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Lot Mai 17

  

http://aphanese.viabloga.com/news/lot-mai-2017    (lien vers les photos)


Le muet et la belle aveugle

 Je veux que sur ma tombe on écrive enfin

Qu’en fin de compte j’ai trouvé ponctuation

Au texte d’une vie vécue par un muet pantin

Qui de parole n’avait point d’articulation.

Je souhaite que de la pierre qui pourtant ne dit rien

S’élève un chant, sans portée, sans clef et sensitif

Qu’une aveugle lirait, passant un doigt serein

Suivant les ruisseaux ivres d’un sculpteur réflexif.

Du fond de mon néant, je la verrai si belle

D’Exciter sans savoir ma peau devenue marbre

Que j’en oublierai bien les fatales ficelles

Qui m’ont conduit ici, ayant quitté mon arbre.

Détaché de son cœur par un Gepetto sombre

Je lui rendis l’humeur la gaité et la vie

Bien que ne parlant pas, muet comme un concombre

Et mu par des attaches qu’il noyait dans l’oubli.

Alors, oui, belle aveugle, laisse surfer ton doigt

Ne sens-tu pas mon nez qui à nouveau s’allonge

Qui du profond trépas s’érige vers tes appâts

En parfumant l’azur du désir où je plonge ?

Au delà d’une vie qui ne fût qu’esclavage

Je m’aperçois enfin que je ne suis pas de bois.  

Ce sursaut salvateur ne serait que lavage

De la tache inutile qu’est l’absence de voix.

Il n’Y a point de ponctuation qui ne vire, gueule à sa façon.

Il n’Y a point deux points, qui sont d’explication.

Il n’y a point d’esbroufe, ni point d’exclamation

Dans le silence cru qui met pause à l’action

Il n’y a de vrai point que d’interrogation.


Cygne et sens

Lors de mon premier voyage en Chine pour le colloque de Chengdu, en 2002, je n’étais encore pas rompu aux voyages internationaux. J’étais allé une fois en Thaïlande, et c’est à peu près tout. J’éprouvais quelque angoisse face à la découverte d’un pays dont j’avais à peine entendu parler, au point de n’avoir même jamais entendu prononcer le nom de la ville où nous allions : Chengdu, capitale du Sichuan, ravissante petite bourgade de un million d’habitants, 10 millions en comptant la banlieue. 

Et surtout je n’y allais pas en touriste, mais en participant du premier colloque international de psychanalyse qui allait s’y dérouler. J’allais devoir rencontrer des chinois, et je n’avais nulle envie de louper cette rencontre. C’était trop important pour la diffusion de la psychanalyse en Chine et, par ricochet, pour ma propre position dans le mouvement analytique français.

Je m’étais donc précipité sur la méthode Assimil du chinois et sur tout ce qui pouvait m’apporter quelque information sur l’empire du milieu, sa géographie, son histoire, son économie, sa culture. Je n’avais eu que six mois pour m’y plonger. Juste le temps d’assimiler quelques borborygmes de base, Ni hao, bonjour, zai jian, au revoir, xiéxié, merci. Wo pu shuo han yu, je ne parle pas le chinois. Et campei l’équivalent de notre « à votre santé ». En fait, littéralement, cela veut dire « cul sec ». Ça revient au même, puisque ça accompagne la célébration festive des retrouvailles où, au lieu d’entrechoquer les verres, on s’envoie sa rasade d’alcool de riz à 56 (wu shi leo) degré d’un seul coup dans le fond du gosier.

On nous avait appris qu’il était de coutume, au cours d’un repas, de se lever, de désigner parmi les convives quelqu'un que l’on souhaite honorer en levant son verre et en lui lançant d’une voix forte : campei ! Alors l’autre se lève aussi et on vide son godet ensemble d’un coup. La séquence peut se produire plusieurs fois de suite, unissant divers couples du tour de la table, parmi les huit personnes qui s’y trouvent toujours.

Après divers préparatifs aussi enthousiastes qu’inquiets, un airbus A 320 de la compagnie Air China nous transporta à Pékin (Beijing). Je dis nous car j’avais pris au passage sous mon aile Martine, la nouvelle copine super mignonne que je venais d’adjoindre à ma vie. De Beijing, un autre airbus plus petit nous fit traverser la Chine en sens inverse, vers l’ouest, pour rejoindre Chengdu. À l’époque, il n’existait aucune liaison directe entre l’Europe et Chengdu.

L’avion nous laissa sur un tarmac d’où s’avança un escalier motorisé, instrument utile à toucher le sol sans dommage.  Rien à voir avec les aéroports de Paris, ni avec le futur aéroport de Chengdu que j’ai connu quelques dix ans plus tard, largement aussi grand que Roissy, si ce n’est plus, avec ses couloirs satellites couverts qui viennent vous chercher dans l’avion pour vous propulser dans les bâtiments sans craindre quelque intempérie que ce soit. Nous empruntâmes donc cet escalier mobile et firent à pied le trajet vers l’univers étrange qu’il allait falloir affronter. Des étudiants de l’université nous attendaient avec des pancartes à nos noms. Je fus surpris de découvrir que nombre d’entre eux parlaient le français. J’eu vite fait d’apprendre que pour eux, la France était le nec plus ultra de la psychanalyse, et qu’ils rêvaient tous de venir en France pour faire une analyse personnelle et un doctorat.

Drôle d’histoire. Et drôle de méprise. Pourquoi la France serait -elle ainsi reconnue, ainsi qu’au Brésil, autre contrée où je me suis ensuite rendu très souvent, et où la plupart des gens qui s’intéressaient à la psychanalyse parlaient aussi le français.  La réponse tient sans doute en une personnalité : Lacan, le dandy hyper intello de la psychanalyse française, que justement, les français ne comprenaient pas non plus. Ces chinois, ces brésiliens, ces argentins, et tant d’autres, tenaient à pouvoir lire Lacan dans le texte, afin de se rendre compte par eux même du génie du dit rénovateur de la psychanalyse. Très souvent j’ai entendu cette phrase : « je voudrais comprendre Lacan comme les français le comprennent » à laquelle je répondais invariablement : « ça tombe bien les français ne le comprennent pas non plus ». J’avais assez entendu de français me dire : « Lacan c’est du chinois ! ». Bien sûr, beaucoup ne se reconnaitront pas dans mon dire, tous ces gens qui pensent avoir compris quelque chose à Lacan.

Comme quoi le malentendu est l’essence de la communication. Il se trouve que cette phrase, je la tiens de Lacan, ce qui ne veut pas dire que j’y ai compris grand chose d’autre, malgré 40 ans plongé dedans jusqu’au cou. Le « Lacan » est plus incompréhensible que le chinois. Mais, à la différence du chinois, j’ai fini par acquérir la conviction qu’en fait,  le soi disant génie de la psychanalyse ne voulait rien dire, ne faisant que tourner autour du pot dans un immense blabla étonnamment complexe, extraordinairement architecturé en cathédrales absurdes, où les voutes romanes le disputent aux ogives gothiques, où les façades baroques étalent leurs volutes de pure esthétique, ou le transept se transfère en chœur, les chapelles latérales en autel  principal, les piliers de devant en piliers de derrière, le tout sous l’œil cyclopéesque d’une chatoyante rosace.

En bref : ce n’est pas parce qu’on se parle que l’on se comprend.

Nos étudiants chinois tout frétillant de côtoyer des psychanalystes français, des gens qui, pour eux, avaient touché la tunique du grand homme,  nous entrainèrent dans un hôtel traditionnel du cœur de la ville. Endroit charmant où les bâtiments aux toits qui rebiquent vers le ciel entourent une cour carrée où glougloute un jet d’eau. Pour le pittoresque, c’était parfait. Pour le confort, c’était à revoir. Pour entrer dans notre chambre, nous devions toujours demander l’énorme clef à la matrone chef d’étage qui veillait sans cesse, avec son trousseau à la ceinture. Pas trop difficile de faire comprendre cela, même sans idiome commun… encore fallait-il la trouver, ce qui était loin d’être évident. Le mur de la chambre donnant sur le couloir était vitré à mi hauteur, ce qui lui permettait de garder un œil sur ses ouailles, ne nous laissant que peu d’intimité. Enfin les chiottes étaient extérieures à la chambre, communs à deux étages, et dépourvus de portes, comme c’était encore la coutume à l’époque en Chine. Dans une grande salle puante, de simples murs en U, d’à peine un mètre de haut entouraient des  trous dans le sol. Et Inutile de chercher du PQ. Ces choses là ont disparu, de nos jours, du moins partout où je suis passé.

En bref : ce n’est pas parce qu’on ne s’entend pas du côté de la bouche que l’on se comprend mieux du côté de l’anus.

Après trois nuits dans cet hôtel au charme traditionnel si pittoresque, nous demandâmes à migrer à l’hôtel international ultramoderne qui abritait aussi le colloque. Avec, comme chez nous, des chambres bien isolables munies de WC et de salle de bain, dont nous pouvions garder la clef.

Mais le premier soir, une fois nos valises posées et la clef dûment remise à la matrone de l’étage, on nous entraina, moi, ma compagne et tous les psychanalystes du colloque, dans un périple à vélo qui se conclut dans une immense restaurant où nous devions déguster notre premier vrai repas chinois. Pendant le trajet je n’avais pas manqué de faire étalage du peu de chinois que je connaissais : « zhe shi shenme tongshi ? » demandais-je à tout propos… « qu'est-ce que c’est que ce truc là ? » . Je ne comprenais rien à la réponse si elle venait en chinois. Par contre, elle venait souvent en français de la part des étudiants qui nous guidaient.

Je me faisais une joie de cette plongée dans une culture dont je n’avais touché du doigt le moindre équivalent. Ce ne sont pas les restaurants chinois francisés de Paris qui auraient pu me duper sur la chose. Nous allions donc déguster ce dont les sichouanais raffolent, une fondue chinoise. La table ronde aux huit convives, incontournable en Chine, est ici creusée en son centre de deux marmites concentriques. Dans la plus extérieure, on verse un bouillon de légumes très épicé. Dans la centrale le bouillon est moins épicé. Quelle subtilité ! Nous allions pouvoir gouter aux gradations du plaisir. Sur une table roulante qui arrive ensuite s’étale une grande variété de légumes, viandes et poissons découpés, crus, n’attendant que notre bon vouloir pour piquer une tête dans le bouillon de notre choix.

Avant de me lancer dans l’aventure, je me souvins des leçons de culture chinoise et je me levais, un verre de tsingtao à la main. Commencer l’exercice par de la bière me semblait plus prudent. Je choisis un étudiant à la tête sympathique et je lui adressais quelque éloge de circonstance en le ponctuant du fameux « campei ! ». Il se dressa un peu raide derrière ses grosses lunettes à montre noire, me retournant mes compliments, en chinois. Nous ne nous étions pas compris, mais nous nous comprenions : il ne s’agissait pas de se comprendre mais d’accomplir un rite en commun. Il s’agissait de parler une sorte de langue très élémentaire dont le sens aurait pu se résumer à « bienvenue ». « campei ! »

Je me rendis compte par la suite que ces formalités anciennes étaient très rarement employées. Combien de fois me suis je ensuite retrouvé à une tablée de chinois sans que personne n’ait l’idée de mettre en œuvre le rite. J’avais appris quelque chose de la culture, mais je n’avais pas compris que ce n’était pas forcément applicable partout et tout le temps.

J’optais ensuite pour des tranches de lard bizarre, assez éloignées de ce que nous connaissons. Beaucoup de gras et très peu de maigre. Je les fis disparaître dans le bouillon le plus épicé : je n’avais pas peur de l’aventure, moi ! J’étais amusé, en remuant la sauce, d’y voir flotter de grandes branches de poivre de Sichouan, parées de leurs petits fruits noirs. Complément indispensable du piment, m’expliqua-t-on. Ah, parce qu’en plus du poivre en abondance, il y a du piment ? bien bien, nous verrons.

Après la première bouchée, j’ai mis une heure pour m’en remettre. Incapable de mettre quoi que ce soit d’autre dans ma bouche, ni d’émettre quelque son que ce soit à part : arrrrgggghhhh. Tous le pompiers du Sichouan n’auraient pas suffit à éteindre l’incendie que les Sichouanais avaient allumé dans ma bouche. À travers des larmes incoercibles, je voyais les amis chinois plein de compassion l’égard de cet occidental qui n’avait pas saisi cet aspect fondamental de l’art culinaire. À la mamelle de l’empire du milieu, le pis ment.

Bref, ce n’est pas parce que l’on partage des rites que le corps accepte de se plier à une autre culture.

Malgré les partages, la plupart des psychanalystes et étudiants, français et chinois, développent cette idée que la différence des cultures implique une différence d’inconscient. La plus grande incompréhension réside surtout entre ceux, français et chinois, qui croient en cette division, et ceux français et chinois, qui pensent que l’inconscient est bien plus profond que les coutumes culinaires, excrémentielles et rituelles, qui ne concernent au fond que la superficie de la vie quotidienne, et non les arcanes inaliénables de la génération, de la différence des sexes et du gout de l’inceste, autrement pimenté que celui de toute cuisine. C’est une langue fondamentale, commune à tous les humains.

Je n’ai pas réussi à apprendre le chinois. Par contre je parle volontiers l’onirique, (rien à voir avec l’ornithorynque) et la langue des signes. Je passe en effet beaucoup plus de temps sur les bords de la Seine qu’en Chine. Les cygnes sont de grands animaux aux lents déplacements noble et romantique, qui consentent parfois à mourir sur la scène, mais celle de l’opéra. Leur blancheur leur confère une attitude un peu hautaine qui les rend difficile à aborder. Les canards sont plus familiers. C’est avec eux que j’ai appris la langue des cygnes. C’est pour ça que je la parle, mais avec un accent. 

 


Le chat

 Gus se demandait pourquoi il ne pouvait pas y avoir de chat à la maison. Quelque fois le chat du voisin venait se faufiler dans le jardin. Un animal roux à rayures tirant sur le brun. Une sorte de tigre d’appartement. Parfois il venait à lui directement se frotter contre ses jambes. Parfois il devait lui courir après le long de la haie, le long du muret qui bordait la route. Le chat se dérobait Gus ne comprenais pas pourquoi il ne voulait pas jouer avec lui. Quand il était câlin et tranquille, Gus le caressait un peu pour lui souhaiter la bienvenue, puis se précipitait dans la maison pour revenir bientôt avec une petite assiette pleine de lait et une balle. Il savait que le chat aimait courir après la balle et sauter aussi que possible quand il la faisait rebondir. Le chat appréciait le lait, toujours, et les jeux, parfois quand ça lui chantait.

Sa mère lui avait expliqué un jour que son père était allergique à tout poil d’animal. Donc, pas de chat à la maison, interdit ! l’année d’avant, un chat blanc tout sale était venu trainer près du cellier. À la lenteur et à la maladresse de ses déplacements, Gus avait vite repéré qu’il était aveugle. L’un des yeux était fermé, la trace d’une griffe barrant en oblique la joue et le front. L’autre semblait écrabouillé dans le fond de l’orbite. Il en avait parlé à sa mère, qui suivit son fils dans le sentiment de pitié que faisait naitre l’animal. Ok ce chat pouvait être toléré dans le jardin, et même sous l’appentis, et on allait le nourrir régulièrement. Mais pas question qu’il rentre dans la maison ; les crises d’asthme du père pouvait être terrifiantes.

Pas seulement ses crises d’asthmes, avait complété Gus dans sa tête et dans une demi conscience. Il venait de penser aux crises de colère de son père, qui pouvaient éclater pour un rien, ou pour l’exigence d’une chose à faire dans l’instant, tout de suite. La fureur de sa voix et la répétition du « tout de suite », sans réplique, le faisait galoper dans ces injonctions excessives, sans discuter, dans l’instant, tout en supportant la sensation d’un fluide froid qui lui descendait dans le dos, parfois jusqu’à passer entre ses jambes pour lui saisir ses petites couilles de petit garçon. 

Alors le chat interdit était d’autant plus fascinant.

À peine trois mois plus tard, en rentrant de l’école, il avait reconnu le poil blanc encore plus sale du pauvre chat aveugle, étalé sur la route, à l’état de galette. Une boule lui était venue dans la gorge. Il était rentré à la maison comme s’il n’avait rien vu, droit dans bottes, attentif à tout faire comme d’habitude. Pourtant, rien pu dire à maman, rien pu avaler du gouter.

L’arrivée du chat roux avec tout pour l’enchanter. Celui-là ne déclenchait aucune pitié. Son indépendance avait même quelque chose de très frustrant. Gus le guettait à tous ses retours d’école, et gardait un coin de l’œil sur la haie, tout en jouant dans le bac de sable attenant au mur de la maison. Monsieur faisait son difficile. Monsieur avait plus l’air d’être en quête de souris que de petit garçon pour jouer. Alors Gus se réfugiait dans le bras de maman qui malgré son boulot, parvenait quand même à être plus disponible que le chat. D’ailleurs il n’osait pas en parler. Il lui semblait que la moindre parole risquerait de déclencher l’ire de son père et, malheureusement, la défense de sa mère qui sur ce coup là, suivait le père. Elle avait elle aussi été affectée par la mort du chat blanc. Il le savait, elle en avait parlé, elle. Il n’avait pas su quoi lui répondre. Juste, elle l’avait serré très fort dans ses bras dans le bain bien chaud qu’ils prenaient ensemble. C’est là où elle en avait parlé.

Un jour qu’il baillait aux corneilles, satisfait du château de sable qu’il venait de construire, il aperçu le chat roux longeant la haie comme un voleur, en même temps que retentissaient d’inhabituels feulements. Il se rapprocha à pas de loup,, se posta derrière le troncs du vaste pommier,  et observa le manège. En fait, le chat n’allait pas quelque part : il allait et venait le long de la haie, comme pour marquer un territoire. Les feulements étranges ne cessaient pas. Soudain par un trou du feuillage, Gus aperçu un forme sombre tapie juste de l’autre côté. Un autre chat, diaboliquement noir. Il bondit par le trou sur le roux au moment où il passait devant lui. Ce dernier sauta de côté pour se jeter aussitôt sur son rival, la gueule ouverte. L’autre s’enfuit un mètre plus loin, puis revint à la charge comme un éclair noir. Le roux fit volte face, traversa le jardin à grands bonds, suivi de l’autre. Ils disparurent derrière le muret de la route.

Gus ne revit pas le chat roux pendant un bon moment. Puis il revint. Tout heureux, Gus repris le rituel : l’assiette de lait, la balle. Il ne s’en lassait pas, et le rouquin se montrait moins farouche, à sa grande satisfaction.

Quelques mois passèrent. Le printemps touchait à sa fin et l’été s’annonçait en avance. Gus passait beaucoup plus de temps dans le jardin. Il surveillait les framboises et les fraises qui poussaient dans le petit carré qu’il avait jardiné avec sa mère. C’est en cueillant un de ces délicieux fruits rouges qu’il vit arriver le chat roux vers lui, dans cet endroit où il n’avait pas l’habitude de venir le chercher. Il sentit physiquement ses yeux s’écarquiller d’étonnement. Le chat roux n’était pas seul. Il était suivi de deux petits chatons, deux roux et un noir. Quelque chose de confus se bouscula dans sa tête comme une catastrophe floue. Le chat roux était une chatte.

Tandis que la mignonne ronronnait en se frottant contre sa cuisse (il s’était mis à genoux dans sa quête des fruits), il éprouva comme un fluide froid qui lui descendait le long du dos ; sans qu’il pu contrôler quoi que ce soit, sa main attrapa le chaton noir par la queue, le fit tournoyer autour de lui et le lâcha avec violence en direction du mur de la maison.

 

Catastrophe temporelle

Je suis assis dans l’église des Carmes au Puy, Haute Loire auvergne. J’y suis revenu pour un pèlerinage. J’ai 55 ans, je me suis trouvé un petite amie chinoise qui a 24 ans de moins que moi et je suis venu lui montrer le lieu de mon enfance. ça faisait longtemps que j’en avais envie.je n’étais retourné qu’une fois depuis que j’avais quitté le Puy et c’était pour montrer la ville à ma fille qui a 25 ans de moins que moi.

J’aime bien revenir sur les lieux de mon enfance, comme l’assassin retourne fatalement sur les lieux de son crime. Je le fais très peu, c’est ce qui donne sa valeur à ce genre de pèlerinage, et c’est toujours pour le partager avec quelqu'un qui a une grande importance dans ma vie. C’est pour m’assurer de sa complicité. Peut-être y a –t-il encore quelqu'un à tuer, ma mère sans doute, qui m’amenait dans cette église tous les dimanches. Elle est déjà morte la pauvre dame, depuis un bon moment même, mais je n’ai pas encore complètement tué l’origine. Je crois qu’il faudra que je me tue pour ça, mais je laisse faire la nature, il paraît qu’elle s’en chargera un jour quoique j’aimerais bien lui dénier ce pouvoir inouï qu’elle prend sur moi, la salope comme ma mère a pris ce pouvoir inouï sur moi de me mettre au monde sans le vouloir, la salope. 

J’observe les vitraux colorés, sans grand intérêt artistique. Ils représentent des fleurs complétement stylisées. Il y un vitrail à fleur bleue , un vitrail à fleur rouge. Je les reconnais bien car dans mon enfance, pendant le prêche du curé auquel je ne comprenais rien, je m’accrochais à ces vitraux en détaillant chacune des volutes, histoire d’occuper mon esprit à quelque chose, dans ce grand vide rempli par la parole du curé dont je n’avais retenu qu’un mot « eschatologie ». J’ai appris dans Wikipedia il y a peu que cela signifie : discours sur les fins dernières.

Je ne vais pas dire que j’approche de la fin ça ne se fait pas, mais le discours sur es origines il ne cesse de me hanter. Le regard accroché aux volutes rouges et bleues des vitraux, je maintenais tant bien que mal mon existence, mieux je me mettais au monde tandis que ma mère m’oubliait complètement, perdue dans ses prières. C’était ma fécondation in vitraux.

Ah mais oui mais c’es que j’ai pas du avoir une naissance facile si j’ai tant besoin e comprendre toutes les origines. je sais que ma mère disait qu’elle avait eu un sein noir à m naissance, comme les trous noirs la matière noire, le roman noir, la Rome en noir en Rome en tique et en toc, bref, l’origine de Rome et sa fin, ça m’intéresse aussi. C’est parce qu’elle avait un abcès au sein et beaucoup de fièvre du coup non seulement elle a pas ou me nourrir mais en plus elle pouvait pas s‘occuper de moi c’est le reste de la famille qui a fait je pense que c‘est parce qu’elle ne voulait pas de moi la salope.

Je voulais qu’elle comprenne tout ça, X, la nouvelle copine chinoise de 24 ans de moins que moi. Parce que, si elle voulait de moi eh bien, moi, c’est ça. J’avais passé des heures à l’écouter raconter son histoire, sa petite enfance pendant la révolution culturelle, à regarder son grand père écrire tandis qu’elle n’arrivait pas à se trouver une activité. Elle aurait voulu faire comme lui, d’ailleurs il lui avait dit : tu devras être comme Gorges Sand. Son grand père était un grand intellectuel chinois un anthropologue reconnu par le régime, un grand francophile qui parlait le français avait écrit un pièce de théâtre montée à Shanghai dans les années 30, ce qui fait qu’elle était venue en France pour devenir Georges Sand, une grande intellectuelle reconnue par l’université. Et du coup elle étai complétement bloquée dans son écriture, et même dans ses lectures, car elle avait vu aussi son grand père lire pendant des heures, des jours des années. Et là elle en parvenait même pas à lire un page d’un livre. Je le dis après coup maintenant je le sais elle aura mis douze ans à finaliser sa thèse. 

Dix ans pour rompre un rituel de répétition, la copie de la vie de son grand père. et moi j’étais là pour tenter de rompre les répétitions qui trouvaient leur origine dans l’origine de mes parents, leur disputes autour de la tromperie de mon père qui avait fait deux fille à une autre femme dans le dos de ma mère, ma mère qui avait perdue une fille à l’âge de trois jours et qui  sur le tard à quarante ans, après ses trois enfants, m’a eue après que mon père ait eu ses deux filles illégitimes. Certainement elle avait pas trop envie de me voir arriver ; j’étais pas la fille perdue, j’étais pas les filles que mon père avait fait à une autre, et elle n’était certainement plus amoureuse de mon père quand on ne sait pas dire non on  reste enceinte et se paye un bel abcès au sein au moment de ma naissance, comme ça, je m’en occupe pas, hop c’est aux autres de s’en charger, moi, j’ai fait mon taf, j’en ai assez fait, c’est bon, c’est pas mon fils.

X a été trop attendue, trop aimée par ce grand père qui lui a trop tissé son destin au point qu’elle ne peut être elle même que si elle rompt avec ce destin tout tracé ; mais elle n’en pas de rechange.

Moi, au contraire ça m’a ouvert sur un intérêt insatiable pour toutes les origines. Les couches de calcaire, les fossiles, les dinosaures de la vallée et maintenant la route, la rivière et ce village paisible. Autrefois il n’y avait que ça, les montagnes, la vallée ? On a juste ajouté une route et une rivière ; non, la rivière elle s‘est ajouté toute seule, il y a quelques milliers d’années, mais avant, c’était la mer, il pouvait pas y avoir de rivière, peut-il y a avoir des rivières sous la mer ? Pourquoi pas ? Près des rivages on a déjà vu ça des sources qui se déversent au fond de la mer. Les milliers d’années, ce sont peut-être des millions, est-ce que je sais moi, je ne me rappelle jamais, ce sont des chiffres trop grands. Un siècle ou deux, quelques siècles on a déjà du mal à s’y faire, mais les millions d’années, les milliards quand on passe des temps géologiques au temps astronomique ; je sais pas si j’aurais le temps de tout comprendre.

La noirceur de ces espaces infinis me fascine. Je veux savoir comment ça marche l’origine, toutes les origines, celle de ce plateau calcaire avec ses fruits de mer fossiles, celle de ma vie à moi, celle de l’humanité et des humanoïdes, celle de la terre, celle de l’univers.

Mais X m’a pompé l’air de toute la force dont elle était capable tant elle était coincée dans sa destinée. Elle s’arrangeait toujours pour faire des choses qui me déplaisaient au plus au point ne jamais être à l’heure à un rendez vous. Me faire virer des choses de notre appartement parce que ça ne lui plaisait pas, puis en faire racheter d’autres qui ne lui plaisaient pas non plus, pour les faire virer à nouveau et m’en faire racheter d’autres, jusqu’à ce que, épuisé je dise stop. Elle ne parvenait ni à lire ni à écrire, ni à s’occuper de l‘appartement. Je faisais les courses la cuisine le ménage, la lessive la vaisselle, tout, en plus de mon travail pendant qu’elle en faisait rien qu’à m’attendre, ou aller s’éclater avec de nouveaux amis internationaux rencontrés à l’université . Elle m’a fait un scandale dans l’aéroport de Rio, car je l’avais emmenée avec moi pour une tournée de conférences que je faisais au brésil. un scandale parce que je venais de lui annoncer la naissance du 2ème bébé de ma fille. Pourquoi elle et pas moi hurlait-elle dans le grand hall en commandant bière sur bière…elle avait déjà perdu la clef de la chambre que nous occupions chez un de mes amis à Joao Pessoa, elle trainait, ralentissant tout le groupe, lorsque nous suivions la visite d’une ville. Elle m’avait fait envoyer un taxi deux fois la chercher à 200 kms, à l’aéroport, car elle avait raté un premier avion, et ne m’en avait pas informé. J’avais donc envoyé un taxi pour rien.

En rentrant de ce voyage au Brésil, je l’avais virée.

Depuis j’avance en âge je plais aux dames âgées mais ça ne m’intéresse pas Liliane m’énerve je l’avais rencontrée dans un stage d’écriture elle était très sympa mais moche et donc moi les femmes moches ça m’intéresse pas pourtant elle était vachement sympa. Alors on a sympathisé et on est devenus amis elle me racontait qu’elle a été une rescapée du cancer du sein et qu’il lui en manquait un l’autre était faux mais bon depuis son divorce le cancer s’était déclenché juste après le divorce elle cherchait un compagnon comme elle disait elle était tellement sympa avec moi elle trouvait toujours tout bien tout ce que je disais et tout ce que j’entreprenais elle positivait tout je trouvais même que c’était un peu exagéré mais moi ça me convenait bien un amie comme ça je voulais pas qu’elle devienne plus qu’une amie alors on a commencé à s’inviter  diner l’un l’autre un coup chez l’un un coup chez l’autre et puis et puis on a fait d’autres ateliers d’écritures et elle est venue aux randos que j’organisais en ne tarissant pas d’éloges sur mon organisation et ce que je lui faisais découvrir on a fait aussi la biennale de l’art contemporain et puis elle a commencé à dire qu’elle était occupée pour telle invitation  telle rando et puis elle en est venu à décliner toute les invitations  à diner de rando et tout parfois au dernier moment alors que je l’attendais dans un café et parfois aussi dans mon groupe parler de soi où la dernière fois elle a décommandé au dernier moment à chaque fois elle le faisait avec une politesse excise toujours des mots gentils mais le fait est que je la vois plus alors je pense qu’elle s’attendait à plus de ma part pourtant je lui avais bien dit que je me considérai comme un vieux débris un fossile et que je m’intéressais qu’aux jeunes mais que je ma trouvais très sympa comme amie bien sûr je lui ai jamais dit qu’elle était moche, ça ne se fait pas et je trouvais qu’elle avait une belle âme mais là avec son refus de l’amitié parce que je veux pas lui donner plus j’ai cessé de trouver qu’elle avait un belle âme elle me court même sérieusement sur le haricot d’ailleurs les carottes sont cuites et c’est pas la première qui me fait ce coup là on dirait que l’amitié seule leur est insupportable.

Et moi je n’ai d’intérêt que des femmes plus jeunes dont je sais qu’elles ne s’intéressent pas à moi.
Et c’est ainsi que je m’achemine dans la solitude vers le tombeau. Et vous savez quoi ? Finalement ça me plait bien comme ça !


 

La ville du silence.

 Autour des tours une immense plateforme été construite au niveau du deuxième étage. Ainsi les véhicules se trouvent-ils enterrés. Ils ne perturbent point les riverains qui peuvent à loisir se promener sur l’espace bétonné que l’on a parsemé de verdure, de fleurs, d’aventure, et de douceur. Les enfants y sont libres de jouer, de courir, de plancher à roulette, sans aucun risque de traversée d’une artère au trafic monstrueux. À côté d’un bassin où l’eau, épaisse d’un centimètre, ne fait office que de miroir pour le ciel et les tours, quelques balançoires à ressorts attendent les tous petits.

À bien y regarder, le bassin reflète l’immense fresque bleue et blanche qui s’affiche sur le mur du fond adossé à une tour d’aération immaculée. Parfois, un ado vient s’y exercer au tennis. Alors le bruit de la balle qui rebondit et son léger écho sur les façades, donne sa ponctuation au silence.

Au premier abord, la fresque semble abstraite. Au deuxième rabord, on y lit le cours bleu d’un fleuve, divisé par la longue virgule noire d’une ile. Au troisième rabord, on reconnaît l’œil du cygne. Cette place entre les tours est placée sous le signe du cygne, qui se dédouble dans l’eau du bassin en dessous.

Quand on pense à la taille de la population hébergée dans les milliers d’appartement empilés alentour, il est étrange de voir ces lieux si peu occupés. Le vide appelle l’absence, le silence appelle la quiétude.

Je ne m’y attarde jamais, mais j’ai plaisir à les traverser, en allant et en rentrant de randonnée, en visant le cinéma juste en dessous, lui aussi enfoui sous le plateau de béton, en me rendant à la piscine toute proche de ma tour, elle aussi occultée dans les dessous, mais repérable alentour par sa douce odeur de chlore.

Un cheminement piétonnier, marqué de petits segments bleus qui s’allument doucement la nuit, permet de traverser la dalle dans toute la longueur, d’une station du RER à l’autre, en passant par le métro. Cela prend bien une demi heure d’une promenade tranquille en compagnie du fouillis des plantes et des fleurs qui débordent de leurs bacs en béton.  L’apparent désordre qui vient ça et là caresser le promeneur cache la savante étude qui a présidé au choix des essences en fonction de l’ensoleillement, très variable d’un endroit à l’autre, des courants d’air générés entre les immeubles, de la terre qu’on a apportée, elle aussi choisie avec minutie, de l’humidité apportée au goutte à goutte par des tuyaux enterrés à demeure.

Alors les gratte-ciels se penchent sur ses pas, comme de grands ancêtres tutélaires veillant à la protection singulière de chacun.  

Richard.A 





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