aphanèSe a débuté sa saison 2014 au Népal sur le balcon des Annapurnas.
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Reine des neiges
Yeux baissés sur les marches rivés,
Au rythme cassé à mon corps imposé,
Prudente, j’avance
Vers le silence.
Densité du vert. Une trouée.
Promesse. Fleur rose esseulée.
Devant, réminiscence de ma fascination,
L’élan de marbre en sidération.
Poudre de pierre
Sur mes mains, douceur.
Long cheminement avec hier.
Haut, près de la profonde crevasse
Bordée de fleurs,
Le palais de glace.
Marie-Paule
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Machhapuchhare en marchant lentement sur le chemin empierré, le temps nonchalant des pensées apaisées trouve un souffle qu’il ne faudrait pas quitter.
C’est au premier matin dans le sanctuaire incertain que les âmes défuntes animent les drapeaux de prières dans l’espace circulaire.
C’est en regardant les terrasses dans leur verticalité effrayante que le marcheur citadin fraichement débarqué trouve une vitalité qu’il avait oubliée.
Ciel par-dessus neige, près du poêle nous nous sommes réchauffés.
Mais le froid est piquant, le bois de chauffe lourd à porter, le panier d’osier scie la tête couronnée de la trace du bandeau du panier d'osier.
Les vieux courbent le dos. Les étoiles se voilent.
Ici les drapeaux flottent plus encore, le bleu, le blanc, le rouge, le vert, le jaune.
Sentinelles bienveillantes je vous aime.
simone
10 mars 14
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Trépassée du temps passé, poisson argenté, Sharancote libre mais cassante ondulait dans le vent des algues de l’océan. Lorsque ses écailles brillaient de jeunesse audacieuse elle se mouvait rapidement sur l’écume légère et la balayait d’un coup de nageoire puissante. Ensuite elle affrontait les tempêtes noires qui terrorisaient les bêtes sous-marines. Dans ces profondeurs si lointaines qu’aucun chemin ne trouvait le sens du courant pour faire le chemin à l’envers à la rencontre des origines elle retrouvait les anciennes qui lui enseignaient ce qu’elle devait savoir. Sharancoté apprenait ainsi qu’elle était née de l’oubli, qu’elles toutes seraient à jamais dédites, fantasmées et rendues responsables du naufrage des hommes.
Sharancote maintenant est vieille. Est-elle folle ?… Le jour où elle perdit une écaille, fine ciselure argentée s’arrêta le cours de sa nage sans connaissance ni savoir. Pause spatiale, écume soulevée, histoire toujours renouvelée, sans cesse détournée, Sharancote fatiguée mais décidée prit son souffle à deux ouïes et partie là où elle ne savait pas.
Sans arme et sans colère, vieille sage elle désirait seulement retrouver son écaille, fine ciselure argentée. Perdue elle-même Sharancote happée par un courant puis un autre se laissait entrainer sans force, vieille elle était, quant elle rencontra un jour - ou une nuit une eau plus chaude que les autres née d’un lieu qu’elle ne pouvait imaginer. Sharancote remercia l’eau réchauffante de soulager ses nageoires fatiguées et se sentie toute chamboulée en ce huitième jour du troisième mois de l’an deux mille soixante-dix. Cervelle dégelée, écailles devenues pieds lestes pour une marche assurée sur le nouveau chemin surgit de l’océan, chemin vivant, va de l’avant, réincarnation du courant, trouve le sens où se rendre. C’est un chemin empierré où elle le ressent plus qu’elle ne le sait sa mère et sa mère avant elles ont foulé chaque pierre arrachée à la paroi, frayeur transformée en joie pour offrir à l’humain un confort sur les contreforts de l’Himalaya. Mais qui parlait du naufrage des hommes quand petite écaille elle entendait histoire racontée dans les obscures profondeurs. Sharancote ce jour d’hui dans sa nouvelle foulée offre à son corps un nouveau déplacement, incertain mais serein. Elle écoute la voix des hommes, elle chante le rire des femmes, elle regarde cette petite fille brune un couteau à la main assise sous le soleil froid de ce village à la croisé des chemins empierrés. Des pommes de terre attendent d’être épluchées et offertes nues au soleil. L’une d’entre elles tremble plus que d’autres et s’est cachée au fond du panier. La tendre alou gémit, Sharancote l’entend et la rassure dans un silence appliqué. La petite fille brune se saisit de d’alou petite patate en forme de cœur, la regarde et lui sourit. Sharancote les laisse à leur destiné quant à ses pieds tout neufs elle trouve une clé. La jolie petite lui dit s’être perdue, tombée d’une poche et séparée de ses proches et de son scoubidou. Cela fait beaucoup. Elle est triste, elle pleure. Sharancote lui dit qu’ici sa vie dorénavant lui appartient, que le plus beau reste à advenir et qu’ensemble elles feront un bout de chemin sur le chemin empierré ensoleillé. Peut-être Sharancote lui présentera-t-elle un jour prochain un pêne joyeux qui la chérira cette fois.
Les années ont passé. Six histoires déroulées se sont racontées quand levant les yeux Sharancote la voit, l’autre, celle du plus haut de l’univers, celle qui caresse le ciel, s’enveloppe de brouillard et parlent avec les nuages. Jumelle inversée, perdue, retrouvée. Deux mais unique, tête en bas, c’est une écaille qui brille, Machhapuchhhre.
Simone d. 4-8 mars
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La clameur de la grande rue s’estompe et cède la place au son métallique des clochettes. Plus l’on s’immisce dans le dédale des ruelles, plus les senteurs piquantes des épices tournent notre tête, promesse de régal… dans ma bouche, je fantasme la saveur du daal, j’ai toujours faim.
Une faim de plaisirs, de couleurs, de sons, d’odeurs. La faim de croiser le regard de cet homme buriné sous le auvent ; faim de saisir la grâce furtive du bonze en prière ; faim de m’étourdir dans les motifs bariolés du tapis derrière cette porte.
Au-delà de l’amoncellement de baraques, je devine les chemins menant vers l’intime. La caresse du soleil sur le mur du temple d’où s’échappent les murmures des prières. J’ai encore faim…
N.C Février 2014 dans l’avion
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La vache népalaise jouit d’une curieuse prairie. Ici point d’herbe tendre, ni de trèfles, pas même un pissenlit. Poches plastifiées bigarrées, tôles ondulées, flacons cabossés, aluminium froissé, poussière, boue, pneus usagés, chaussures, matelas peut-être… elle explore tranquillement ce territoire dévasté, fourrageant son mufle dans l’amoncellement des ordures. Ainsi s’inscrit le destin du bovin urbain.
N.C
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Penchée sur la fillette, d’une main experte elle tresse sa chevelure, une seconde natte, un ruban blanc volumineux ; plus loin le tumulte, la route, la chenille de camions chaotiques. Instant d’intimité fugace. La mère achève son geste délicatement plongeant son regard dans les prunelles de la petite tandis qu’une étrangère s’introduit dans cet instant de vie.
N.C Février 2014 images sur la route de Pokara
consent à héberger quelques mousses
prêtant à ce chemin inégal
une humeur plus douce.
Une empreinte délicate ici
où les pierres se sont échappées
bousculées par la pluie
je sais, d’autres sont passés.
Vallée prisonnière d’une gangue brumeuse
où mon regard plonge inlassablement
ses secrets me laissent rêveuse
sur les destins de ses habitants.
Dans l’écrin végétal de la forêt
abritée, je songe à ma mère
sous le feuillage velouté
depuis des années je me perds.
sur les chemins du trek
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Nous avons été conçus, mon frère Pêne, ma sœur jumelle et moi-même dans une usine de la région parisienne en 2003. Peu après notre naissance, nous avons été placés au foyer Castorama de Corbeil Essonne. Au début, c’était terrible. Nous étions hébergés dans un immense dortoir bruyant « la réserve ». Ce fut une période sombre. Blottis tous les trois dans notre lit, nous observions les silhouettes du personnel aller et venir avec la crainte au creux du ventre. Nous étions terriblement inquiets sur notre avenir. Un beau jour, ils nous ont emmenés : tout le dortoir embarqué. Avec les copains nous avons été placés au magasin, notre lit plastifié suspendu à une sorte de clou. Là, sous une lumière aveuglante, nous voyions quotidiennement, même le dimanche, quantité d’individus passer et repasser toute la journée. Je ne saurai dire combien de semaines nous sommes restés ainsi mais cela nous a semblé terriblement long. Un matin, une grosse main brune a saisi sans ménagement notre lit. Elle appartenait à un type en salopette. Nous avons été précipités dans un chariot avec d’autres copains du magasin.
Je me souviens bien de la camionnette blanche qui nous a transportés ensuite. Elle était sale, jonchée de plâtre et il régnait une odeur tenace de peinture. Après, tout s’est passé très vite… On nous a sorti sans ménagement de notre lit et Pêne fut emporté tandis que nous, les filles nous avons été jetées sur le coin d’une table. Nous avons pleuré le premier soir dans le noir ma sœur et moi. Le lendemain, l’homme à la salopette installait Pêne sur la porte. Je le voyais assez serein entre les mains expertes de ce bricoleur. Il n’a pas crié quand le tournevis s’est approché. Ensuite nous avons été brièvement réunis tous les trois. Ma sœur a rencontré Pêne la première, puis ce fut mon tour. Ça fonctionnait bien, l’homme était satisfait. Il nous a embarqué, ma sœur et moi pour, trois jours plus tard, nous déposer entre les mains douces d’une jeune fille blonde. Elle sentait le patchouli, c’était bon. Elle semblait si heureuse de nous avoir que nous en étions toutes émues. Encore plus lorsque nous avons revu Pêne. J’ignore pourquoi mais nous étions rassurées par ces mains pâles et pour la première fois nous avions foi en l’avenir. Mais nous nous faisions des illusions. Peut-être une semaine après, ma jumelle fut placée chez la concierge, flanquée d’un type en plastique rouge arborant une étiquette sur laquelle on pouvait lire « appartement n°5, 1er étage droite ». J’ai pleuré. J’étais réconfortée plusieurs fois par jour par mes rencontres avec Pêne à heures fixes : le matin à huit heures, le soir à dix-huit heures, sauf le week-end où c’était plus aléatoire.
J’ai très vite eu un ami : Scoubidou. Il m’a raconté qu’il avait été confectionné par la jeune fille et qu’il était là pour veiller sur moi et me protéger. Nous serions désormais toujours liés. La vie s’écoulait paisiblement. Scoubidou et moi-même, étions très complices. Combien de fous rires au fond du sac à main avec le porte-monnaie et le tube de rouge à lèvres. A la maison nous nous endormions tranquillement chaque soir dans une petite corbeille d’osier ramenée d’un lointain voyage. J’aimais bien car elle était imprégnée d’une odeur d’encens. Puis vint un jour où la jeune fille ne fut plus solitaire dans son petit appartement. Il a commencé par venir les samedis puis au fil du temps plusieurs fois par semaine. Quand ils rentraient tous les deux, Scoubidou et moi étions envoyés au hasard tantôt sur le canapé, tantôt sur la table basse, voire jetés au sol. Ils étaient fébriles et pressés et nous négligeaient au point de parfois nous égarer. Je me souviens d’un soir où nous nous sommes retrouvés auprès d’un grand bac translucide rempli d’eau. Dans un ronronnement continu, allaient et venaient une multitude de bulles. Scoubidou ne semblait pas surpris par cette présence, il l’avait déjà vu. Dans cet environnement aquatique, plusieurs silhouettes multicolores se déplaçaient, certaines furtivement, d’autres plus lascives. J’étais fascinée et attentive à ce spectacle quand une voix venue de cet univers m’a interpellée. C’était Sharâncoté l’esprit de la sirène prisonnier de cet aquarium. Il m’a raconté comment il fut arraché à son univers par des humains avides de recréer son élément dans leur appartement. A présent coincé au fond de cet aquarium, il ne pouvait plus s’échapper et il me suppliait, moi la clé de le libérer. Scoubidou tentait de me détourner de cette voix insistante qui lui semblait appartenir à une vieille folle. J’étais envoutée, profondément touchée par cette histoire mais impuissante pour aider cet esprit. Je n’étais qu’une clé d’appartement, pas une clé magique… Ce fut une terrible longue nuit hantée par la supplique de Sharâncoté. Une terrible longue nuit me rongeant de la culpabilité de n’être qu’un simple objet. Au lever du jour, la complainte s’est éteinte me laissant dans un profond chagrin.
Les jours suivants, il régnait dans l’appartement une atmosphère fébrile, un grand désordre. Deux sacs à dos crânaient au creux du canapé, discutant vivement avec les duvets, les lampes torches, les passeports, les pochettes, les chaussettes et bien d’autres personnages aux airs importants. Evidemment il se tramait quelque chose.
Un matin tôt, avec Scoubidou, nous avons dit au revoir à Pêne car c’était sûr, nous allions partir longtemps. Affublés d’un mousqueton, nous avons été solidement arrimés dans la pochette filet d’un petit sac à dos, nettement plus humble que ses congénères, et nous avons suivi la jeune fille et son amoureux pour semblait-il un grand voyage.
Ballotés, cahotés dans le filet, sous la coupe du mousqueton, nous observions les paysages insolites défilant sous nos yeux. Chaque soir nous nous arrêtions en un lieu différent. J’avais peur, j’avais froid. Je me réconfortais en songeant à notre petite corbeille à l’odeur d’encens. Je me remémorais Sharâncoté et m’identifiais à cet esprit, moi-même prisonnière de ce sac d’où je voyais à travers les mailles s’écouler la vie. Nous étions dans un vaste pays où hors des villes l’air était pur et les étoiles scintillaient vraiment. Le jeune couple semblait heureux de parcourir les sentiers, de croiser les sourires des habitants, de gouter aux saveurs locales. Bercés par le rythme de la marche, nous étions aussi saisis par les splendeurs des forêts, des montagnes, des couleurs. Quelquefois il faisait froid et nous étions heureux de la caresse du soleil quand la journée s’avançait. Un matin il nous a semblé que le filet du sac s’effilochait et nous distinguions plus nettement le dessin du chemin. Chahutés de haut en bas, nous échangions parfois quelques mots avec lui. Il nous a raconté son histoire et c’était beau. Comment depuis des siècles hommes et bêtes l’avaient façonné et gravi pour construire puis habiter leur village, comment il triomphait des assauts neigeux, comment il dominait la vallée pour aller embrasser l’autre flanc de la montagne… Quand la jeune fille s’en est écarté pour faire une jolie photo, un buisson épineux nous a arraché au filet et Mousqueton, Scoubidou et moi-même sommes tombés violemment sur une pierre. Impuissants, nous avons vu la jeune fille s’éloigner, sourde à nos appels. Cédant au désespoir, nous nous sommes longuement lamentés jusqu’à être sortis de notre torpeur par une clameur. La pierre agacée nous a reproché de l’avoir réveillée. Nous lui avons raconté notre mésaventure et notre terreur de ne jamais retrouver notre foyer. Pour nous réconforter, elle nous a décrit la philosophie de ce pays, le chant de ses habitants, leurs croyances. Ensemble nous sommes restés quelques jours, balayés par les vents, souillés par la terre, fouettés par la pluie…
Jusqu’à ce fameux matin où la vibration d’un pas leste nous a réveillé brutalement et la main hâlée d’une fillette nous a saisi avec délicatesse. Elle nous a observé attentivement avant de nous nicher dans le creux de sa poche où sommeillait une pomme de terre nommée Alou. Alors là bien au chaud, nous avons sombré dans une profonde léthargie. Quelques heures après, tendrement réveillés, nous avons été caressés. La fillette a écarté Mousqueton le trouvant utile à d’autres fonctions puis elle nous a déposé dans un petit coffret de bois en compagnie d’Alou la pomme de terre en cœur et d’un ruban fleuri.
Je ne saurai dire pourquoi mais nous avons senti à ce moment que nous étions devenus des trésors et qu’à jamais nous serions protégés dans cet écrin auprès de la fillette.
Aujourd’hui, quand je songe à ma fonction d’autrefois, je suis heureuse car je sais que ma jumelle m’a remplacé. Peut-être qu’elle aussi aura un Scoubidou pour compagnon. Peut-être auront nous une autre sœur qui demeurera chez la concierge. Quant à Pêne peut-être ne verra-t-il jamais la différence.
Nathalie.C
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Espoir en marches
Le murmure des feuilles habille la forêt de soie,
L’éclair rouge d’un battement d’ailes aveugle la verdure.
Tandis que le rythme des marches du sentier résonne en moi
Mon regard vole vers les géants blancs qui me rassurent.
Le souffle caressant leur sommet, poursuit sa route
Et libère les molécules de leur prison de glace.
Mes poumons s’en emplissent, profitant de leur déroute.
Tristesse et peur s’échappent pour leur faire place.
Mais les marches jalouses s’amusent à tromper mes pieds,
Forçant mon regard à s’abaisser pour les surveiller.
Elles n’auront pas le dernier mot je le jure !
Leur ruse déjouée, elles ne gâcheront pas l’aventure.
Place à nouveau au bonheur fugace d’un instant imaginé,
Je me vois tout là haut sur les pics enneigés.
Dominique Perocheau