins. »
 
 
MARC.B
 
 
 

 Les textes de Laure

                  Dimanche

 Sous le petit kiosque de la place de la Raison à Figeac : un moment agréable à
déguster une infusion de verveine glacée.
Cet endroit, investi plus souvent par les zonards ou les pèlerins prenait un air de raffinement extrême.
En compagnie des amies , par le choix du contenant débutait le plaisir : chaque potier ayant confié une pièce.
Ma main attirée par ce petit bol brun, si fin, à la ligne si pure et vivant en même temps.
Le choix de la terre soigneusement recueillie, préparée minutieusement; cette éthique présente dans l’objet,
la cuisson au bois, magique pour seul décor.
Je voyais les flammes l’entourer dans le four, la nuit de veille à alimenter le feu, à plusieurs, les moments festifs.
Tout le temps nécessaire pour atteindre la perfection de ce petit objet.
Je voyais les doigts tournant régulièrement la terre humide, le séchage, le retour au modelage à la consistance exacte
pour parvenir à cette finesse. Et le résultat final : cette solidité, cette matière brute et cette élégance.
La transparence de l’infusion où flottait quelques feuilles comme ultime plaisir : la contemplation !
La sensation de mes doigts sur la terre sèche et douce à la fois.
Je repartais dans la vallée de Chevreuse de mon adolescence avec la construction d’un four dans un terrain en pente.
Toute une expédition pour récupérer des briques réfractaires dans une ancienne briqueterie abandonnée.
Ces endroits sauvages de mon enfance, les terrains vagues où je jouais avec les petits voisins de la rue dans cette banlieue calme.
C’était surtout les cailloux que nous récoltions pour délimiter des pièces et y inventer nos histoires.
C’était avant d’habiter en ville et perdre le contact avec la terre.
C’était au temps de parcourir les petits chemins avec ma grand-mère, de promener Frady la chienne, épagneul golden.
Le temps des galipettes et des moustaches en herbes. Quelle beauté essentielle dans ce petit bol !
Je suis retournée l’acheter : celui du bar que la potière remplacerait par un autre.
Jeune femme au sourire délicieux et dans une démarche si pure.
J’oscille constamment entre cette esthétique et des objets plus chargés, descriptifs comme des tableaux de Chagal.
L’opéra et son plafond , le petit balcon avec les filles.
Sasha portait un petit ensemble, une jupe avec des collants bien trop légers pour la saison, en l’honneur de l’évènement.
Elle avait marché dans cette tenue dans le vent glacial des bords de Seine de la Tour Eiffel à l’Opéra sans sourciller.
Un mental de championne cette petite danseuse. Elles aiment bien la tisane ces petites mignonnes !
Souvent dégustée dans de jolies poteries, héritées de mes achats compulsifs de bols.
Oui, j’accumule les contenants, je ne m’en lasse pas. C’est sûrement chargé de sens !
J’en casse aussi avec un léger sentiment agréable : je fais de la place.
Il y a cette rondeur de la forme que j’ai du mal à quitter et ce petit bol à la couleur brune juste léché par la flamme
est de la couleur exacte de mon déca au lait d’avoine : une harmonie parfaite.
Je pense au bol lilas bien ouvert dans lequel la blancheur du riz est /somptueuse.
Il vient de St Sulpice sur Célé et chaque pièce m’emmène sur un lieu, une rencontre.
Ce petit bol c’est le kiosque et le sourire de Perrine, sa démarche créatrice, identique à celle qui tond le mouton,
lave la laine, la carde, la file, la teint avant de tricoter son ouvrage.
La notion du temps et du soin apporté à l’objet final, rassurant dans ce monde TGV de réactivité.
 
LAURE PARIS
 
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