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Mongolie juillet

2018


http://aphanese.viabloga.com/news/mongolie-2018-3   lien vers les 1ères photos du séjour 

  ENHEE notre interprète.






 

 

                                                        




      
                                     Un silence

Une nuit entre éclairs et tonnerre lointain. Au matin dans une lueur de nacre s’éveille la steppe comme une pierre reçoit la rosée. Encore ensommeillée je me lève et reviens doucement au jour, je veux poursuivre le chemin commencé il y a peu, suivre  le soleil et sa course des heures. Deux yourtes, trois cabanes en bois. Une petite fille en robe de princesse bleu azur court sur l’herbe rase. Quelques pas encore et sur ma droite une femme est assise à même la terre. Elle porte l’habit traditionnel mongol. Un deel bleu, usé par les années de pluie, de froid, de soleil, de neige, de vent. Dans son dos s’élève la montagne, devant elle, posé au sol,  un carré de feutre usé, effiloché. Tout est usé et effiloché dans cette scène à l’arrêt semblable à une peinture. La femme est seule, ses cheveux sont coupés courts comme ceux d’un garçon et son visage fermé aux traits anguleux, buriné par le soleil de l’altitude lui donne l’air d’une nonne échappée d’un temple. Il me semble qu’elle porte son âme en dedans d’elle, loin, au plus loin. Je vois ses mains qui s’agitent au-dessus du carré de feutre sans comprendre pourquoi et je ne le saurais jamais. Je la vois qui flotte au-dessus du sol, mais cela est impossible. Cependant j’imagine qu’elle s’évade le temps d’un fugace instant. Une rêverie loin de la montagne, loin de la cabane en bois, loin du feutre usé, loin des yacks et des moutons, loin de l’eau froide, des seaux à remplir, du feu à allumer, du toono à fermer quand fouette la pluie. Son regard se pose au-delà des nuages blancs cotonneux. Il voyage sur le souffle du vent, s’égare dans l’espace sans une seule seconde quitter le feutre entre ses mains. Je l’emmène avec moi, mais elle ne me suit pas. Je voudrais rester avec elle, mais ne veux pas la déranger. Je n’insiste pas . Sa vie m’est inconnue et me semble inaccessible.  Une vingtaine de pas plus loin - je les ai comptés- je me retourne une dernière fois. C’est son âme que je vois et quand elle lève les yeux c’est une princesse qui me regarde, une femme âgée fière de sa terre mongole, fière d’y être née et fière d’y mourir un jour.

Elle me laisse partir le cœur léger, je la remercie.

 


                                 
                                    
Bord du monde

 

360°. Rien et tout à la fois.

Deux croassements dans le ciel, un hennissement droit devant et l’eau de la rivière. Seul depuis un jour et une nuit. Seul sur la rive de la rivière. Seul au pied de cette falaise. Roches volcaniques. Seul sous le ciel, vaste et imprévisible. Je bêle et bêle encore. Me répond le vent. Il caresse l’océan blanc de mon dos. J’entends une mouette. D’où vient-elle ? Nous suivions tous ensemble,  il y a quelques heures encore, la ligne colorée des fleurs. Une blanche, une jaune, la rose odorante qui a souvent ma préférence. Mais je suis seul maintenant, séparé des autres. Peut-être sont-ils rentrés dans l’enclos. Je suis perdu. Le soleil est implacable. J’aimerais rester allongé sur l’herbe rase et verte, j’aimerais  serrer ma tête contre leurs têtes, sentir leur fraîcheur encore un peu. Quand un de nous disparaît il ne revient pas. Des choses se disent, des choses terribles. Je vois du rouge c’est impossible, non ! J’ai peur. Un chien aboie sur l’autre rive. Il trépigne. Un homme s’approche, le chien se calme. L’homme me regarde. Il balance d’un pied sur l’autre, les mains derrière le dos les yeux en forme de lune inversée, le sourire aux lèvres.  C’est le comportement du prédateur. Le courant est puissant à cet endroit il ne pourra pas traverser. Ma peur s’évapore dans le tourbillon des remous, l’eau agitée devient mon alliée. L’homme pousse des cris, dit qu’il va venir me chercher, que tout va s’arranger. Je ne dois pas bouger, il tuera le loup, il donnera sa vie pour moi, je dois l’attendre. Cependant je vois un flot rouge ininterrompu couler des yeux de l’homme. Je pourrais m’y noyer. C’est le sang du bêlement horrifiés évanoui de la terre volcanique qui se réveille, c’est le sang de mes ancêtres, je le comprends qui coule des yeux de l’homme. Il crie à nouveau  « que feras-tu seul dans la steppe, attends-moi  » Une fulgurance comme une lame plantée dans ma chair déchire ma gorge. Mon cœur palpite. Je me souviens les nombreux disparus. Les nuages sont gris, lourds. L’eau du ciel gonfle la force du courant, gonfle le vacarme assourdissant. L’homme crie encore. Il entre dans l’eau saisit par cette force qui le dépasse. Je le vois brandir son couteau. Je le vois disparaître dans les flots. Le chien aboie, pauvre bête. Je m’enfuis. Je suis vivant.

 

Simone D. Jargalan Mongolie juillet 2018





Nu 

Age.

Raconte moi cette histoire là.

Raconte moi la rudesse, le temps qui s’installe.

Raconte moi le moment où on avait besoin de peu, besoin d’un peu.

Le rire de Teguy, ses joues rouges et l’agneau bouilli.

Le coeur arrêté dans un poing. 

Cette vie ôtée avec délicatesse.

Proche, si proche de l’essentiel.

Nu

Age.

Raconte moi comment cela est arrivé.

Quand l’homme a-t-il abandonné la terre ?

Délaissé.

Plus regardé.

Plus aimé.

Plus regardé.

Oublié.

Qu’avons-nous désappris ? 

De nos mains désappris ?

Avons nous désappris les étoiles et la terre?

Désappris le temps, le silence et le vent ?

Désappris d’être là, dans l’instant ?

Nu

Age.

Toi, raconte moi. 

 

                                                                  ***

 

Essence Ciel 

 

L’instant est à moi

Au monde

Dans le bruissement de la vie

La respiration pleine

La respiration de la plaine

Le coeur éteint comme celui de l’agneau ? 

Les larmes qui arrivent en nuées bleutées comme des criquets 

Les larmes venues sans être convoquées

Qui auraient débordé comme le tsé tsé

Pour cacher la peine dans la plaine

Parmi les Zorums étonnés

Regarde disent-il

Comme tout est simple et bleu

Regard

Lève tes yeux, lève

L’air s’engouffre et la vie se fraie un chemin dans mes contrées

Etre là

Aujourd’hui et beaucoup de demain

Sortir de l’enclos et planer avec les Milans.

 

                                                                  ***

Au milieu de la steppe par temps d’orage, la foudre le frappa. Il rit.  Une joie peu ordinaire l’emplit. Il aimait ces rendez-vous. Il les attendait presque, comme on attend un événement heureux, une douceur, un baiser. 

La foudre frappait Tulga depuis son enfance. A chaque fois elle lui laissait une cicatrice. A cause fois, malgré la douleur fulgurante, elle lui apportait le réconfort de l’âme. 

La première fois elle l’avait frappé au bras le jour de ses 5 ans devant la porte de la yourte.  « Ne vend pas le peau du Yack avant de l’avoir tué » lui avait-elle chuchoté. Il n’avait pas du tout envie de se battre avec un yack, et sa mère faisait des galettes bien trop bonnes avec leur lait. Son bras endolori avait cicatrisé mais il lui restait toujours une certaine raideur. 

A 10 ans alors qu’il était parti chercher de l’eau à la rivière elle l’avait frappé dans le dos. « Profite d’aujourd’hui »  lui a-t-elle dit. La vie est une succession de moments, bons ou mauvais. Quand son père mourut l’hiver suivant, il comprit. Il garda toujours en haut de l’omoplate une cicatrice de la forme d’une lune qui le lançait les jours de pluie. 

A 16 ans, la foudre le surprit dans la forêt alors qu’il était parti charger du bois sur sa charrette. Elle lui transperça le pied gauche et lui murmura: « Lève les yeux, passe du temps regarder la liberté des milans ».  Il perdit 2 orteils et se demanda ce qui allait rester de lui. 

A 25 ans, à la fête du Nadam elle lui ouvrit le coeur et lui chuchota: « Aime ». Il épousa Nyambou. 

A 40 ans la foudre lui refit signe, un jour de grêlons sur la steppe, elle lui emporta l’oreille droite et lui murmura: « Le vent souffle mais n’emporte jamais les montagnes. » 

A 65 ans alors qu’il ne pensait plus jamais la revoir, au milieu des chevaux sauvages, elle lui perça le flan: « la terre est à tout le monde comme le ciel et le monde ».

Il resta une vingtaine d’années avec son coeur ouvert, ses doigts de pied en moins, son omoplate aplatie, son bras raidi et son flanc meurtri.

Aujourd’hui par temps d’orage, au milieu de la steeple la foudre le frappa. Il avait 88 ans et son coeur s’était refermé depuis la mort de Nyambou.

Depuis, il l’attendait.

La foudre l’embrassa: « Viens, suis le vol des criquet viens. Cette vie là peut s’arrêter aujourd’hui. Ne résiste pas viens ». Il ferma les yeux et sourit. Il avait aimé sa vie. 

 

Mathilde referma le livre « Mongolie , la foudre et moi » de Tsaga Sum. Elle s’approcha de Max qui était dans le coma depuis maintenant 3 ans et l’embrassa en haut du front : « Va, suit le vol des criquets va. Cette vie là peut s’arrêter aujourd’hui. Ne reste pas va. » Elle éteignit la lumière et referma la porte de la chambre d’hôpital. Le coeur de Max s’arrêta cette nuit là. 

 

                                                                    ***

Le lac est paisible, bleu. Rien ne vient troubler son calme. Son eau est transparente et aussi immobile qu’une peau d’ours dépecée. Sur cette eau tannée: des canards, des cygnes, des aigrettes. 

En dessous ça ondule, ça nageoire dorée, ça cours de la vie. Si on tend l’oreille on entend le lac jouer le Boléro de Ravel. Au loin, les abords boisés verts et touffus : fougères, crocus, cailloux ronds et pointus. Renards un peu plus loin. Cerfs aux yeux de biches.

Il n’y a pas âme qui vive mais pourtant nous sommes là et le soleil nous mordille. Lui pourrait-il dire que nous sommes vivants ? 

Seuls le lac et les abords boisés sont reliés au ciel. Toi tu n’es relié à rien: ni au lac, ni à la terre, ni au ciel. La vie n’est ni bleue ni transparente ni paisible ni boisée ni renarde.  

En une seconde la pluie est arrivée et le lac a débordé comme du lait. Les animaux ont péri.Tout a été anéanti d’oubli, fracassé, plié. 

Quelques années plus tard, au prix d’efforts ardus la vie est revenue, plus dense et plus charnue. On dit d’ailleurs qu’à la place du lac ont poussé des saules qui n’ont jamais pleuré.

Aujourd’hui je t’ai enfin trouvé une place dans l’immensité de la steppe - il aura fallu aller jusque là - Ici l’horizon est à toi, tu pourras te reposer. Ecoute bien… on entend le Boléro. 

Frédérique K-D

 



 

 


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