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Népal mars

2014

    

      aphanèSe a débuté sa saison 2014 au Népal sur le balcon des Annapurnas.
Sur le lien suivant les photos   http://aphanese.viabloga.com/news/nepal-mars-2014?
 



Reine des neiges

 

Yeux baissés sur les marches rivés,

Au rythme cassé à mon corps imposé,

Prudente, j’avance

Vers le silence.

 

Densité du vert. Une trouée.

Promesse. Fleur rose esseulée.

 Devant, réminiscence de ma fascination,

L’élan de marbre en sidération.

 

Poudre de pierre

Sur mes mains, douceur.

Long cheminement avec hier.

 

Haut, près de la profonde crevasse

Bordée de fleurs,

Le palais de glace.

 
 Marie-Paule

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Machhapuchhare en marchant lentement sur le chemin empierré, le temps nonchalant des pensées apaisées trouve un souffle qu’il ne faudrait pas quitter.

C’est au premier matin dans le sanctuaire incertain que les âmes défuntes animent les drapeaux de prières dans l’espace circulaire.

C’est en regardant les terrasses dans leur verticalité effrayante que le marcheur citadin fraichement débarqué trouve une vitalité qu’il avait oubliée.

Ciel par-dessus neige, près du poêle nous nous sommes réchauffés. 

Mais le froid est piquant, le bois de chauffe lourd à porter, le panier d’osier scie la tête couronnée de la trace du bandeau du panier d'osier.

Les vieux courbent le dos. Les étoiles se voilent.

Ici les drapeaux flottent plus encore, le bleu, le blanc, le rouge, le vert, le jaune.
Sentinelles bienveillantes je vous aime.

simone
10 mars 14
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 Trépassée du temps passé, poisson argenté, Sharancote libre mais cassante ondulait dans le vent des algues de l’océan. Lorsque ses écailles brillaient de jeunesse audacieuse elle se mouvait rapidement sur l’écume légère et la balayait d’un coup de nageoire puissante. Ensuite elle affrontait les tempêtes noires qui terrorisaient les bêtes sous-marines. Dans ces profondeurs si lointaines qu’aucun chemin ne trouvait le sens du courant pour faire le chemin à l’envers à la rencontre des origines elle retrouvait les anciennes qui lui enseignaient ce qu’elle devait savoir.  Sharancoté apprenait ainsi qu’elle était  née de l’oubli, qu’elles toutes seraient à jamais dédites, fantasmées et rendues responsables du naufrage des hommes.  

Sharancote maintenant est vieille. Est-elle folle ?… Le jour où elle perdit une écaille, fine ciselure argentée s’arrêta le cours de sa nage sans connaissance ni savoir. Pause spatiale, écume soulevée, histoire toujours renouvelée, sans cesse détournée, Sharancote fatiguée mais décidée prit son souffle à deux ouïes et partie là où elle ne savait pas.

Sans arme et sans colère, vieille sage elle désirait seulement retrouver son écaille, fine ciselure argentée. Perdue elle-même Sharancote happée par un courant puis un autre se laissait entrainer sans  force, vieille elle était, quant elle rencontra un jour - ou une nuit une eau plus chaude que les autres née d’un lieu qu’elle ne pouvait imaginer. Sharancote remercia l’eau réchauffante de soulager ses nageoires fatiguées et se sentie toute chamboulée en ce huitième jour du troisième mois de l’an deux mille soixante-dix. Cervelle dégelée, écailles devenues pieds lestes pour une marche assurée sur le nouveau chemin surgit de l’océan, chemin vivant, va de l’avant, réincarnation du courant, trouve le sens où se rendre. C’est un chemin empierré où elle le ressent plus qu’elle ne le sait sa mère et sa mère avant elles ont foulé chaque pierre arrachée à la paroi, frayeur transformée en joie pour offrir à l’humain un confort sur les contreforts de l’Himalaya. Mais qui parlait du naufrage des hommes quand petite écaille elle entendait  histoire racontée dans les obscures profondeurs. Sharancote ce jour d’hui dans sa nouvelle foulée offre à son corps un nouveau déplacement, incertain mais serein. Elle écoute la voix des hommes, elle chante le rire des femmes, elle regarde cette petite fille brune un couteau à la main assise sous le soleil froid de ce village à la croisé des chemins empierrés. Des pommes de terre attendent d’être épluchées et offertes nues au soleil. L’une d’entre elles tremble plus que d’autres et s’est cachée au fond du panier. La tendre alou gémit, Sharancote l’entend et la rassure dans un silence appliqué. La petite fille brune se saisit de d’alou petite patate en forme de cœur, la regarde et lui sourit. Sharancote les laisse à leur destiné quant à ses pieds tout neufs elle trouve une clé. La jolie petite lui dit s’être perdue, tombée d’une poche et séparée de ses proches et de son scoubidou. Cela fait beaucoup. Elle est triste, elle pleure. Sharancote lui dit qu’ici sa vie dorénavant lui appartient, que le plus beau reste à advenir et qu’ensemble elles feront un bout de chemin sur le chemin empierré ensoleillé. Peut-être Sharancote lui présentera-t-elle un jour prochain un pêne joyeux qui la chérira cette fois.

Les années ont passé. Six histoires déroulées se sont racontées quand levant les yeux Sharancote la voit, l’autre, celle du plus haut de l’univers, celle qui caresse le ciel, s’enveloppe de brouillard et parlent avec les nuages. Jumelle inversée, perdue, retrouvée. Deux mais unique, tête en bas, c’est une écaille qui brille, Machhapuchhhre.

Simone d.   4-8 mars

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La clameur de la grande rue s’estompe et cède la place au son métallique des clochettes. Plus l’on s’immisce dans le dédale des ruelles, plus les senteurs piquantes des épices tournent notre tête, promesse de régal… dans ma bouche, je fantasme la saveur du daal, j’ai toujours faim.

Une faim de plaisirs, de couleurs, de sons, d’odeurs. La faim de croiser le regard de cet homme buriné sous le auvent ; faim de saisir la grâce furtive du bonze en prière ; faim de m’étourdir dans les motifs bariolés du tapis derrière cette porte.

Au-delà de l’amoncellement de baraques, je devine les chemins menant vers l’intime. La caresse du soleil sur le mur du temple d’où s’échappent les murmures des prières. J’ai encore faim…
N.C   Février 2014 dans l’avion 

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 La vache népalaise jouit d’une curieuse prairie. Ici point d’herbe tendre, ni de trèfles, pas même un pissenlit. Poches plastifiées bigarrées, tôles ondulées, flacons cabossés, aluminium froissé, poussière, boue, pneus usagés, chaussures, matelas peut-être… elle explore tranquillement ce territoire dévasté, fourrageant son mufle dans l’amoncellement des ordures. Ainsi s’inscrit le destin du bovin urbain.
N.C

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Penchée sur la fillette, d’une main experte elle tresse sa chevelure, une seconde natte, un ruban blanc volumineux ; plus loin le tumulte, la route, la chenille de camions chaotiques. Instant d’intimité fugace. La mère achève son geste délicatement plongeant son regard dans les prunelles de la petite tandis qu’une étrangère s’introduit dans cet instant de vie.
N.C      Février 2014 images sur la route de Pokara

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L’immuable dédale minéral

consent à héberger quelques mousses

prêtant à ce chemin inégal

une humeur plus douce.

 

Une empreinte délicate ici

où les pierres se sont échappées

bousculées par la pluie

je sais, d’autres sont passés.

 

Vallée prisonnière d’une gangue brumeuse

où mon regard plonge inlassablement

ses secrets me laissent rêveuse

sur les destins de ses habitants.

 

Dans l’écrin végétal de la forêt

abritée, je songe à ma mère

sous le feuillage velouté

depuis des années je me perds.

 Mars 2014 
sur les chemins du trek

 
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                 Je passe inaperçue bien qu’essentielle. Moi je me sens jolie, surtout sous la lumière où je scintille. Ma silhouette est fantaisiste, faite de crénelures et sillons nécessaires à ma fonction. Sous la main je me réchauffe, sous le soleil aussi. J’aime bien. On me trouve discrète malgré mon omniprésence. Je suis souvent nichée au fond d’un sac ou d’une poche. J’ai l’occasion de sortir plusieurs fois par jour, la plupart du temps je me tiens à l’abri. Au cours de ces sorties, on peut m’oublier ou à contrario faire extrêmement attention à moi, là, cela me fait vraiment plaisir. Je suis d’une grande générosité, je remplis mes fonctions avec un égal enthousiasme chaque fois que c’est nécessaire. Je suis de celles sur qui l’on peut compter.

                Nous avons été conçus, mon frère Pêne, ma sœur jumelle et moi-même dans une usine de la région parisienne en 2003. Peu après notre naissance, nous avons été placés au foyer Castorama de Corbeil Essonne. Au début, c’était terrible. Nous étions hébergés dans un immense dortoir bruyant «  la réserve ». Ce fut une période sombre. Blottis tous les trois dans notre lit, nous observions les silhouettes du personnel aller et venir avec la crainte au creux du ventre. Nous étions terriblement inquiets sur notre avenir. Un beau jour, ils nous ont emmenés : tout le dortoir embarqué. Avec les copains nous avons été placés au magasin, notre lit plastifié suspendu à une sorte de clou. Là, sous une lumière aveuglante, nous voyions quotidiennement, même le dimanche, quantité d’individus passer et repasser toute la journée. Je ne saurai dire combien de semaines nous sommes restés ainsi mais cela nous a semblé terriblement long. Un matin, une grosse main brune a saisi sans ménagement notre lit. Elle appartenait à un type en salopette. Nous avons été précipités dans un chariot avec d’autres copains du magasin.

                Je me souviens bien de la camionnette blanche qui nous a transportés ensuite. Elle était sale, jonchée de plâtre et il régnait une odeur tenace de peinture. Après, tout s’est passé très vite… On nous a sorti sans ménagement de notre lit et Pêne fut emporté tandis que nous, les filles nous avons été jetées sur le coin d’une table. Nous avons pleuré le premier soir dans le noir ma sœur et moi. Le lendemain, l’homme à la salopette installait Pêne sur la porte. Je le voyais assez serein entre les mains expertes de ce bricoleur. Il n’a pas crié quand le tournevis s’est approché. Ensuite nous avons été brièvement réunis tous les trois. Ma sœur a rencontré Pêne la première, puis ce fut mon tour. Ça fonctionnait bien, l’homme était satisfait. Il nous a embarqué, ma sœur et moi pour,  trois jours plus tard, nous déposer entre les mains douces d’une jeune fille blonde. Elle sentait le patchouli, c’était bon. Elle semblait si heureuse de nous avoir que nous en étions toutes émues. Encore plus lorsque nous avons revu Pêne. J’ignore pourquoi mais nous étions rassurées par ces mains pâles et pour la première fois nous avions foi en l’avenir. Mais nous nous faisions des illusions. Peut-être une semaine après, ma jumelle fut placée chez la concierge, flanquée d’un type en plastique rouge arborant une étiquette sur laquelle on pouvait lire « appartement n°5, 1er étage droite ». J’ai pleuré. J’étais réconfortée plusieurs fois par jour par mes rencontres avec Pêne à heures fixes : le matin à huit heures, le soir à dix-huit heures, sauf le week-end où c’était plus aléatoire.

                J’ai très vite eu un ami : Scoubidou. Il m’a raconté qu’il avait été confectionné par la jeune fille et qu’il était là pour veiller sur moi et me protéger. Nous serions désormais toujours liés. La vie s’écoulait paisiblement. Scoubidou et moi-même, étions très complices. Combien de fous rires au fond du sac à main avec le porte-monnaie et le tube de rouge à lèvres. A la maison nous nous endormions tranquillement chaque soir dans une petite corbeille d’osier ramenée d’un lointain voyage. J’aimais bien car elle était imprégnée d’une odeur d’encens. Puis vint un jour où la jeune fille ne fut plus solitaire dans son petit appartement. Il a commencé par venir les samedis puis au fil du temps plusieurs fois par semaine. Quand ils rentraient tous les deux, Scoubidou et moi étions envoyés au hasard tantôt sur le canapé, tantôt sur la table basse, voire jetés  au sol. Ils étaient fébriles et pressés et nous négligeaient au point de parfois nous égarer. Je me souviens d’un soir où nous nous sommes retrouvés auprès d’un grand bac translucide rempli d’eau. Dans un ronronnement continu, allaient et venaient une multitude de bulles. Scoubidou ne semblait pas surpris par cette présence, il l’avait déjà vu. Dans cet environnement aquatique, plusieurs silhouettes multicolores se déplaçaient, certaines furtivement, d’autres plus lascives. J’étais fascinée et attentive à ce spectacle quand une voix venue de cet univers m’a interpellée. C’était Sharâncoté l’esprit de la sirène prisonnier de cet aquarium. Il m’a raconté comment il fut arraché à son univers par des humains avides de recréer son élément dans leur appartement. A présent coincé au fond de cet aquarium, il ne pouvait plus s’échapper et il me suppliait, moi la clé de le libérer. Scoubidou tentait de me détourner de cette voix insistante qui lui semblait appartenir à une vieille folle. J’étais envoutée, profondément touchée par cette histoire mais impuissante pour aider cet esprit. Je n’étais qu’une clé d’appartement, pas une clé magique… Ce fut une terrible longue nuit hantée par la supplique de Sharâncoté. Une terrible longue nuit me rongeant de la culpabilité de n’être qu’un simple objet. Au lever du jour, la complainte s’est éteinte me laissant dans un profond chagrin.

                Les jours suivants, il régnait dans l’appartement une atmosphère fébrile, un grand désordre. Deux sacs à dos crânaient au creux du canapé, discutant vivement avec les duvets, les lampes torches, les passeports, les pochettes, les chaussettes et bien d’autres personnages aux airs importants. Evidemment il se tramait quelque chose.

                Un matin tôt, avec Scoubidou, nous avons dit au revoir à Pêne car c’était sûr, nous allions partir longtemps. Affublés d’un mousqueton, nous avons été solidement arrimés dans la pochette filet d’un petit sac à dos, nettement plus humble que ses congénères,  et nous avons suivi la jeune fille et son amoureux pour semblait-il un grand voyage.

                Ballotés, cahotés dans le filet, sous la coupe du mousqueton, nous observions les paysages insolites défilant sous nos yeux. Chaque soir nous nous arrêtions en un lieu différent. J’avais peur, j’avais froid. Je me réconfortais en songeant à notre petite corbeille à l’odeur d’encens. Je me remémorais Sharâncoté et m’identifiais à cet esprit, moi-même prisonnière de ce sac d’où je voyais à travers les mailles s’écouler la vie. Nous étions dans un vaste pays où hors des villes l’air était pur et les étoiles scintillaient vraiment. Le jeune couple semblait heureux de parcourir les sentiers, de croiser les sourires des habitants, de gouter aux saveurs locales. Bercés par le rythme de la marche, nous étions aussi saisis par les splendeurs des forêts, des montagnes, des couleurs. Quelquefois il faisait froid et nous étions heureux de la caresse du soleil quand la journée s’avançait. Un matin il nous a semblé que le filet du sac s’effilochait et nous distinguions plus nettement le dessin du chemin. Chahutés de haut en bas, nous échangions parfois quelques mots avec lui. Il nous a raconté son histoire et c’était beau. Comment depuis des siècles hommes et bêtes l’avaient façonné et gravi pour construire puis habiter leur village, comment il triomphait des assauts neigeux, comment il dominait la vallée pour aller embrasser l’autre flanc de la montagne… Quand la jeune fille s’en est écarté pour faire une jolie photo, un buisson épineux nous a arraché au filet et Mousqueton, Scoubidou et moi-même sommes tombés violemment sur une pierre. Impuissants, nous avons vu la jeune fille s’éloigner, sourde à nos appels. Cédant au désespoir, nous nous sommes longuement lamentés jusqu’à être sortis de notre torpeur par une clameur. La pierre agacée nous a reproché de l’avoir réveillée. Nous lui avons raconté notre mésaventure et notre terreur de ne jamais retrouver notre foyer. Pour nous réconforter, elle nous a décrit la philosophie de ce pays, le chant de ses habitants, leurs croyances. Ensemble nous sommes restés quelques jours, balayés par les vents, souillés par la terre, fouettés par la pluie…

                Jusqu’à ce fameux matin où la vibration d’un pas leste nous a réveillé brutalement et la main hâlée d’une fillette nous a saisi avec délicatesse. Elle nous a observé attentivement avant de nous nicher dans le creux de sa poche où sommeillait une pomme de terre nommée Alou. Alors là bien au chaud, nous avons sombré dans une profonde léthargie. Quelques heures après, tendrement réveillés, nous avons été caressés. La fillette a écarté Mousqueton le trouvant utile à d’autres fonctions puis elle nous a déposé dans un petit coffret de bois en compagnie d’Alou la pomme de terre en cœur et d’un ruban fleuri.

                Je ne saurai dire pourquoi mais nous avons senti à ce moment que nous étions devenus des trésors et qu’à jamais nous serions protégés dans cet écrin auprès de la fillette.

                Aujourd’hui, quand je songe à ma fonction d’autrefois, je suis heureuse car je sais que ma jumelle m’a remplacé. Peut-être qu’elle aussi aura un Scoubidou pour compagnon. Peut-être auront nous une autre sœur qui demeurera chez la concierge. Quant à Pêne peut-être ne verra-t-il jamais la différence.

Nathalie.C  

 
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Espoir en marches

Le murmure des feuilles habille la forêt de soie,
L’éclair rouge d’un battement d’ailes aveugle la verdure.
Tandis que le rythme des marches du sentier résonne en moi
Mon regard vole vers les géants blancs qui me rassurent.

Le souffle caressant leur sommet, poursuit sa route
Et libère les molécules de leur prison de glace.
Mes poumons s’en emplissent, profitant de leur déroute.
Tristesse et peur s’échappent pour leur faire place.

Mais les marches jalouses s’amusent à tromper mes pieds,
Forçant mon regard à s’abaisser pour les surveiller.
Elles n’auront pas le dernier mot je le jure !
Leur ruse déjouée, elles ne gâcheront pas l’aventure.
Place à nouveau au bonheur fugace d’un instant imaginé,
Je me vois tout là haut sur les pics enneigés.

Dominique Perocheau



 

Les Estables juillet

2014

les photos du séjour sur le lien suivant 
http://aphanese.viabloga.com/news/les-estables-juillet-14?

  
s.e                                                      c.f                                                     ?

 

 

LA CROIX DE MEZENC

(Le Puy)

 

L'homme est sur le mont monté pour voir Mercure

La seule des cinq planètes,  qui reste si furtive

qu'elle s'est jusqu'aujourd'hui  dérobée à ces yeux.

 

Il a quitté ces rêves  pour monter dans la nuit

la sente qui le mène  au sommet, pour l'attendre.

Il visite le ciel,  d'Andromède à Spica

D'Antarès à Orion,  Cassiopée à Véga.

 

Blanche Vénus se lève,  éblouissante et crue

le pourpre à l'horizon  annonce bientôt l'aube

Mercure se calcule,  puis ensuite se devine

Enfin elle s'offre à lui,  drapée de rouge et bleu

 

« Tout ce que je pouvais voir,  je l'ai  vu dans le ciel »,

pense l'homme comblé,  qui, bras en croix, s'étire

et qu'un profond soupir  semble avoir contenté

 

Chacune de ses compagnes  de la nuit le salue,

lui volent un souvenir  avant de s'évanouir.

Orion subtilise  sa mémoire des combats

Tout l'album de famille,  Cassiopée lui prend

de toute son enfance,  grande ourse se repaît

 

Comme il voudrait s'enfuir,  deux serpents de mica

lui montent le long des jambes  tout au long de son dos

raidissent tout les muscles  et soudent tous les os,

le voilà pris au piège,  les yeux à l'horizon

 
          Vénus est encore là,  descend du firmament

se pose devant lui,  fluide, soyeuse et nue

lui sourit comme une mère  à son enfant malade

du dos de ses doigts fins  elle essuie ses larmes.

 

D'une caresse elle pose  dans sa main un caillou

dans l'autre délicatement  pose un bel œuf blanc.

Elle s'envole légère,  dans ses long cheveux roux

elle emporte avec elle  toutes ses nuits d'amour

 

Vous êtes donc si fier  d'avoir tout pu voir ?

Vous auriez du comprendre  qu'il n'y a rien à comprendre

Vous êtes comme ces fourmis  qui courent sur le sable

et qui ne savent rien  des vents et des marées.

 

Explosent les rayons  de l'aube sur le mont,

sur la grande croix de fer  où s'accouplent les taons,

sur une branche un caillou,  sur l'autre une coquille,

brisée.

 

        18 juillet 2014

                  ERIC


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LE JOUR SE LEVE

 

 

Le jour se lève, le soleil apparait avec force et rapidité et vous me persuadez alors que l’essentiel se trouve là, à cet instant précis où le ciel se déchire.

 

Marcher de bon matin, traverser une forêt de sapin d’où surgit un puits de lumière. S’asseoir près du précipice, écouter le silence et penser qu’être ici, en Ardèche, à la saison sèche, est une chance.

 

Mais le spectacle de la naissance d’un jour nouveau réveille les démons endormis depuis longtemps. Le feu de la révolte s’anime en vous et la flamme grandit.

 

Le soleil fait son apparition. Les rayons illuminent la vaste étendue de collines, aux verts qui se déploient sur différents tons. Il s’émerveille devant tant de beauté. Au sommet, ce qu’il découvre le saisi : d’abord des superpositions de collines usées par le temps, puis le ciel bleu gris. Lui, c’est la mer qu’il voit. La pomme de pin ramassée plus tôt, lui rappelle  le  lieu  familier  de  son  enfance : l’océan.

 

Pourtant, vous voulez crier votre douleur : vous êtes ébloui ! Trop d’éclats deviennent insupportables. La survenue de l’aube bouleverse tout. La lumière vous aveugle et vous ne pouvez plus regarder le monde dans lequel vous vivez.

 

Je suis au bord de la Loire et je l’entends s’écouler lentement. Il me faut la traverser à pied car ma route est ainsi tracée : mon chemin se poursuit de l’autre côté de la rive. Je suis au milieu du fleuve. Je m’imagine au milieu de l’océan, seul au monde. Je suis entre les deux rives et le monde s’ouvre à moi. C’est ça, la vie s’ouvre à moi. La lumière scintille sur l’eau et la chaleur des rayons caresse ma peau. Je n’ai pas peur, j’avance lentement, prudemment. La libellule trouble mes pensées. Elle tournoie et sa légèreté m’enseigne que la liberté que je cherche est là. Elle semble insaisissable, comme un petit point dans le ciel inatteignable et cependant, elle est bien là.

 

Or, vous souvenez-vous de cette dernière nuit, celle d’avant la traversée du fleuve ? Cette nuit si douce, le ciel étoilé qui vous entourait et la sérénité qui en découlait. La blancheur immaculée du ciel au lever du jour aurait dû vous apaiser. Il n’en a rien été : à cet instant, tout a bouillonné en vous. La colère sourde mais présente, vous a envahi. Trop de luminosité semblait vous agresser. La nuit vous tranquillise. Les ombres géantes alors ne s’accrochent plus à vous. Le ciel vous enveloppe et vous êtes rassuré.

 

Et un autre jour se lèvera, un autre encore et encore. Vous serez inquiet, troublé, perdu, jusqu’à ce que, le moment venu, vous en rirez !

 

Chantal F.

18 Juillet 2014

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                                      Un chemin à l’ombre

 

                                           La première route

de son enfance

était très droite

bordée de platanes

c'était la rou-te

des vacances

joyeuses malgré le mal de cœur

 

Elle en prit d'autres

en grandissant

car la famille

souvent fabrique

mêlée au bon-heur évident

une réserve de dynamite

  

      Elle connut, dès la fuite, un trésor qu'elle garda

elle connut des instants où elle n'attendait pas

le présent était là ! Rien n'était à attendre

pour goûter le plaisir, et s'arrêter enfin

 

mais ces chemins sont longs, divers, pénibles ou heureux.

L'action militante, effrénée, qui n'était pas pour elle

mais lui apporta tant, la combla un moment, puis lui parut corvée.

 

    Vous tous, qui voulez la lumière à tous prix, même vous, madame, sans           

    toujours le savoir, pensez-vous pouvoir la capter sans jamais vous renier ?        

    Tous ces feux incendiaires qui font resplendir votre voix, vos visages,vos         

    paroles, votre moi, votre égo,vos idées, empêchent parfois l’ombre de           

    tracer son chemin..

    Or, sans ombre, vous n’avez pas de vie. Vous n’êtes qu’un fantôme flottant      

    entre deux mondes. Laissez venir votre ombre, madame, sans vous en           

    ombrager.

    lorsque point le soleil et jusqu’au crépuscule, les illusions sont fortes, car il     

    sait absorber les défauts, donner éclat, fulgurance, mais par là-même          

    aveugler ceux qui trop lui font confiance.

 

Elle marcha longtemps sur la trace de son ombre, chercha comment relier le haut, le bas du corps, l’un porteur des idées, l’autre des émotions...

 

Travail de longue haleine, proche de l’écriture.

 

Elle parcourut le monde ou souvent le pays, en s’entourant d’amis, en rencontrant l’amour.

 

Travail de longue haleine, qui toujours se poursuit.

 

 Travail de tout mon être, qui parfois se détend.

Il est mon vrai travail: le corps dans son entier.

je l’écoute, attentive

La respiration s’amplifie, le sternum s’élargit

Les côtes s’écartent pour accueillir le souffle

Le diaphragme se desserre pour laisser le ventre se déployer sereinement

La gorge s’ouvre comme pour chanter... Je chante...

 

Béatitude d’un instant peut-être

Le sourire apparait comme une ultime détente du corps entier.

 

J’entends dans mon oreille la voix de l’oracle murmurer:

     « Vous avez fait briller ce qui restait caché. Illuminez encore ce qui n’ose  

        sortir. Un rayon bien placé n’éblouit pas toujours».

 

                                                                        Babé      (mezenc juillet 2014)



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 Par une nuit étoilée, peut-être comme moi entendrez-vous vos pas donnant un son mat sur le tapis d’aiguilles. Les pins sont comme cendres dans la sombre lueur. Peut-être comme moi longerez-vous un étang tout scintillant d’argent du reflet de la lune. Arrivé au sommet l’horizon apparait, ombre sur les ténèbres. Peut-être comme moi attendrez-vous l’aube empourprée, l’horizon incandescent. Là-bas les vallons s’embrument de bleu tendre. Plus tard, le pays sèche d’une douceur mordorée. Plus tard, un peu de la nuit fraîche va se cacher dans l’herbe. Plus tard, sous le soleil. Je m’allonge dans un pré, là-haut, sous cette pureté bleue. Le vent m’enlace et se pend à mon cou, virevolte devant moi. Une longue tige vert tendre se prend à danser. Sa danse est comme un chant. Menu, menu, d’une voix fluette. Elle est simple et si légère. De droite à gauche, de gauche à droite. Des fois elle plie jusqu’à la hanche, des fois se penche un peu seulement. Est-ce la brise qui la mène ou de sa danse le vent nait-il ? Je me laisse bercer avec elle, je prends son doux balancement. C’est doux, c’est chaud, c’est éternel. Une heure, mille ans ou un million. Eté. Hier encore, il y a des siècles, j’étais cet enfant de lumière. L’herbe se brasse contre ses cuisses, caresse moussue contre son ventre. Ca pique un peu et ça chatouille. C’est une jungle bleue et chaude qu’il domine de sa tête, des épaules et du regard. Il avance à petits pas, l’onde profonde de la prairie monte à sa poitrine, et un miracle se produit. Des myriades de sauterelles giclent devant lui comme une gerbe d’étincelles.

Il rit.

Il est un géant, et il rit.

Il court, les mains en l’air il court et ça jaillit autour de lui comme une écume sur une proue fendant l’eau verte du grand pré. Il crie au soleil et l’herbe répond d’une pluie vivante qui monte au ciel. Il rit. La prairie se frotte chff chff chff contre ses jambes nues et contre sa poitrine, les sauterelles fusent clc clc clc dans toutes les directions, elles sautent, sautent, sautent, il est au centre d’un ballet et d’une symphonie. La lumière le traverse, les odeurs rousses des hautes herbes baignent ses narines, il est feu follet, il sautille, il rit. Il est un rire ensoleillé éblouissant la campagne de bleu azur, de fauve et d’or.

Je souris. Mes cheveux sont au soleil. Le vent joue sur mon front comme le souffle d’une mère. La chaleur monte de la terre. Je me lève, j’embrasse encore l’horizon, soupire et je redescends à travers bois. Le soleil tombe en cascade, éclabousse les futaies et tache la douce sente. Fraîcheur de fontaine. Ca coule de partout. Frou-frou de verdure. Chaleur. Murmure. L’eau endiamantée. Ca brille dans les sous-bois. Regard perdu. Ombre embrindillée de mauve, de vert et d’or. Ballet des fougères. Un grand sapin pointe le point blanc de l’avion silencieux. C’est droit un arbre ! Plus loin, le ciel d’été tout piqué par les cimes. Plus loin. Velours vert des monts endimanchés qu’on voudrait caresser. Plus loin. Dans l’échancrure du bois apparait un instant un dôme hiératique de vert moussu drapé. Plus loin. Partout l’ombre bleue, partout les chants d’oiseau. Et le sentier diapré du moelleux d’une glaise. Roulement de pierres. Crissement du sable. Sentier. Pétales, clochettes, trompettes, soleils, chevelures, collerettes, boutons, jaunes, bleus, beurre ou blancs, mauves, pourpres, or, violets, garance, les corolles ouvertes. Tout se tourne vers le soleil. Craquant des brindilles. Soleil. Les sapins sur les pentes serrés, en foules, en assemblées, se chauffent face au ciel. Résine huilée. Et le silence bruit. Ca trille, ça pépie, ça gazouille et ça siffle à pleine gorgée pointue, ça crécelle, ça stridule, ça vibre, ça bourdonne, ça scie, ça vibrionne. Et le silence bruit.

Surtout ne plus bouger. L’heure immobile lentement s’éternise.

Souffle.

Souffle.

Un filet de lumière fin comme une corde de harpe se pose à mes pieds et vibre pour moi.  Musique silencieuse et chaude, épaisse comme du lait qui coule des canopées. Je ferme les yeux. Je respire.

Derrière mes paupières closes, je respire.

A travers mes paupières une rougeur palpite. Une perle de lumière me cherche entre les branches qui bercent sur ma tête. J’ouvre les yeux.

Patiente et sereine, c’est la corde de lumière qui doucement m’appelle. Je sens entrer en moi comme une résonnance. Je vibre moi aussi. Le silence me pénètre. Je me mets à vibrer, à vibrer de lumière, à vibrer bleu et or, et papillon-pétale, je suis ombre et soleil, je bourdonne tout bas, je chante à plein silence la gloire des futaies, la douceur des sous-bois, je sinue, caressant, entre les fûts des troncs, je bois à pleine bouche la fraîcheur de l’averse et l’éclat du ruisseau, je scintille mille feux.

Je m’ouvre en corolle.

Je suis.

Peut-être comme moi deviendrez-vous alors comme une transparence qui jette une clarté.

 
Marc B.

Haute-Loire, Aphanese Juillet 2014

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Chambre blanche

Je vous le dis, vous vous êtes fourvoyée dans cette idée de renaissance. Vous auriez du écouter notre maître et garder les pieds sur terre. Votre silence est comme cette chapelle où sur l’autel vous déposez votre vision de la vie. Je vous le dis, brûlez le voile de votre obstination, laissez les anges au ciel, les cœurs sont froids, les peaux craquantes. Votre intégration totale au sein de la communauté nécessite votre baptême dans une mer d’albâtre. Je vous le demande, je vous l’ordonne ! Mais vous répondez ! Vous osez dire non ! Toujours vivace  en vous ce rêve d’un jour où la nouveauté d’une naissance dans la limpidité de l’aube sera comme l’oiseau libre au-dessus de ce que vous nommez l’innommable.

Le lendemain elle s’en allait. Elle a filé sur la route dans le silence des cloches de l’église. Le jour se levait. A la croix, en équilibre sur deux versants elle a laissé son vélo, s’est engagée sur le sentier en fermant les yeux. Elle a entendu l’eau cristalline qui serpentait dans la fente amarante. Devenue amante elle était cette eau chantante à son oreille. Oreille coupelle, elle s’allongeait, devenait nageoire, nageait à contre-courant. Sur le dos, paupières ouvertes elle voyait le ciel au-travers de l’eau, miroir sans retour d’un visage sans contour. Quand elle s’est perdue, l’eau infiltrée s’est cognée aux pierres pulvérisées. Elle a ressenti l’oppression du manque de lumière, boue en bouche, la mort avant l’heure, le leurre du vivant qu’elle était juste avant. Elle a pleuré dans le noir dans l’entrelacs enlacé autour du pied de la fleur à la tête coupée. Souterraine elle a plongé à la source, de l’autre côté du versant. Elle a repris souffle au bout du chemin.

C’est ainsi maintenant que la nuit, dans cette chambre blanche je me réveille dans une eau glacée. Je flotte. Pour survivre je me laisse aller dans le courant du temps d’avant. C’est à la source que je veux revenir. Je veux retrouver les poissons confiants qui gonflent leurs ouïes pour mieux entendre le vent chargé des promesses à venir. Le vent accablant de silence se répand dans ma chambre blanche, il enfle, emplit l’espace en son entier, puis s’évade à travers les barreaux dans la nuit étoilée. Ici pas de bruit qui saigne mes oreilles, amorce d’une nouvelle écorce, écaille de pierre, fusion d’un jaillissement liquéfié du centre de la terre. Je vois dans ma chambre blanche la nageoire messagère d’un monde qui s’est arrêté. Nécessité de rien. Le drap blanc est un nuage où je mets pied à terre. De là-haut je les vois. Ils sont nombreux. Tous immobiles, ils convergent dans la même direction. Ma peau est leur peau alors je les rejoins. Dans l’aube naissance ils m’emportent jusqu’à  la nuit suivante. Je baigne dans le courant du temps d’avant pour mieux entendre le vent chargé des promesses de la vie, mais chaque matin c’est le cliquetis des clefs que j’entends avant que ne s’ouvre la porte de ma chambre blanche.

simone d.
         juillet 2014

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CHEMINS

(Autour du Mont Mézenc)

 

        Notre marche s’enroule entre monts et vallées, nos pas s’inscrivent et nous disent chaque soir ce qui tissera la toile et non la fin de l’histoire.

        Quand un monstre d’acier nous barre le chemin, notre troupe égarée se permet de savoir. Comme les marins d’une mer de sapins, les hommes de la forêt ont la force et la rudesse. La machine impressionne ; les troncs des sapins serrés dans ses griffes se trainent, déchus. Le bois craque, un tronc a cédé. Il broie, soulève encore, emporte tout dans ses mâchoires. Odeur puissante de résine, le pas se fait souple sur les branchages ; tapis vert argent, parfums entêtants.

        Les fûts allongés accueillent un repos furtif de gourmandise abricot mêlée d’amandes. La lumière du midi nous inonde de verts, émeraude ou jade, ombrés par la forêt de sapins. Un jeune hêtre téméraire s’accroche à la roche. L’eau du torrent ruissèle sur une plage accueillante.

         Silence du repas dans le chant de l’eau. Un oiseau répond.

         Le chemin reprend lentement dans la distraction des fraises. Ma bouche accueille leur goût de sucre acidulé. Un miroitement d’eau trébuche sur les pierres mouillées. Le vent glisse et rafraîchit d’une brume humide. Et puis les odeurs s’échauffent et le papillon, lascif, se balance dans la lumière irisée. Sourire du géranium à la porte du mazet au toit de lauzes auprès du potager et des ruches bruissantes. Je grimpe et glisse, brillance mousseuse. La forêt nous avale, odeur grasse d’humus, troncs, bois. Et d’un coup l’éblouissement au soleil d’un champ fleuri d’où émerge à nouveau le pic dominateur.

        Plissé soleil du piton volcanique, monstre élégant courtisé par la Loire. Attirée par le ruban moiré, je me fais couturière à petits pas légers. Une plage sableuse m’offre une trêve à l’ombre d’un noisetier. Mes paupières baissées filtrent la lumière, seuls les pointillés irisés entre mes cils maintiennent ma conscience éveillée. Le roulement de l’eau me gagne. Je suis dans le mouvement du courant ricochant sur les pierres. Un cri d’enfant me fait chavirer. Un bouffée liquide et chaude m’envahit, me transporte au loin vers Guilhem, dans l’adoration de cet enfant merveilleux. Rivée à la frange lumineuse de mes paupières, je sais où est mon étoile. Rêveuse, je lui invente une histoire.

         Il était une fois, un petit sapin esseulé au bord du chemin. Le vent l’avait porté là par hasard et il avait grandi, seul de son espèce, à l’écart de la forêt où se serraient ses frères. Il n’aimait pas ses aiguilles et aurait voulu se fondre dans la masse sombre de sa famille. Comme il les enviait, tous, serrés les uns contre les autres, solidaires dans les épreuves. Le vent ne les ployait pas, la neige ne les pénétrait pas. Lui devait se méfier des ronces qui l’empêchaient de respirer, supporter le froid. Il avait peur du vent, la nuit, qui venait le tordre. Mais il aimait le soleil qui l’aidait à pousser bien droit et il en profitait tant qu’il pouvait. Plus il grandissait, plus la vie était facile. Un jour, il fut assez grand pour voir plus loin que la forêt des sapins noirs. Comme à chaque printemps, il se couvrit de pousses brillantes et se sentit fort. L’air lui parut léger, parfumé du tapis fleuri qui l’entourait. Il se plut à faire chanter le vent dans la lumière argentée. La forêt avait perdu son éclat. Dans les troncs serrés, le vent était lugubre, la vie disparaissait ; la terre acide ne fleurissait plus. Mais lui ne les voyait pas ; il regardait loin, de plus en plus loin. Il découvrait un monde multiple que la course du soleil transformait toujours. Il pouvait s’endormir dans l’effleurement du brouillard et être réveillé par la morsure ardente des premiers rayons. Il savait apprivoiser le temps. Les oiseaux habitaient ses branchages et lui racontaient leurs voyages. Cela nourrissait ses rêves projetés dans l’infini vallonné jusqu’à l’horizon lacté. Il accueillait la nuit tranquillement respirant le ciel étoilé.

        Je sortis de mon songe pour fixer quelques images photographiques ; je te les montrerai, Guilhem, dans quelques jours.

         Et la nuit est tombée pour un autre matin. Une nuit illuminée d’astres où Mercure eut rendez-vous avec Vénus. A l’aube, sur le mont ensommeillé, je vous ai retrouvé.

        La vision de l’Orient empourpré vous a transporté vers le pays adoré. La Terre-Lumière de la Grèce est votre inspiratrice. Vous y retrouvé le souffle de la beauté salvatrice. Dans le bleu de ses îles, vous renaissez chaque fois. Vous rencontrez les mots d’une langue immortelle dans l’éclat mélodieux d’une voix familière. Vous vous laissez bercer sur les ponts des navires entre miroitement de l’eau et éblouissement solaire. Là, dans la plénitude des jours, vous vibrez, heureux et vivant dans l’harmonie d’un monde souriant. Vous vous enveloppez de l’ombre des étés quand la fraîcheur des persiennes épargne la morsure du soleil. Et si l’hiver revient et que le temps s’allonge, l’olivier préserve son feuillage argenté. Vous aimez la noblesse de cet arbre nourricier, témoin éternel de notre humanité. Alors vous conduirez nos enfants vers ce monde fertile, pour qu’ils sachent à leur tour cultiver la beauté.

 

 

Odile Estival – 18 juillet 2014


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Fusions

Elle pensait qu’elle aurait perdu la mémoire, mais elle allait se retrouver dans une situation telle qu’elle lui rappellerait ce qu’elle avait appris, et transmis à d’autres. Malgré elle, elle se fondrait avec la nature, et vous verrez que ce terme « fondre » convient parfaitement.

Elle s’était éloignée du groupe de marcheurs pour découvrir seule la vue depuis le sommet du Mont Mezenc. Se tournant sur elle-même, elle fut étourdie par cette immensité et vous l’auriez vue reculer ou plutôt basculer très légèrement en arrière. Elle fut tant sonnée qu’elle dut s’assoir et reprendre son souffle. Son regard se posa vers l’Est et elle balaya le paysage ; elle se sentit soulevée, s’imagina planant librement comme un rapace, l’aigle royal, puissant, habile, l’air glissant sur ses plumes…Elle contourna le pic rocheux, se sentit soudain tomber en vrille et se rétablit difficilement en se posant au bord de la falaise. C’est là que vous l’auriez vue comme aspirée par la roche grise, avalée, comme si elle allait en faire partie…A ce moment, et seulement à ce moment là, tout lui revint en mémoire. Cette roche était le granite du Puy-en-Velay qui a une histoire étonnante. Elle sortit de son voyage virtuel, trouva à ses pieds les débris de cette roche qu’elle ramassa, geste qu’elle faisait machinalement pour en étudier les minéraux. Cette association intime et fusionnelle d’éléments l’interpella : n’est-on pas soi-même multiple, fait d’un ensemble passé, présent et futur ? Née, à l’origine de la planète, il y a 4 milliards d’années, d’éruptions volcaniques, cette pierre ne rappelle-t-elle pas notre naissance, soudaine et violente ? Durcie, elle a ensuite subi de fortes températures et pressions et a fondu. Cette fusion lente sous pression donnant une pâte molle malaxée lui rappelle l’éducation reçue qui avait pétri, modelé l’enfant qu’elle avait été : elle aussi avait subi contraintes et manipulations. Pourtant elle se rappela que ce granite possédait des enclaves de roches métamorphiques, d’origine réfractaire, qui avaient résisté à la dernière transformation. N’avait-elle pas aussi résisté à ces pressions en créant sa propre armure, sa coquille, sa carapace ? gardé intacts ses rêves, ses désirs, ses voyages intérieurs ? protégé ses parties d’elle-même indestructibles et inviolables …et aussi solides que ces roches étaient dures ?

Elle se leva, se rafraîchit avec l’eau d’un torrent : elle voulait se laver de cette lave qui l’engluait. Retrouvant les autres randonneurs, elle échangea quelques mots sur le panorama, mais elle se sentait ébranlée. Je ne suis qu’une roche, effritée par l’érosion… se dit-elle. Je marche, le sentier défile à mes pieds et pourtant je me sens freinée. Serait-ce mon sac qui me tire vers l’arrière ? se serait-il rempli de pierres ? Pourrai-je terminer cette randonnée et revenir à mon point de départ ? Envie de m’arrêter, de me laisser aller, sauter dans le vide attirant du bord de la falaise…

Quand, soudain, des grelots me réveillent ! De jolies notes métalliques, brillantes, me chatouillent. J’écoute, les oreilles sorties. Ce son de cloches provient du champ, derrière la haie. J’écoute, les yeux sortis. Je sens mon cœur battre avec violence : pourquoi tant de réaction à des sonnailles de vaches ? J’écoute, tous les sens en éveil. C’est le silence. Je suis impatiente ! Et là, des notes irrégulières, comme une musique moderne, se glissent dans mes oreilles, me prennent par le corps, me chahutent le cœur. Je ferme les yeux pour déguster une joie intérieure immense, qui me fait frissonner, me transporte, je suis prête à m’évader. Je veux retrouver ces sons envoutants, m’y noyer, m’y fondre de plaisir. Un coup grave, comme une massue, cogne : donnegue. Il résonne longtemps dans ma tête puis s’évanouit. Puis il reprend, donnegue, donnegue, effaçant les bruits environnants par sa force et son intensité sourde. Ce son s’impose à moi, me renverse, m’assourdit : le carillon de l’église est trop fort, je me recroqueville comme une huître. M’apparaît alors la cloche de l’église de mon village qui danse, danse devant mes yeux d’enfant et cogne, cogne dans ma tête. C’est le jour de Pâques, les cloches ailées vont m’apporter des œufs, j’irai les cueillir dans le jardin, je savourerai le chocolat, je le ferai fondre sur ma langue,  je ne le partagerai pas !…J’entends des cris d’enfants gais et rieurs. J’écarquille les yeux et je les découvre alors, jouant à cache-cache…Je n’ai plus que des cailloux à ramasser, me dis-je, avec nostalgie.

Le soleil baisse alors à l’horizon et lance ses derniers rais de lumière chaude. Comme des projecteurs de théâtre, ils vous éblouissent de leur éclat d’or écarlate. Vous continuez pourtant à les regarder, happé par ce feu qui brule votre rétine. Ses flammes vous attirent comme les lucioles émettant leurs signaux phosphorescents, comme le phare guidant les bateaux dans la nuit. Puis, sans prévenir, vous êtes dans l’ombre, le puits de lumière s’est refermé derrière la montagne. La nuit va tomber, il va falloir vite rentrer. Une étoile apparaît et vous voilà rassuré…vous pourrez revenir demain, vous fondre dans le paysage…

Juillet 2014, Mont Mézenc, Aphanèse

Véronique D-E


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L'ODYSSÉE

 

14/07/14....13°C

 

Il manquait un degré à cette journée pour vibrer juste.

La terre gorgée de pluie enveloppait d'une fraicheur tardive cet été décidément trop humide.

Elle qui aimait tant se réfugier dans cet univers prévisible et rassurant des  mathématiques dont elle avait fait son métier, ressentit la brûlure douloureuse et familière qu'il lui manquait toujours « un ».

C'était le drame de sa vie.

« Deux fois sept quatorze » pensa-t-elle, conservant ce fantasme infantile qu'avec les nombres pairs et tout ce qui va par deux, tout problème a une solution.

Ce « 13 » impair et superstitieux de l'affichage digital en caractères oranges sur le départ de sa randonnée pour le mont Mezenc, faisait voler en éclat ses espoirs de la journée.

Pour rester fidèle au hasard dans lequel elle voyait un frôlement de l'univers lui redonnant courage quand tout l'abandonnait, elle détourna son regard et partit sans attendre que la température augmente pour rectifier cet équilibre malmené.

D'un pas assuré elle emprunta le sentier de pierres volcaniques  qu'assombrissait un couvercle de nuages solidement clipsés à chacun des sommets. D'un geste ample, elle enroula son écharpe colorée autour de son cou, emprisonnant dans le même mouvement ses longs cheveux soyeux. Ses chaussures fermement lacées écrasaient l'herbe bleuie par le gel du matin. Le même froid l'habitait.

Le gris anthracite du chemin céda progressivement la place à un océan de verts multiples comme dans un rêve d'aquarelliste.

Derrière un murmure serpentait un ruban cristallin entre ocre des gentianes  et parme des violettes timides. Ou était-ce des pensées sauvages ? Elle n'avait jamais su faire la différence. « Timide ou sauvage, les deux sont à apprivoiser » pensa-t-elle.

Elle arrêta sa marche pour plonger son regard noisette dans l'eau qu'elle devinait froide. Elle se laissa aller dans cette fluidité évidente qu'aucun obstacle n'entravait.

Des galets moussus frémissaient aux douces caresses de l'onde, elle-même soutenue et guidée par leur force et leur immobilité.

Elle s'assit près de l'eau aimant ce mouvement bruissant qui la captivait et l'apaisait.

Un frêle esquif tremblant interrompit sa rêverie et son odyssée, arrêté par un enchevêtrement de racines. Elle reconnut l'écorce d'un hêtre à son velouté ocré, régulièrement piqueté de traits rouges sang. Il exposait au soleil l'intérieur de cette peau rugueuse et protectrice arrachée à l'arbre qui l'avait si longtemps portée, sans espoir de retour.

Elle regarda frémir ce vestige d'un temps d'alliance et de vie révolu.

Le courant capricieux le libéra aussi brutalement qu'il l'avait déposé là,  dans une séparation prématurée. La jeune femme se leva curieuse de le suivre dans son voyage.

Près de la croix des Bouttières une sauterelle verte ayant trouvé passeur, un peu de vie s'invita à bord de ce canot providentiel.

 

Soudain l'air se figea, les arbres se rapprochèrent éloignant le ciel et la chaleur du soleil qui commençait à peine à la réchauffer. L'insecte disparu laissa l'embarcation vide traverser un cimetière d'arbres morts, cadavres calcinés tendant dans l'obscurité leurs branches noirâtres et cassantes comme autant de désespérantes suppliques.

Le courant emportant trop lentement l'écorce écorchée de tant de douleurs muettes vers la prochaine clairière et ses espoirs d'été, la jeune femme frissonnante décida de bifurquer et de laisser le ruisseau et son embarcation poursuivre leur périple sans elle. Elle avait soif de soleil et d'arbres vivants.

 

Tel un tournesol, elle se laissa guider par l'ouverture d'une  clairière que dominait un éboulis de roches sombres aux arêtes tranchantes coiffées de nuages effilochés tissant des baldaquins éphémères entre ciel et terre.

Elle caressa la robe en plissé soleil anthracite de la pierre volcanique et y appuya tout son corps. Elle espérait y sentir le grondement ancien des volcans avant qu'ils ne s'éteignent, certaine du pouvoir de la terre d'être la gardienne de la mémoire de toute la vie qu'elle a portée.

La roche lui répondit que sous le tulle noir de la montagne endormie, le deuil ne dure qu'un instant géologique. Un instant seulement.

Elle l'envia.

 

Elle retrouva le nord et longea un pré où paissaient des dizaines de brebis. Leur corps dénudés par la tonte récente provoqua en elle une forte sensation de vulnérabilité. Troublée, elle se mit à penser à leur sort de troupeau :

 

« Vous restez agrégées à la lumière de l'aube.

Indifférentes aux lueurs orangées, vous gardez la tête fléchie sous le poids vide de vos pensées.

Oreilles tombantes,  museaux résignés et collés au sol, vous attendez que le corps d'une autre se soude au votre pour ne faire qu'un.

Auriez-vous peur de perdre la direction d'un chemin que vous ne voulez  pas emprunter ?

Vos regards bordés de longs cils se voilent d'une incompréhension de ce monde qui est le vôtre. Il se réduit à un enclos où votre seule liberté est de quitter cet agrégat pour un rejoindre un autre. Vous ne buvez que si celle qui vous précède a soif.

Vos corps enchevêtrés projettent des ombres immenses de monstres sans tête, à mille pattes, que des patous menaçants vous forceront à reformer à la moindre menace de dislocation ou de tentative d'évasion.

Que vous importe la turbulente et joyeuse danse des hirondelles qui se croisent dans des battements d'ailes blanches et noires, dès les brumes du matin jusqu'aux dernières lueurs du crépuscule ? Vos pâles lueurs d'intelligence ne vous permettront pas de constater leur absence les jours de pluie où elles attendent sagement le retour du soleil dans leur nid de terre patiemment bâtis sous le toit de votre bergerie où vous n'aurez même pas eu la sagesse de vous mettre à l'abri, aucune de vous n'y ayant pensé. »

 

Elle frissonna abandonnant les ovins à leur destin pour s'avancer sur le chemin forestier, attirée par le bourdonnement sourd d'un moteur accompagné d'une odeur de fuel collante. Un engin de débardage grondait et hoquetait en équilibre sur trois roues, la quatrième dangereusement suspendue au-dessus du vide. De l'ouverture métallique aux deux incisives dentées, sortaient des filins d'acier comme des langues « caméléonesques » qui ramenaient dans la gueule hoquetante des troncs prêts à être broyés.

Fascinée, elle admira la puissance de la machine et la dextérité de ce forestier semblant ne faire qu'un avec son engin.

Lasse du bruit elle s'éloigna et poursuivit jusqu'au sommet.

Elle s'assit au pied de la croix et inspira profondément. Lentement.

Un silence habité l'emplit.

Il était là simplement comme un soleil au creux de ses côtes et diffusait une lumière douce en vagues régulières.

D'où venait-il ? Elle le savait mais n'osait l'accepter.

Comme un moteur qui tournait sans relâche depuis des mois, il venait de se couper. Tous les sons familiers et rassurants repoussés depuis trop longtemps en périphérie par la cacophonie de ses pensées, pouvaient enfin vibrer.

La lumière déclinait lentement, l'ombre se déplaçait, inexorablement. Un oiseau s'envola. Toute tentative de saisir cet instant était vaine, car ne s'encombrant pas du souvenir de ce qui n'était déjà plus, il avait laissé sa place à l'instant suivant

Le temps s'écoulait sans qu'elle eut besoin de le mesurer. Elle se leva. Des ronces la griffant au mollet lui laissèrent une délicieuse sensation de brûlure. Elle était vivante. Elle avait oublié trop longtemps ce corps dans sa négligence à l'habiter.  Elle sut qu'il était l'heure de rentrer chez elle.

 

Michelle

Les Estables  Juillet 2014

 

 

 

 


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